Revue Proteus – Cahiers des théories de l'art 1 Revue Proteus n°1, le médium Éd
Revue Proteus – Cahiers des théories de l'art 1 Revue Proteus n°1, le médium Édito La notion de médium, suite à l'attention théorique dont elle a bénéficié dans les années 1960, est porteuse d'un soupçon. Celui de faire peser sur la création artistique un assujettissement philosophique, contraignant les artistes à défendre des positions plus que des œuvres. On se souvient du différent houleux qui opposa M. Fried à D. Judd dans les colonnes d'Art- forum, quant à savoir si le médium sculpture ne se présentait pas sous les atours grossiers du théâtre... Jouer une forme d'art contre l'autre semblait pour le critique d'art de l'époque diviser pour mieux régner. Cette ques- tion datée de l'assujettissement a donc réactivé un problème épineux, l'ar- tiste doit-il faire exister dans le texte un parti pris que sa démarche artis- tique, manifestement, n'exprime pas de façon textuelle ? Il y a toutes les raisons de croire que le texte fait figure de supplément d'âme des avant- garde. Celle-ci étant révolues, on ne peut que constater l'abandon relatif de l'écriture théorique par les artistes. Par conséquent proposer une réflexion sur le médium dans une revue de théorie de l'art pourrait sem- bler profiter du silence des artistes, une stratégie en somme d'occupation philosophique de l'espace. Il n'en est rien. Le silence des artistes ne pro- fite à personne, mais leurs œuvres ne cessent pour nous d'être une source d'inspiration que la polémique ou l'invective partisane ne saurait plus venir gêner [gâcher ?]. Le début du XXIe siècle a vu s'installer de nouvelles pratiques d'exposition : des films se projettent couramment dans les centres d'art, des romans se voient exposés dans des musées. Les photo- graphies peuvent être des sculptures, l'écriture des tableaux. L'exposition elle-même s'est vu qualifiée de médium artistique, à l'occasion notam- ment du passage de Philippe Parreno au Centre Georges Pompidou. Le médium ne semble plus se penser seulement comme une propriété de l'objet. L'artiste se plaît à exploiter les puissances enfouies dans l'ancrage solide que le médium semble encore avoir ; comme un funambule, il opère sur le fil du rasoir en cherchant les cas limites, les singularités, les entre-deux infra-minces faisant que telle œuvre d'art brouille les attentes, mette à jour les idées reçues, autrement dit que telle œuvre soit une œuvre d'art. Ces pratiques dans leurs écarts, nous sont passionnantes. Aussi les contributeurs de ce ce numéro #1 ne boudent-ils pas leur plaisir de penser ces objets, ces écarts, actuels ou plus anciens, dans l'éclairage que peut encore fournir le médium, lequel ne fâche plus personne. Benjamin RIADO et Bruno TRENTINI 2 Revue Proteus – Cahiers des théories de l'art Sommaire le médium « Le médium d’un rythme » Isabelle DAVY (UNIVERSITÉ PARIS VIII)....................................................................................................................4 Regards croisés sur le Principe d'équivalence de Robert Filliou – Une œuvre hors-médium Cécile MAHIOU (UNIVERSITÉ PARIS I) et Benjamin RIADO (UNIVERSITÉ PARIS I)................................................12 Le médium nomade du logogramme et du logoneige de Christian Dotremont Emmanuelle PELARD (UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL – UNIVERSITÉ BORDEAUX III)................................................20 Le carnet de voyage, de l'artialité vers l'intermédialité Pascale ARGOD (UNIVERSITÉ BORDEAUX IV)...........................................................................................................27 Minotaure : d’une couverture dalinienne ou le kaléidoscope avant-gardiste Mélanie GIRAUD (KENYON COLLEGE)......................................................................................................................36 hors-thème Être vues Sophie LIMARE (UNIVERSITÉ DE PAU)........................................................................................................................45 « De songes et de sorts » : une esthétique du blockbuster ? Isabelle CASTA (UNIVERSITÉ DE PICARDIE)...............................................................................................................53 Pour une typologie des processus citationnels dans la peinture Miguel EGAÑA (UNIVERSITÉ DE PICARDIE)...............................................................................................................59 3 Revue Proteus n°1, le médium « Le médium d’un rythme » Depuis l’apparition dans les années 1960 des per- formances et des installations, s’est constitué et développé un discours sur l’art d’ordre phénomé- nologique et psycho-sociologique qui, tout en essayant de lutter contre les oppositions courantes (sensible / intellect, production / réception, œuvre / public, sujet / objet…), fonctionne avec des notions reposant sur les mêmes catégories de pensée1. La primauté accordée à la notion usuelle d’espace et la valorisation de l’immédiateté concourent à une « idéologie de la présence »2 qui s’avère dommageable pour une réflexion sur l’es- pace-temps particulier d’une œuvre et sur son his- toricité. Les notions d’« espace », de « temps », de « corps », de « réel », de « public » sont en effet laissées sur un plan général, non abordées comme des notions historiques, susceptibles d’acquérir, par les œuvres, des valeurs singulières. Le médium tout particulièrement, dans le passage de la « pureté » à l’« hétérogénéité », semble avoir fait l’objet d’une extension notionnelle plus que d’une recherche conceptuelle. Dans cet article, nous souhaitons souligner combien peut être efficient le geste qui consiste à retirer la notion de sa gangue généralisante, non seulement pour appro- cher les œuvres dans leurs modalités spécifiques de rencontre mais aussi pour étudier globalement la question du médium en art. La démarche consiste à opérer un déplacement de point de vue de la spécificité d’une pratique artistique à la spé- cificité comme historicité d’une œuvre. Et fait l’hypothèse du « médium d’un rythme » ou médium du rythme d’une œuvre comme médium qui concourt à engendrer une œuvre tout en étant une émanation de celle-ci. L’idée repose sur un « système œuvre », système artistique, anthropolo- gique et historique par lequel s’inventent une 1. Nous traitons de la question des méthodes d’approche de ces œuvres dans un texte écrit pour Figures de l’Art, no 19, « Performance : studies ou boîte à outils », et intitulé « Pour une performance dans le rythme ! », publication en cours. 2. Jean LAUXEROIS, De l’Art à l’œuvre (I). Petit manifeste pour une politique de l’œuvre, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 39. œuvre et son public dans un processus à la fois subjectif et collectif de signifiance. De la spécificité d’une production artistique à la spécificité comme histori- cité d’une œuvre Il est communément admis qu’au « schéma moderniste » qui « valide la recherche de spécifi- cité des médiums » a succédé le « retournement postmoderne qui a conduit à l’indifférenciation des supports3 ». Les théoriciens de l’art s’ac- cordent sur la « multiplicité » ou l’« hétérogé- néité » des matériaux constituant les installations, l’« aspect protéiforme » de celles-ci4. La notion de « multimédia » fut avancée pour rendre compte des premières manifestations de happening, mais utilisée aussi pour parler d’installations, d’expé- riences théâtrales ou de CD-ROM. Elle désigne souvent une « multiplicité superposée de formes d’expression artistique5 ». Supposant une « auto- 3. Françoise PARFAIT, Vidéo : un Art contemporain, Éd. du Regard, 2001, p. 9. 4. Monique MAZA, Les Installations vidéo, « œuvres d’art », Paris, L’Harmattan, 1998, p. 36. 5. Voir l’article de Roberto BARBANTI, « La scène de l’art face aux nouvelles techniques de mémorisation et de diffusion du son : les origines des arts multi-media », Arts et nouvelles technologies, Jean-Marc Lachaud et Olivier Lussac( dir.), Paris, L’Harmattan, 2007, p. 22). Parmi les tentatives de classification, celle proposée par Stanley Gibb en 1973 oppose à des œuvres « multimedia », qui respectent « l’autonomie » des éléments, les œuvres « mixed- media » qui tendent à une « égalisation des ingrédients » et les œuvres « inter-media » manifestant une « interdépendance rigoureuse des diverses composantes ». Classification mentionnée par Daniel Charles dans un article intitulé « De Joan Miró à Francis Miroglio, graphique de la projection », Les Cahiers du CREM, n°6-7, déc.1987-mars 1988, p. 100. Article cité par R. BARBANTI, « La scène de l’art face aux nouvelles techniques de mémorisation et de diffusion du son : les origines des arts multi-media », loc. cit., p. 22, et par Jean-Yves BOSSEUR, « Les interactions musique/arts visuels et les nouvelles technologies », dans Arts et nouvelles technologies, loc. cit., p. 36. La classification témoigne d’un questionnement sur les rapports entre les constituants d’une œuvre mais fait de l’interrelation des éléments la caractéristique d’une catégorie d’œuvres seulement. Et même la relation interdépendante 4 Revue Proteus – Cahiers des théories de l'art nomie » des constituants, la notion témoigne d’une approche structurelle des œuvres. Nous ver- rons que la considération d’une œuvre par la notion de système permet de ménager un poten- tiel artistique et anthropologique là où la structure agit comme une grille de lecture. Plus tard, la notion de « dispositifs » fut énoncée par Anne- Marie Duguet dans une réflexion sur la « notion flottante » d’« installation vidéo », la diversité des œuvres rendant difficile une entreprise de défini- tion1. Le dispositif vidéographique (intégrant ou non le direct, employant ou non un ou des moni- teurs) peut être seul ou associé à d’autres objets, il peut englober le visiteur, être déterminé par la configuration du lieu ou rester compact, il peut proposer différents types de vision (frontalité, point de vue précis ou parcours) : la liste des oppositions et variables devient infi- nie quand on la recoupe en outre avec celle des problématiques ou des styles que chaque œuvre actualise2. C’est donc « à partir de considérations techniques élémentaires3 » que la vidéo est qualifiée d’« impure4 », en opposition à la « uploads/s3/ revue-proteus-cahiers-des-theories-de-la.pdf
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- Publié le Apv 28, 2021
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