MANUSCRITS DE 1844 Dans la même collection MAL THUS, Essai sur le principe de p

MANUSCRITS DE 1844 Dans la même collection MAL THUS, Essai sur le principe de population. MARX & ENGELS, Manifeste du Parti Communiste. QUESNAY, Physiocratie. RICARDO, Principes de /'économie politique et de l'impôt. SAY, Cours d'économie politique et autres essais. SMITH, La richesse des nations. KARL MARX MANUSCRITS DE 1844,>'i Traduction inédite de Jacques-Pierre GoUGEON Introduction, notes, bibliographie et chronologie de Jean SALEM GF Flammarion © Flammarion, Paris, 1996. ISBN: 2-08-070789-2 INTRODUCTION En qualité d'œuvre de jeunesse de Marx, les Manus­ crits de 1844 présentent l'aspect de ce singulier objet qu'exhibait Jarry: le« crâne de Voltaire enfant•. Leur auteur y a consigné, fixé, ce qui, pour l'his­ toire, ne sera jamais qu'un moment de son évo­ lution théorique. Pour une autre raison encore, la double inspiration des Manuscrits - tentative de rencontrer le fondement d'une nouvelle organisation sociale et présupposition d'un idéal abstrait de l'homme - n'est nullement celle d'un ouvrage hors du temps. De Hegel, Marx reprend l'idée du deve­ nir historique de l'homme ; de Feuerbach, la critique de la philosophie spéculative et le rapport homme / homme comme principe de base de la théorie. Sans être une svnthèse ni une compilation, ces Manuscrits se présentent donc, aussi bien, comme un résultat 1• Ils posent, à ce titre, deux difficultés prin­ cipales. La première tient à ce qu'apparaissent, dès 1844, des thèmes qui seront inévitablement repris dans les œuvres de la maturité. A cette époque, dira­ t-on, Marx ne « voit • pas encore telle vérité, il a déjà pris conscience de telle autre réalité. Il s'agira 1. É. Bottigelli, Présentation da Manuscrits de 1844 de Karl Marx, Paris, Éd. sociales, 1972, p. XL. 8 MANUSCRITS DE 1844 donc de déterminer si « le jeune Marx appartient au marxisme 2 •, ou si, tout à l'inverse, ces Manuscrits sont plus proches de l'hégélianisme que du marxisme tel qu'il se présente à l'état achevé. Seconde difficulté : quel est le sens des Manuscrits ? Nous verrons comment ce sens est manifesté par l'usage que fait Marx de la catégorie de travail, qui est la plus fondamentale des trois qu'il emploie le plus f.:équemment dans ses textes de jeunesse : travail, propriété, aliénation. Car, pour échapper aux mécanismes explicatifs de Hegel, fondés sur le mou­ vement du concept, tout en restant dans le cadre d'une pensée spéculative, c'est ce thème d'un pro­ cessus prélogique désignant une activité matérielle orientée vers un projet qui lui parut le plus appro­ prié 3• Et c'est, précisément, grâce à l'analyse de ce que Marx déclare dans ces Manuscrits au sujet du travail, que nous serons à même de reformuler correc­ tement la question initiale : sommes-nous en pré­ sence d'une problématique hégélienne qui tente d'opérer le strict « renversement • ... de l'idéalisme hégélien 4, ou tenons-nous le « point crucial du tournant opéré par Marx en matière de sciences so­ ciales 5 ,. ? 1. SCIENCE ALIÉNÉE, MONDE All ÉNÉ La voie d'accès à l'étude du travail est l'analyse des symptômes de sa perversion. Il s'agira donc de décrire l'aliénation dans ses formes idéologiques pour remonter à ses formes concrètes, à son ori- 2. Recherches Internationales, XIX, 1960, n• 5-6 [Sur k jeune Marx], Présentation non signée, p. 3-9. 3. J. A. Giann otti, Origines de la dialectique du travail, Paris, Aubier, 1971, p. 30. 4. L. Althusser, Pour Marx, Paris, Maspéro, 1965, p. 27. 5. L. Pajitnov, ĕ Les Manuscrits économico-philosophiques de 1844 •, in Recherches Internationales, XIX , 1960, n• 5-6 [Sur k jeune Marx], p. 80-117 (cit., p. 117). INTRODUCTION 9 gine : le travail aliéné. Déjà employé, notamm ent, par Hegel (qui désignait par là une activité propre de l'idée absolue, posant à l'extérieur de soi la Nature comme moment de son devenir), ce terme d'« alié­ nation » recouvre chez Ludwig Feuerbach (1804- 1872) l'extériorisation par l'homme de ses qua­ lités essentielles en un Dieu totalement fantasma­ tique 6• Nombre de jeunes-hégéliens, tout en voulant sau­ vegarder cette critique de la religion, soulignèrent son caractère partiel. « L'aliénation a été dénoncée sur le plan théorique, disait Koeppen, mais non abolie dans la pratique 7• » Sous l'influence de Moses Hess 8, qui depuis la Triarchie européenne soulignait que le pro­ blème capital n'était pas tant politique que social, Marx considéra, à son tour, que l'aliénation ressor­ tissait moins à la religion qu'à l'État et à la société. Il s'agit, écrivait-il dès 1843, de critiquer « la vallée de larmes dont l'auréole est la rdigion 9 ». L'aliénation religieuse ne se passant que dans la conscience, c'est donc presque naturellement que l'aliénation écono­ mique est clairement désignée, en 1844, comme celle de la vie réelle 10• La misère résulte de l'essence du travail actuel 11• Marx n'en étudie pas moins, dans unl premier temps, sa reproduction idéologique, c'est­ à-dire l'économie politique classique, laquelle passe, à ses yeux indignés, pour une discipline hypocrite, inhumaine et toujours soucieuse de s'en tenir à la complaisante description du donné le plus immédiat. 6. Cf. L. Feuerbach., L'Essence du christianisme [1841], trad. J.-P. Osier, Paris, Maspéro, 1973. 7. Fr. Koeppen, Compte rendu de l'ouvrage de Schlosser: His­ toire du XVIJJ• siècle jusqu'à la chute de l'Empire français, in Annales allemandes, 4, 5 et 7 janvier 1842. 8. Cf. A. Cornu, Karl Marx et Friedrich Engels, t. II, Paris, PUF, 1955-1970, p. 137, n. 2; et ibid., p. 325. 9. K. Marx , Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, trad. M. Simon, Paris, Aubier, 1971, p. 53. IO. Cf. ci-dessous : K. Marx, Manuscrits de 1844, p. 145. 1 1. Ibid., p. 63. 10 MANUSCRITS DE 1844 1. Critique de l'économie politique 12 a) Hypocrisie Le point de départ nécessaire de la critique de l'éco­ nomie politique, c'est la contradiction flagrante entre la pauvreté et la richesse dans le régime de la propriété privée u. Une pléiade d'auteurs l'ont dénoncée, parmi lesquels Hegel lui-même qui écrit : l'accumulation des richesses augmente d'une part, mais d'autre part toute une classe d'hommes, pour qui le travail n'est qu'une corvée, est livrée à la pauvreté par les incessantes variations du marché 14• On découvre soudain, ren­ chérit Moses Hess, qu'il y a encore au xixe siècle des ilotes 1'. De même que se sont opposés autrefois le maître et l'esclave, plus tard le patricien et le plébéien, ensuite le suzerain et le vassal, on voit s'opposer aujourd'hui l'oisif et le travailleur, écrit Gans 16• Ainsi, ce qui s'oppose à l'émancipation de l'humanité, c'est l'inégalité sociale qui dresse les hommes les uns contre les autres 17• Car la réalité est celle-ci : s'il est vrai que le travail produit des merveilles pour les riches, il produit le 12. Tous les auteurs cités par Marx dans ces Manuscrits ne sont pas, loin de là, mis sur le même plan. La critique vise l'économie politique classique dont les principaux représentants sont : Smith, Say, Ricardo, Malthus, Mac Culloch. Sismondi et Buret (sociali­ sants), Pecqueur (partisan de la socialisation des moyens de pro­ duction) illustrent plus souvent un développement qu'ils ne sont matière à critique. Schulz (1797-1860), enfin, a une place à part : son • matérialisme historique • sera l'une des sources essentielles de L'idéologie allem ande; sa critique des économistes et des catégories qu'ils emploient inspire assez largement Marx dans les Manuscrits ck 1844. 13. J. A. Giannotti, Origines ck la dialeczi4ue du travail, op. cit., p. 91. 14. G. W. F. Hegel, Principes ck la philosophie du droit (1821), § 243, trad. A. Kaan, Paris, Gallimard , 1940, p. 261. 15. Th. Zlocisti, Moses Hess. Sozialistische Aufsiitze (1844-1847), Berlin, Welt-Verlag, 1921, p. 33. 16. E. Gans, Rückblicke au/ Personen und Zustii nde, Berlin, Veit, 1836, p. 100-101. Marx suivit les leçons de ce Gans en 1836-1837, à Berlin. 17. Cf. M. Hess, Die europâische Trian:hie, Leipzig, O. Wigand, 1841, p. 173. INTRODUCTION 11 dénuement pour l'ouvrier 18. Smith affirme qu'à l'ori­ gine « le produit entier du travail appartient à l'ouvrier 19 •. Mais il reconnaît en même temps que c'est la partie la plus petite et strictement indispen­ sable du produit qui lui revient 20. L'économiste dit en même temps que tout s'achète avec du travail, et que les prolétaires sont contraints de se vendre au jour le jour 21• Dans le cas d'un appauvrissement général, l'ouvrier souffr e dans son existence (misère croissante de l'ouvrier) 22, le capitaliste « dans le profit de son veau d'or inerte 23 •· Si la richesse de la société aug­ mente, au contraire, une crise de surproduction sur­ vient bientôt, qui entraîne la concurrence la plus acharnée entre les petits capitalistes ruinés, tombés dans le prolétariat, et leurs anciens employés ( compli­ cation de la misère) 24• Au plus haut niveau de la richesse, le capitaliste n'est plus poussé à investir; c'est l'état où le salaire est maintenu au plus bas (misère stationnaire) 25• Aussi, tandis que, d'après les économistes, l'intérêt de l'ouvrier ne s'oppose jamais à l'intérêt de la société, la société s'oppose toujours et nécessairement uploads/s3/ karl-marx-manuscrits-de-1844-1 1 .pdf

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