QUE SAIS-JE ? Le jazz LUCIEN MALSON Agrégé de philosophie Compositeur et arrang

QUE SAIS-JE ? Le jazz LUCIEN MALSON Agrégé de philosophie Compositeur et arrangeur CHRISTIAN BELLEST Ancien professeur de Conservatoire à la Ville de Paris Chargé des cours de jazz (Luxembourg VIe) Septième édition mise à jour 34e mille Introduction e livre est, fondamentalement, d’intention pédagogique et ses auteurs s’y présentent, dès la première page, comme enseignants. Certes, ce travail a l’ambition de manifester à tout lecteur l’essence du jazz, le terreau où il s’enracine et, surtout, ses développements buissonnants, mais il a la volonté, aussi, de s’adresser à ceux qui, étudiant dans des écoles de musique ou dans diverses structures des universités, cherchent un point d’amorce, un point d’appui qui ne néglige pas les aspects techniques de l’objet abordé. L’éclairage est, par choix délibéré, musicologique. Non que nous considérions l’insertion sociale d’un art comme une réalité sans importance mais, depuis la fin des années 1950, depuis l’article « Une musique et un peuple », qui ouvrait le premier numéro des Cahiers du Jazz, nombreux sont les ouvrages qui situent avec soin la naissance et l’évolution du phénomène dans son contexte économique, politique, idéologique. La description des faits musicaux n’a pas bénéficié de la même attention constante. Puisse ce livre contribuer à rétablir un équilibre dans les espaces des bibliothèques. Avec Les Maîtres du jazz, l’un de nous a cherché à ne pas ajouter une nouvelle histoire chronologique à beaucoup de celles qui existaient ailleurs. En écrivant ce volume nous avons déplacé l’accent : il est mis cette fois sur les styles et non sur les seules grandes personnalités. Les auteurs sont assez différents l’un de l’autre dans les compétences pour que leurs efforts associés se soient enrichis d’apports réciproques et, simultanément, assez semblables dans les opinions, pour que le dialogue ait été possible, fructueux, et la synthèse assumable en commun. Nous avons sauté le pas en proposant quelques exemples, quelques relevés sur portée. Nous sommes bien évidemment convaincus que les schémas ne fournissent que des indications formelles, structurelles. Ils ont pour but de renvoyer aux disques. Ils peuvent aider, cependant, comme le commentaire littéraire, à mieux percevoir. En une époque où les classes de jazz se multiplient, où un concours de professorat spécifique existe, et pour longtemps, il nous a semblé utile de donner discrètement ces informations graphiques. Nous rassurons tout le monde : ceux qui n’y trouveront pas avantage pourront puiser satisfaction dans la seule lecture du texte. C Chapitre I Origines et caractéristiques du jazz I. Origines e la fin du xixe siècle au début du xxie, on peut compter plus de cent ans de musiques afro- américaines, sinon de jazz proprement dit. Encore que sa forme vocale, avec le blues (s’ajoutant à celle du spiritual, antérieure), et un matériau capital, avec le ragtime, peuvent être considérés comme les éléments de son état gestationnel. Assigner au jazz une année de naissance, ne serait qu’un effet de décision hasardeuse. Disons que, au cours de la période qui s’étend de 1885 à 1910, quelques Noirs de la Louisiane ont noué un ensemble de traditions musicales et les ont, ainsi, à la fois conservées et dépassées. A) Les survivances africaines Qu’une de ses composantes consiste en un faisceau d’apports africains, c’est ce qui est immédiatement sensible dans le jazz. Les Noirs arrachés au sol natal à l’époque de la traite étaient, pour leur majorité, ceux des territoires s’étendant du Cameroun au Sénégal, lieux de la plus riche civilisation négro-africaine, civilisation dite « de la forêt » (par opposition à celle « de la savane », plus ouverte à l’influence musulmane, et donc moins typiquement noire). Pas loin de 90 % des déportés provenaient des régions de l’Ouest africain situées, mis à part l’Angola, au nord de l’équateur. Des lambeaux de culture originelle ont survécu parmi les esclaves en dépit, d’un effort, de démantèlement des groupes tribaux. Une tradition instrumentale, chorégraphique et vocale s’est, tant bien que mal, perpétuée, triomphant du brassage des coutumes et de la multiplicité mêlée des dialectes. Ainsi les joueurs de tambour ont-ils continué de procéder, à partir d’un thème, à des dérivations complexes, tirant parti d’un donné rythmique comme les musiciens de l’Europe développaient un donné mélodique et harmonique. Les chanteurs et les manipulateurs de protobanjos ou de balafons se sont associés aux tambourinaires pour accomplir des cérémonies sonores collectives. Certains aspects de cette conduite africaine persévéreront dans le premier jazz tandis que se maintiendront dans le preaching les procédures responsoriales. En revanche, la polyrythmie s’atténuera en Amérique du Nord où elle ne sera retrouvée que beaucoup plus tard. La tradition africaine c’était, avant tout, un goût pour les timbres triturés, adultérés, effaçant la frontière incertaine qui passe entre le son et le bruit, et dont a magistralement parlé André Schaeffner dans son livre Le Jazz, de 1926. C’était, aussi, le souci permanent du tempo, dans une perspective ritualiste qui ne séparait pas la musique de la danse et du chant perpétuellement rythmés. Ce qui fut sauvé par le travailleur déporté, et qui reste l’essence de l’africanité, c’est une manière originale de faire vivre le son et le rythme, manière qui évoluera dans le jazz sans pour autant totalement D s’effondrer. B) Une musique de déracinés En Amérique, l’Africain se souvint des chants et danses du terroir originel et, dans le « Sud profond », rencontrant le protestantisme, se mit à traiter les cantiques à sa façon. Le choral noir sembla aux premiers observateurs blancs bémoliser le mi et le si, dans la gamme de do majeur. La tradition africaine conduisit en outre les exilés à accompagner les chanteurs de battements de mains sur les deuxième et quatrième temps de la mesure, cette accentuation devenant plus présente à l’oreille que celle des temps forts (premier et troisième). Elle apportait une densité rythmique nouvelle. Ressaisie de telle sorte, la musique religieuse des planteurs devint une musique spécifiquement noire, le spiritual, appelé gospel au milieu des années 1940. À partir de ces chants religieux transformés, des chants africains survivants et des chants rustiques du Sud (tels que Go Down Old Hannah, Pick a Bale of Cotton ), un folklore noir américain s’est constitué, d’une part, dans le cadre des ballades (ex. Saint James Infirmary), d’autre part, sous la forme des blues (John Henry). Des plus anciens pèlerins noirs : Charley Patton, Blind Blake, Leadbelly, Blind Lemon Jefferson, jusqu’aux artistes de plus jeunes générations : Albert King, B. B. King, Freddie King, Albert Collins, Stevie Ray Vaughan, en passant par Leroy Carr, Elmore James, Muddy Waters, John Lee Hooker, la tradition du blues chanté s’est maintenue vivante soit par le fait des vocalistes s’accompagnant eux-mêmes à la guitare ou au piano, soit par l’entremise des orchestres de jazz de tous styles et des chanteuses populaires (Bessie Smith, Ethel Waters, Memphis Minnie, Etta James). C) Quelques composantes blanches Avec le blues primitif l’art musical noir demeurait essentiellement vocal. Mais, au xixe siècle, et plus précisément dans les dernières décennies, les Noirs de la Louisiane formèrent quelques orphéons qui reprirent les polkas, les quadrilles, les marches et les airs à la mode chez les Blancs. Vers la fin du xixe siècle surgit le ragtime, musique en premier lieu destinée au piano et qui consiste en une adaptation par les hommes de couleur de la culture profane européenne. À la forme du ragtime adoptée par le jazz pendant ses premières époques, se substitua celle des « songs », chansons populaires américaines blanches qui s’ordonnent souvent en quatre phrases : AABA, de huit mesures chacune, la troisième, appelée bridge, faisant pont (ex. Lady Be Good, Sweet Sue, Honeysuckle Rose). À la fin du xviiie siècle et tout au long du xixe, la musique des Noirs, qui amusait leurs exploiteurs, eut une traduction satirique blanche dans l’art des Minstrels (ménestrels). Simultanément, les Noirs imitèrent leurs imitateurs, et se brocardèrent eux-mêmes. Minstrels noirs et minstrels blancs vécurent d’emprunts réciproques en une tragi-comédie acide qu’a savamment racontée Jean-Christophe Averty. D) Le jazz au début du XXe siècle Lorsque, au-delà des années 1880, des orchestres de bastringue de La Nouvelle-Orléans joignirent les blues et les rags à leur répertoire de danse, le jazz, en tant que style musical original, dut prendre forme. L’ensemble de Buddy Bolden paraît bien avoir été le premier orchestre noir de jazz dans les tavernes de la ville mais ce jazz se jouait aussi – on l’oublie trop souvent – pour les fêtes champêtres, pour les pique-niques des bords du lac Pontchartrain, les enterrements, les défilés fantastiques du Carnaval, et, parfois, juchés sur un chariot ou sur un camion, les musiciens s’affrontaient en un bucking contest ou cutting contest à l’issue duquel le public acclamait un vainqueur. II. Caractéristiques A) Un traitement particulier du son En s’emparant des instruments de musique, le joueur de jazz tenta de transposer en eux les effets de voix des chanteurs africains. Ainsi, au lieu d’émettre le son de manière franche et à sa hauteur « normale », le musicien de jazz put faire varier en cours d’émission l’intensité de ce son et sa résonance et le hisser ou uploads/s3/ le-jazz-lucien-malson-christian-belles.pdf

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