L’aristocratie de l’épiderme Le combat de la Société des Citoyens de Couleur, 1

L’aristocratie de l’épiderme Le combat de la Société des Citoyens de Couleur, 1789-1791 Florence Gauthier DOI : 10.4000/books.editionscnrs.6257 Éditeur : CNRS Éditions Année d'édition : 2007 Date de mise en ligne : 20 juin 2016 Collection : Histoire ISBN électronique : 9782271090980 http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782271065766 Nombre de pages : 446 Référence électronique GAUTHIER, Florence. L’aristocratie de l’épiderme : Le combat de la Société des Citoyens de Couleur, 1789-1791. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 2007 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/editionscnrs/6257>. ISBN : 9782271090980. DOI : 10.4000/books.editionscnrs.6257. © CNRS Éditions, 2007 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 L’aristocratie de l’épiderme Le combat de la Société des Citoyens de Couleur 1789-1791 Florence Gauthier L’aristocratie de l’épiderme Le combat de la Société des Citoyens de Couleur 1789-1791 CNRS ÉDITIONS 15, rue Malebranche – 75005 Paris À Marc Bloch et Albert Mathiez Collection « Histoires pour aujourd’hui », dirigée par Sophie Wahnich © CNRS Éditions, Paris, 2007 ISBN : 978-2-271-06576-6 Préface Dans le roman de Madison Smart Bell, Le soulèvement des âmes, lors d’une insurrection antiesclavagiste, à Saint-Domingue, un métis pend à un arbre d’une forêt le corps de son père blanc assassiné. Puis il se met à ouvrir le corps, comme on éviscère un animal. Pourquoi un tel acte barbare? Ce métis explore méticuleusement les entrailles; il cherche l’organe qui confèrerait à l’homme blanc sa supériorité affi- chée et revendiquée sur l’homme noir et le métis... Fiction romanesque, hyperbole extravagante, métaphore insoutenable de l’inhumain au cœur de l’humain, dira-t-on! Ou bien, pensera-t-on plutôt, afin d’exor- ciser une telle cruauté, à ce qu’écrit Claude Lévi-Strauss, concernant l’ethnocentrisme, dans Race et histoire : « l’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier pure- ment et simplement les formes culturelles : morales religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions ». Mais cette explication ne tient pas ici, puisque, dans le roman, il s’agit d’un père blanc et de son fils métis, et non d’étrangers. Toutefois la scène du roman symbolise parfaitement l’ab- surdité du préjugé de couleur, qui fait du père blanc un étranger pour son propre fils. Le livre de Florence Gauthier, lui, sur la vie, le combat et les déboires de Julien Raimond, libre de couleur et colon métissé n’est pas un roman, mais une étude rigoureuse, critique et solidement documentée de l’instrumentalisation et de la généralisation du préjugé de couleur à Saint-Domingue et en France pendant la période de la Révolution, sous l’Assemblée Constituante. En effet, nous apprendrons comment la domination esclavagiste a forgé cette arme du préjugé de couleur pour perpétuer l’exploitation, l’oppression et l’infériorisation des Nègres, quels qu’ils soient, métis, gens de couleurs libres, Nègres affranchis ou Nègres esclaves. Ce préjugé persistant de nos jours, dans nombre de sociétés contemporaines marquées par l’esclavage, n’est certes plus tolérable ou plutôt a perdu toute valeur juridique, mais il n’en continue pas moins d’altérer profondément les rapports entre les hommes et de sceller le destin de millions de personnes par cette dis- crimination fondée sur la couleur de peau. Florence Gauthier est historienne de la Révolution française, de cet événement, dont Kant, en 1798, dans Le Conflit des Facultés, a sou- ligné qu’il a suscité la sympathie et l’enthousiasme des contemporains, qui y ont perçu la manifestation de l’avènement d’une ère nouvelle et bénéfique de l’histoire de l’humanité. Florence Gauthier étudie cette période historique en portant une attention aiguë et infatigable aux principes du Droit naturel moderne, de la justice, de l’égalité et de la liberté. Et c’est à l’aune de ces principes qu’elle a toujours tenté de mesurer l’ampleur de cette Révolution, son audace et ses faiblesses, ses promesses et ses compromissions, (notamment dans Triomphe et mort du Droit naturel en révolution, 1789-1795-1802, Paris, 1992). Elle nous aide à comprendre toute l’importance du problème de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises des Antilles, particulière- ment à Saint-Domingue, sous la Révolution. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 proclamait sans ambiguïté que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Elle déclarait ainsi l’unité du genre humain, par-delà les inévitables différences, géographiques, culturelles ou de couleur de peau. Elle confirmait aussi l’idée de liberté et d’égale dignité ontolo- gique de tout homme, présente dans l’intimité de toute conscience. Donc, selon les principes mêmes de la Déclaration, la traite, l’esclavage des Noirs d’Afrique, ou d’ailleurs, et le préjugé de couleur qui lui est consubstantiel étaient condamnables absolument. Mais les prin- cipes une fois posés, nous le savons, ne transforment pas d’un coup la réalité et ce qui nous semble évident aujourd’hui a déclenché dans les colonies esclavagistes des affrontements meurtriers. Certes les esclaves et les libres de couleur n’ont jamais vécu leur servitude comme la conséquence directe de la malédiction biblique de la descendance de Cham, un des fils de Noé, comme on a pu le faire croire. Les révoltes et les insurrections se sont multipliées et, en dépit de féroces répres- sions, jamais la flamme de l’aspiration à la liberté ne s’est éteinte. Surtout il est important de souligner que les idées révolutionnaires 6 L’aristocratie de l’épiderme en France, par leur vocation universaliste, allaient provoquer une immense « terreur » chez les colons blancs des Antilles. Que des sang-mêlé, comme Julien Raimond, aient eu l’audace de vouloir faire reconnaître leurs droits devant l’Assemblée et même d’y être représentés, constituait une atteinte insupportable à l’ordre colonial esclavagiste. D’où l’opposition farouche du lobby colonial et des maîtres blancs, regroupés dans le Comité des colons de Saint- Domingue, connu sous le nom de club Massiac. Il leur fallait, afin de maintenir leur domination totale sur la colonie et perpétuer l’esclavage des Nègres, écarter de l’Assemblée les libres de couleur, regroupés, eux, au sein de la Société des citoyens de couleur. Or, comment empê- cher les idées révolutionnaires de se frayer une voie aux colonies, sinon en rejetant toute revendication d’égalité ? Le problème était rude, pour la raison très simple que les unions entre Blancs et Noirs, par viol, concubinage et mariage ont engendré des métis. Ces derniers furent, dans les premiers temps de la colonisation, reconnus comme des hommes libres, puisque leur ascendance blanche leur donnait le droit d’être considérés comme libres et égaux aux maîtres blancs. De plus ils étaient eux-mêmes parfois propriétaires et avaient des esclaves. Ils épousèrent des femmes blanches ou des affranchies métisses. Mais leur croissance démographique représentait, aux yeux des colons, une menace potentielle. Pour y faire face, ainsi que le montrera Florence Gauthier, les colons blancs ont inventé, avec la complicité de l’État colonial, tout un système de classification des hommes, avec toutes les déclinaisons possibles, liées au degré d’éloignement de la blancheur : mulâtre, quarteron, griffe etc., afin d’établir les frontières qui séparent irrémédiablement les maîtres blancs des métis et, bien sûr, de la masse des esclaves. L’historien doit se garder de juger le passé et ses acteurs, comme si l’Histoire se réduisait à être un tribunal consacrant la gloire des uns et fustigeant l’ignominie des autres, ainsi que le fait par exemple Pierre Pluchon, parlant de Julien Raimond comme « un des chefs mulâtres libres et un affairiste à la conduite trouble ». La force du préjugé raciste est ici évidente. Il serait, pourtant, illusoire de croire que l’his- torien pourrait se dépayser et chercher à n’être « d’aucun temps, ni d’aucun lieu ». Il pense l’histoire selon des principes, tout en évitant la partialité idéologique d’une lecture myope des documents. C’est ce que fait Florence Gauthier dans ce livre qui porte une contribution décisive Préface 7 à la compréhension de la suite des événements en France et à Saint- Domingue. Pierre Philippy, Philosophe Fort-de-France, Martinique 8 L’aristocratie de l’épiderme Introduction La naissance et la diffusion du préjugé de couleur, constitutif d’une « aristocratie de l’épiderme » apparue dans les colonies escla- vagistes françaises d’Amérique au XVIIIe siècle, n’ont guère retenu l’attention des historiens, à l’exception du beau travail d’Yvan Debbasch 1. « Blancs », « Noirs », « métisses », « hommes libres de couleur » : dans les Antilles françaises, à la veille de la Révolution, les hommes étaient désignés en fonction de leur couleur de peau, qui défi- nissait leur statut juridique. L’apparition de cet ordre inégalitaire précède, historiquement, l’invention du « racisme biologique », avec lequel il se trouve trop souvent confondu. Péché d’anachronisme : à force d’amalgamer les deux phénomènes, l’histoire du préjugé de couleur a été négligée au profit d’une approche peu nuancée des débats sur l’esclavage dans la France des Lumières. Préjugé de couleur et « racisme biologique » relèvent pourtant de deux registres différents. Le premier se greffe sur un enjeu éthique et politique, qu’il convient d’analyser à la lumière des arguments échangés entre adversaires et partisans de l’ordre juridique esclavagiste. Le second emprunte aux théories uploads/s3/ l-aristocratie-de-l-epiderme-pdf.pdf

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