Feuille de salle : Flore ou le Printemps du sculpteur La Commande En 1863, Jean

Feuille de salle : Flore ou le Printemps du sculpteur La Commande En 1863, Jean-Baptiste Carpeaux, alors à peine rentré de son séjour romain, cherche avidement la prestigieuse commande qui lui permettra de conforter la notoriété obtenue grâce à Ugolin et ses fils. Une belle occasion se présente au début de l’année 1863, lorsque l’architecte du palais du Louvre, Hector Lefuel, se met en quête de sculpteurs pour concevoir le nouveau décor du pavillon de Flore. La démolition puis la reconstruction de l’extrémité occidentale de la grande Galerie, qui assurait alors, en longeant la Seine, la liaison entre la résidence impériale des Tuileries et le palais du Louvre, avaient été entreprise dès 18611. Lorsque, sur la présentation d’une esquisse, la candidature de Carpeaux est retenue, le statuaire valenciennois exulte : « Si j’ai tardé à te répondre, c’est que j’avais entre les mains un projet splendide dont je ne connaissais pas l’avenir. Aujourd’hui j’ai le bonheur d’apprendre que je suis chargé de la décoration [] du Pavillon de Flore 1 Ces travaux étaient devenus inévitables : L’implantation des fondations de cette aile sur un sol trop meuble provoquait l’enfoncement inexorable de l’édifice, qui menaçait tout bonnement de s’effondrer. qui fait face au pont Royal. Ma composition est heureuse et j’ai ici l’occasion de montrer la puissance des études que j’ai eu le bonheur de faire avec toi à Rome… »2 Bien que déçu par la rémunération associée à ce projet, Carpeaux, considérant le prestige de la commande, n’en accepte pas moins les conditions : « Je m’empresse de vous accuser réception de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 15 de ce mois pour fixer les conditions pour lesquelles doit être exécuté le couronnement du pavillon de Flore, qui m’a été confié, et que je commence en ce moment. En vous rappelant, et seulement pour forme les dépenses qu’entraîne pour moi l’exécution de ces figures. J’accepte cependant, le prix de trente-deux mille francs qui m’est alloué pour ce travail, eu égard à la satisfaction profonde que j’éprouve d’attacher mon nom, pour une bien faible partie malheureusement, à la grande œuvre que vous êtes sur le point de terminer. »3 À partir de l’esquisse fournie par Carpeaux, où semblent déjà arrêtées les grandes lignes de la composition définitive, sont déterminés trois ensembles distincts qui viennent structurer le projet : les figures du couronnement, une frise encadrant les œils-de-bœuf et un bas-relief placé au centre de l’élévation représentant Flore, la déesse éponyme de ce pavillon4. « Inutile d’ajouter que j’apporterai à l’exécution des trois figures du couronnement de la frise à hauteur des œil de bœuf et du bas-relief du milieu, tels qu’ils existent dans ce modèle que j’ai eu l’honneur de vous soumettre, tous les soins, et toute l’activité que comporte une pareille œuvre. »5 Comme pour toutes tractations commerciales, l’enjeu des négociations entre les deux parties se concentre notamment sur les modalités de paiement - préoccupation constante d’un artiste sans plus aucun revenu régulier et qui ne peut donc pas avancer seul les frais nécessaires à l’exécution de cette commande. « Sans pouvoir l’affirmer, et en espérant même pouvoir m’en passer, je serais heureux que les conditions de soumission stipulassent que je pourrai toucher le sixième de la somme totale après l’exécution des trois figures de couronnement et leurs moulages en plâtre, un autre sixième après le moulage en plâtre de l’œuvre entière, un tiers après l’exécution par les praticiens et enfin un tiers immédiatement après la terminaison de l’œuvre complète par les praticiens. » L’ombre de la mésentente qui opposera par la suite le sculpteur et l’architecte s’amorce déjà au travers de ce qui constitue l’autre versant important de cette tractation : les délais de livraison. « Vous me connaissez assez, j’espère, Monsieur, pour préciser que je tiens à honorer de ne pas me mettre par négligence au-dessous d’une aussi belle tâche, qu’il me faut au moins 18 mois pour accomplir. » 2 Bibliothèque municipale de Valenciennes : Lettre de Jean-Baptiste Carpeaux, sans date. Le destinataire ne nous est pas précisément connu, mais il s’agit vraisemblablement d’un ancien pensionnaire de l’Académie de France à Rome, contemporain de Carpeaux. 3 Bibliothèque municipale de Valenciennes : brouillon de lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Hector Lefuel, 19 avril 1863. 4 Ce pavillon doit son nom au ballet de Flore, dont plusieurs représentations furent données en l’honneur de Louis XIV au mois de février 1669. 5 Bibliothèque municipale de Valenciennes : brouillon de lettre de Jean-Baptiste Carpeaux à Hector Lefuel, 19 avril 1863. La Genèse La nouvelle acquisition du musée (1), une esquisse à la plume et encre brune sur papier, constitue l’une des toutes premières études pour ce projet. On distingue nettement les trois composantes de la décoration de la façade : la figure de Flore telle qu’elle apparaît dans sa première formulation, à savoir une figure couchée, dont seul le buste est dressé, placée au centre de la façade. Une frise de putti semblant se cramponner à la corniche, occupe le niveau supérieur, mais s’insère sous le rang d’œils-de-bœuf. Enfin, couronnant la façade, une allégorie de la France impériale, représentée assise, nous montre son profil droit, en tenant des deux mains la hampe du drapeau national. Reprenant le procédé antique qui consiste à habiter les angles aigus des frontons par des figures masculines couchées, Carpeaux encadre sa figure centrale par les allégories de la Science et de l’Agriculture. La référence à Michel-Ange, avouée à demi-mot - « la puissance des études faites à Rome» - est tangible tant la posture de ces deux figures semble proche de celles du Crépuscule et de l’Aurore exécutées par le maître florentin pour le tombeau de Laurent de Médicis dans la nouvelle sacristie de l’église San Lorenzo. La récurrence dans les carnets d’esquisses de Carpeaux de ces figures comme de celles des allégories du Jour et de la Nuit pour le monument funéraire de Julien de Médicis (3), sont autant de témoignages qui plaident en faveur d’une inspiration michelangelesque. Néanmoins Carpeaux n’a jamais recours à des modèles exclusifs. Il se montre par ailleurs bien trop attaché à l’observation curieuse de la vie de ses contemporains pour ne pas chercher à les incorporer dans ses compositions originales, au travers de quelques traits de dessin. Ainsi Ernest Chesneau, ami et biographe de Carpeaux, nous relate-t-il cette anecdote, tout à fait conforme à ce que l’on connaît des habitudes de l’artiste : « J’étais en compagnie du statuaire Carpeaux quand il fit sur un carnet de poche un croquis d’après un ouvrier maçon couché sur un banc du boulevard de Courcelles ; il me dit : « Ce sera une des figures du Pavillon de Flore » C’est en effet celle de l’homme au bœuf. »6 (1) Etude d’ensemble pour le décor sculpté du pavillon de Flore. Plume et encre brune sur papier. Inv. 2014.2.1 (2) Etude d’ensemble pour le décor sculpté du pavillon de Flore. Crayon noir sur papier Inv. CD 358 (3) Etudes librement inspirées des monuments funéraires de Julien et Laurent Médicis à la Nouvelle Sacristie de San Lorenzo à Florence par Michel-Ange. Crayon graphite sur papier. Inv. CD 336 6 Ernest Chesneau in L’œuvre complet de Eugène Delacroix, p. 239. Si les lignes maîtresses de la composition d’ensemble ne varieront plus, Carpeaux sera tout de même amené à affiner sa proposition en modifiant un certains nombres de détails : Ainsi, très précocement, la frise de putti prévue au niveau du rang d’œil-de-bœuf, vient encadrer les fenêtres arrondies plutôt que les souligner. Ce changement, qui apparaît déjà dans un dessin au crayon noir griffonné dans un carnet (4) se répercute alors nécessairement dans la posture même de ces enfants, qui désormais écartent les bras de manière à entourer de leurs membres les ouvertures, comme en témoignent quelques rares études de figure (5). (4) Etude de composition pour le décor du pavillon de Flore Crayon noir sur papier Inv. CD 31 F° 85r (5) Etude pour les enfants porteurs de palme Crayon noir sur papier ligné Inv. CD 33 F°23 Les figures du fronton connaissent des modifications ultérieures significatives : au centre, l’inclinaison légèrement de profil donnée initialement au buste de la figure de la France Impériale, (ill. 1) , et (1) est abandonnée ; cette dernière étant finalement réorientée de manière à faire face au spectateur. Une telle disposition frontale pourrait être héritée de l’étude des figures du socle de la Fontaine de Neptune dans les jardins Boboli à Florence que l’on doit aux ciseaux de Giambologna (ill.2). Par la suite, l’attention du sculpteur se focalise sur la position des bras de sa figure, comme tendent à le montrer les nombreuses variations que l’on note dans les esquisses successives (2), (4), (6), (7) et (8). Après avoir imaginé une formule, où l’allégorie de la France tend sa main droite en contre-bas vers celle de la Science placée à sa droite (6) et (Ill. 3), Carpeaux privilégie une attitude plus enlevée : le bras droit tenant une torche est levé et s’oppose symétriquement uploads/s3/ feuille-de-salle-flore-ou-le-printemps-du-sculpteur.pdf

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