6 OCTAVE MIRBEAU (1848-1917) Prophète de l’art moderne En cette année 2017, se

6 OCTAVE MIRBEAU (1848-1917) Prophète de l’art moderne En cette année 2017, se commémore en France et à l’étranger le centenaire de la disparition d’Octave Mirbeau, journa- liste, pamphlétaire, romancier, auteur dramatique, critique d’art, membre de l’Académie Gon- court dès sa création en 1890. Après un demi-siècle de pur- gatoire, on reconnaît enfin son génie et sa modernité. Né en 1848 à Trévières (Calvados), Octave Mir- beau passe son enfance à Rémalard (Orne) dans le Perche, où son père s’est installé avec sa fa- mille comme officier de santé. Mirbeau a été pensionnaire au collège des jésuites de Vannes, Saint-François-Xavier, de 1859 à 1863, d’où il sera renvoyé un mois seulement avant le fin de l’année scolaire, dans des conditions jamais élu- cidées. Mauvaises notes ? Indiscipline ? Affaire de moeurs ? (*) En 1887-1888, il revient dans la région pour vivre au château de Kérisper, près d’Auray, en face du petit port du Bono. Il y ac- cueillera Auguste Rodin, le célèbre sculpteur, qui passera trois semaines avec lui. Sur les bords de la rive droite du Sal, il écrit l’un de ses meilleurs romans selon ses fidèles, L’Abbé Jules. Propriété de Kérisper, près d’Auray Type même de l’écrivain engagé, passé de la presse conservatrice, bonapartiste, monarchiste, à la gauche libertaire, sans être jamais encarté, il fut un ardent dreyfusard et l’un des grands combattants de «L’Affaire», dont le rôle a été longtemps occulté ou sous-estimé. Son passage Portrait d’Octave Mirbeau par Félix Vallotton (1902). fil des années de nombreuses donations. Cécile à été l’actif artisan de ces enrichissements dont les derniers datent de 2013. Une centaine de planches dessinées et aquarellées couvrant la to- talité de l’œuvre de Jean Frélaut, ont donné lieu à l’exposition « Jean Frélaut, nouvelle donation ». La générosité de cette famille ne s’attache pas seulement à l’œuvre de Jean, elle vient aussi de la branche parisienne. En 2008 quand la ferme- ture de l’atelier Lacourière-Frélaut est inéluc- table, Denise fait don au musée de 165 planches gravées originales de l’artiste Olivier Debré, par- mi lesquelles les séries « Signe-personnage » et « Signe-paysage » réalisées dans les années 199O. Ces œuvres majeures de la seconde moitié du xxème siècle seront présentées à la Cohue avec un choix de peintures de très grands formats, en 2010, sous le titre « Olivier Debré Signes pay- sages – Signes gravés ». Le plus bel hommage que la Ville de Vannes puisse rendre à la famille Frélaut pour son indé- fectible générosité, est de donner à son musée toute l’importance qu’il mérite. Marie-Françoise Le Saux. L’atelier Lacourière-Frélaut (par B. Hubert Darbois ADGP). 7 chez les jésuites de Vannes l’aura marqué d’une empreinte profonde et durable et développera chez lui une sensibilité et une nature bouillon- nantes, que l’on retrouve dans toute sa création artistique. Création foisonnante, tant dans ses romans, ses contes cruels, son théâtre, ses chro- niques sur l’art. Nous nous limiterons ici à une courte synthèse des seuls engagements esthé- tiques de Mirbeau, voire combats, comme cri- tique d’art. Chez Octave Mirbeau la peinture est une véri- table passion. Elle lui permet de se racheter des ses compromissions journalistiques, en promou- vant par ses écrits les artistes novateurs qu’il aime. Pour avoir parcouru les grands musées européens, il connaît les grands maîtres du pas- sé, Rembrandt, la ferveur de sa vie, Van Eyck, Rubens, Vermeer, Goya, Titien, Véronèse, Vélas- quez, Chardin... Plus près de lui ses références sont Delacroix, Ingres, Millet, Corot, Manet. Dès 1874 il se lance dans une vaste lutte pour dé- boulonner les gloires de l’académisme – Caba- nel, Bonnat, Gérôme, Boulanger, Bouguereau – et dénoncer l’Etat, qui contrôle l’Académie, l’Ecole des Beaux-Arts, les Salons annuels et, par jurys interposés, accorde des breloques aux ar- tistes pompiers et exclut les novateurs. à partir de 1884, Mirbeau évolue vers l’anar- chisme et sa carrière de critique d’art – nom qu’il déteste – redouté et sollicité devient une véri- table mission : éduquer, participer à la grande révolution du regard, apprendre au public, conditionné et borné, à dépasser son attendris- sement stupide devant les toiles lénifiantes. Doté d’un flair quasiment infaillible – Gustave Geffroy parle de « prescience » – il apparaît comme le prophète de l’art moderne. Claude Monet Pour Mirbeau, Monet est le premier à avoir su peindre la lumière, fixer l’instant et donner vie à la peinture. « Il y a du génie en M. Claude Mo- net. Jamais je n’ai vu la nature interprétée avec une pareille éloquence ». « On peut dire de lui qu’il a véritablement inventé la mer, car il est le seul qui l’ait comprise et rendue avec ses chan- geants aspects, ses rythmes énormes, son mou- vement... » Camille Pissarro Mirbeau admire le peintre sans réserve et il aime l’homme. Il voit en lui un guide spirituel, dont il partage les idées anarchistes (Pissarro est peut- être à l’origine de sa conversion à l’anarchisme). « Dans ses toiles, nous avons l’idée réelle de cette immensité où l’homme n’est plus qu’une tache à peine perceptible ». Edgar Degas « Ses danseuses sont, comme il le dit lui-même, non pas de simples tableaux ou de simples études, mais des méditations sur la danse ». Paul Cézanne « Pauvre inconnu de génie ». En 1905, Mirbeau se livre à une attaque en règle contre la politique culturelle de l’état. Il prend l’exemple de Cé- zanne, qui vient d’être refusé d’exposition par les membres de l’Institut. « Un tableau de Cézanne, le peintre des peintres, refusé par ces infimes et insolents barbouilleurs… » Cézanne, prodigieux renouveleur d’idéal, inventeur logique d’harmo- nies... ». Paul Gauguin. Mirbeau s’est battu pour imposer Gauguin, « un être en quête d’absolu ». Dans ses articles de 1891, il célèbre en lui une « sorte de Rimbaud de l’art graphique ». Gauguin incarne pour Mir- beau « l’Artiste », dont l’œuvre témoigne de la vie. Son Christ jaune inspire au critique l’un de ses plus beaux commen- taires. « Le Christ, telle une divinité papoue, sommairement taillé dans un tronc d’arbre par un artiste local, le Christ piteux et bar- bare, est peinturluré de jaune... Et la mélancolie de ce Christ est indicible. Sa tête a d’affreuses tris- tesses; sa chair maigre a comme des regrets de la torture ancienne et il semble se dire, en voyant à ses pieds cette humanité misérable et qui ne comprend pas : « Et pourtant, si mon martyre avait été inutile ? ». Vincent Van Gogh. Comment ce fou de peinture aurait laissé Mir- beau indifférent ? Mirbeau admire son style si personnel, son dessin forcené, la valeur symbo- lique de ses couleurs, sa lumière chaude, sa ca- pacité à faire « déborder sa personnalité en illu- 8 minations ardentes sur tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il touchait, tout ce qu’il sentait ». L’expres- sionnisme avant la lettre. Mirbeau est le premier à acheter Les Iris et Les Tournesols, les tableaux parmi les plus chers du monde actuellement ! Les sculpteurs ne sont pas en reste : Auguste Rodin Pour Mirbeau, Rodin a été avec Monet « l’un des grands dieux de son coeur ». à partir de 1885, il lui consacre une dizaine d’articles enthousiastes et participe à toutes ses grandes batailles. Il voit en lui le suc- cesseur de Michel-Ange, qui a su exprimer la vie par le mouvement et synthétiser les sentiments humains les plus poignants et le tragique de la condition humaine. Rodin, reconnaissant, écrit à Mirbeau en 1910 : « Vous avez tout fait dans ma vie, et vous en avez fait le succès ». Camille Claudel Mirbeau a très tôt, dès 1893, commenté La Valse et proclamé le « génie » de Camille Claudel, qui ne sera reconnu qu’un siècle plus tard. Il plai- dera auprès de l’Etat pour qu’elle puisse obtenir des commandes et vivre de son art. Sans grand succès. Aristide Maillol Aux antipodes de Rodin par sa sérénité et son statisme, c’est encore Mirbeau qui a su le dis- tinguer contre les critiques incompréhensifs, prouvant l’éclectisme de ses jugements et son refus des étiquettes réductrices. Avec le recul, force est de constater que Mirbeau fut un for- midable visionnaire, en affirmant les droits de la subjectivité contre les critères dogmatiques rigides et étriqués. Mais il ne se contente pas de promouvoir les génies méconnus de la création artistique. Il encourage aussi les artistes plus se- condaires. Qu’il nous soit permis d’évoquer en conclusion l’excellent peintre Maxime Maufra, ami de Gauguin (ils étaient rares), bien représen- té dans la collection permanente des musées de Pont-Aven et de Quimper. Il a vécu et est inhu- mé à Saint-Pierre-Quiberon. Son petit-fils nous confiait que les parents du peintre voulaient le voir prendre la suite de l’entreprise familiale à Nantes et surtout ne pas faire carrière dans la peinture. Un article élogieux de Mirbeau en 1886 révéla Maufra et leva toutes les réticences familiales... Le rôle d’Octave Mirbeau dans l’his- toire des beaux-arts aura été considérable. Nous n’avons fait que l’esquisser. Jean-Paul uploads/s3/ jean-paul-kervadec-octave-mirbeau-1847-1917-prophete-de-l-x27-art-moderne.pdf

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