UN POINT D’ACTU UN POINT D’ACTU 112L'ART NUMÉRIQUE Un point d’actu e n décembre

UN POINT D’ACTU UN POINT D’ACTU 112L'ART NUMÉRIQUE Un point d’actu e n décembre dernier, nous avons abordé la question de l'écriture hypertextuelle avec celle de la publication en ligne ; nous traitons dans ce « Point d'actu » du thème de l'art numérique au-delà de l'image du même nom. Dans un domaine où les artistes travaillent autant les modes de communication et d'interactivité que les contenus et les formes, il faut donner quelques moyens pratiques de découvrir les œuvres, les sites web, et proposer quelques repères qui en facilitent l'appropriation ; décrire les dispositifs et en commenter les intentions. Prise en compte des formes antérieures de l'image, interrogation de son statut dans un contexte interactif : ces deux démarches aident à dépasser les naïvetés et les vertiges de l'hypertechnologie. L ’image numérique est la dernière étape d’une évolution technique longue et discontinue qui a débuté il y a environ trente mille ans. Produite à l’origine avec la main, prolongée par quelques outils rela- tivement simples, l’image est maintenant engendrée par des procédés entièrement automatiques. Cette automatisation dont on relève déjà les prémices dans les techniques fort anciennes du tissage, de la tapisse- rie et de la mosaïque, s’accélère à la Renaissance avec la mise au point de la perspective et de ses machines optiques, franchit une étape supérieure avec la photo- graphie, le cinéma et la télévision, et atteint sa forme actuelle au cours des années soixante-dix qui voient naître et se répandre l’image numérique en deux et trois dimensions, fixe ou animée. Mais l’image numé- rique, tout en s’inscrivant dans le même mouvement d’automatisation, introduit une rupture radicale avec les processus qui la précèdent. Elle est dotée de pro- priétés techniques sans précédent. De la trace au calcul L’image numérique peut être : 1. le produit d’un traitement entièrement automa- tique de l’information visuelle ; 2. l’occasion d’entretenir une sorte de dialogue avec celui qui la crée ou qui la reçoit. Elle est calculée et interactive. Ces deux qualités la distinguent fondamentalement des images tradition- nelles. Alors que ces dernières sont toujours obtenues par l’enregistrement d’une trace — trace matérielle (pig- ments, encres, etc.) dans le dessin, la peinture, l’impri- merie, trace optique-chimique dans la photographie, l’holographie et le cinéma ou trace optique-électro- nique dans la vidéo-télévision —, l’image numérique l'art numérique L’IMAGE NUM De quelles ruptures avec l'image traditionnelle le statut de l'image numérique est-il le résultat, notamment dans le domaine de l'art ? Edmond Couchot PROFESSEUR ÉMÉRITE DES UNIVERSITÉS L'ART NUMÉRIQUE113 Un point d’actu n’est plus une empreinte laissée par un objet ou un rayonnement énergétique sur un support, elle est le résultat d’un calcul programmé effectué par un ordina- teur. Ses processus de fabrication ne sont plus phy- siques (matériels ou énergétiques) mais computation- nels et langagiers. Toutefois, l’image numérique ne saurait être réduite à une pure virtualité, car elle s’ac- tualise sur des supports bien réels (écran, papier, film, etc.). Elle est paradoxalement virtuelle et réelle. Les images numériques diffèrent encore des autres images par la façon dont elles sont « distribuées », au sens large, c’est-à-dire données à voir, reproduites, conservées, mises en circulation — en fin de compte socialisées. Leur mode de réception est dit « conversa- tionnel » ou, plus couramment, « interactif ». On parle aussi de mode « dialogique » dans une acception plus théorique pour insister sur la présence d’un logos (une raison non plus graphique mais informationnelle) à tra- vers laquelle s’établissent les échanges entre le regar- deur et l’image. Le mode dialogique offre la possibilité d’agir sur l’image sans interrompre les processus de calcul grâce à de multiples interfaces, telles que le cla- vier, la souris et l’écran, ou d’autres dispositifs mettant en jeu des processus physiques ou corporels com- plexes. On dit alors que le dialogue a lieu en « temps réel » ; le regardeur a l’impression que l’image répond instantanément à son action, le temps du calcul restant non perceptible. Les réponses de l’ordi- nateur peuvent être plus ou moins complexes selon les calculs effectués, de même que les informations transmises à l’ordinateur par les inter- faces. Un changement de statut Ces deux caractéristiques entraînent une série de consé- quences importantes, sans précédent dans l’histoire, qui transforment le statut symbolique, économique, social et politique de l’image, ainsi que sa place dans les arts visuels. 1. Pour la première fois, en effet, les modes de pro- duction et les modes de réception de l’image sont réglés par la même technologie. Créer une image numé- rique et la donner à voir empruntent la même machine: l’ordinateur et ses périphériques, notamment les réseaux numériques. Créateurs, créations, médiateurs et publics ÉRIQUE AU-DELÀ DES PARADOXES vivent dorénavant à l’heure du numérique. 2. Les matériaux et les outils numériques, utilisés aussi bien pour produire que pour distribuer ces images, sont ceux de la programmation : des langages « forma- lisés », élaborés à partir de modèles logiques et mathématiques issus des sciences les plus diverses. L’image numérique, en tant que tech- nique, s’alimente à un fonds commun scienti- fique comme jamais aucune image ne l’a fait auparavant. Cela implique encore deux conséquences capi- tales. Première conséquence : un changement de régime figuratif. Les modèles empruntés à la science sont des modèles de simulation. Si la photo d’une pomme ren- voie par enregistrement optique à la présence d’une pomme réelle saisie par l’appareil à un moment précis, l’image d’une pomme numérique (quand elle est tota- lement calculée ou dite de synthèse) ne renvoie à aucune pomme réelle ; elle n’est que l’actualisation d’un programme sans lien direct (indiciaire) avec le réel. La photo de la pomme est une re-présentation, l’image numérique de la pomme est une simulation. Le régime figuratif du numérique n’est plus celui de la représentation, mais celui de la simulation. Ce qui en « Pour la première fois, les modes de production et les modes de réception de l’image sont réglés par la même technologie. » 114L'ART NUMÉRIQUE Un point d’actu avec l’appareillage classique de la photographie. Cet usage est maintenant courant dans toutes les pra- tiques graphiques, où une multitude d’applications informatiques permettant les effets les plus clas- siques, en même temps que les plus inédits, sont à la disposition des artistes. Il en va de même dans le cinéma et la vidéo. … ou méta-outil? À l’opposé, d’autres artistes cherchent à explorer les possibilités techniques et artistiques qui n’existaient pas auparavant, tout particulièrement le mode dialo- gique, la simulation de mondes virtuels enveloppants, les réseaux numériques, des interfaçages originaux. Un art nouveau, s’appuyant sur des esthétiques innovantes, est né et continue de se développer — notons-le — en marge de l’art dit « contemporain » fortement institué. Selon le point de vue dont on considère les images numériques, on constate donc que les unes s’inscri- vent dans une continuité quasi linéaire avec des pra- tiques artistiques précédentes, longuement éprouvées, et les prolongent, tandis que les autres rompent radi- calement avec celles-ci et proposent d’autres esthé- tiques. Il faut noter encore qu’entre ces deux pôles s’étend le vaste domaine du multimédia où se croisent à la fois les techniques traditionnelles de l’image (des- sin, peinture, photo, images animées), du texte et du son, et les techniques interactives de réception (hors ligne, avec le CD-Rom, ou en ligne, avec les réseaux) propres au numérique. C’est cet aspect paradoxal de l’image numérique — et du numérique en général — qui a rendu difficile la compréhension du phénomène. De nouvelles conditions pour la création Notons encore au passage, sans vouloir trop élargir notre réflexion aux autres pratiques artistiques, que ces caractéristiques et ces paradoxes propres à l’image le sont tout aussi bien au son (de la voix et de la musique) et dans une certaine mesure au texte, avec les possi- bilités de simulation introduites par la technologie hyper- textuelle. La transversalité du numérique donne à l’image numérique un caractère hybride extrêmement marqué. Réduite à de pures entités informationnelles (les pixels), elle peut hybrider les formes, les couleurs, les textures, les mouvements les plus divers ; mais tout autant, l’image traditionnelle, sitôt qu’elle est numérisée (c’est-à-dire réduite à des pixels et soustraite à ses sup- ports d’origine), est susceptible de s’hybrider à toute autre image, ou à des images de synthèse. Et toutes ces images hybrides sont encore capables de s’hybrider avec toutes sortes de sons et de textes. En outre, comme on l’a constaté, l’image numérique est aussi le résultat d’une hybridation très singulière : celle qu’elle entretient avec la technoscience puisque celle-ci pénètre désormais au cœur de l’image. L’image et l’art ont toujours entretenu des liens, parfois très étroits, avec la science. S’inspirant des modèles issus de soi est une révolution dans les rapports de l’image au monde. Mais le propre de la simulation étant de simu- ler, l’image numérique est ainsi capable de simuler les images traditionnelles obtenues par les procé- dés optiques, chimiques et électroniques. La simu- lation simule très souvent la représentation. Seconde conséquence: une implication accrue de l’image dans la mondialisation de la uploads/s3/ l-x27-image-numerique-edmond-couchot.pdf

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