82 LE RÔLE DES ECTOMYCORHIZES DANS LA NUTRITION AZOTÉE DES ARBRES FORESTIERS Cl
82 LE RÔLE DES ECTOMYCORHIZES DANS LA NUTRITION AZOTÉE DES ARBRES FORESTIERS Claude PLASSARD - M. CHALOT - B. BOTTON - F. MARTIN La disponibilité en azote est, avec l’eau, l’un des principaux facteurs limitant la croissance des arbres dans la plupart des écosystèmes forestiers des régions tempérées et boréales. Comme dans tous les écosystèmes, l’existence du cycle de l’azote (figure 1, p. 83) permet le recyclage perma- nent de cet élément entre des formes organiques produites au cours de la vie des différents orga- nismes de l’écosystème et des formes minérales utilisées par les végétaux. Dans les écosystèmes forestiers, les vitesses de minéralisation de l’azote protéique sont généralement lentes, aboutissant à une accumulation d’azote organique qui peut représenter jusqu’à 90 % de la quantité d’azote total du sol forestier. Mais cet azote organique, séquestré dans la biomasse végétale ou animale, dans la litière ou le sol, est peu accessible aux arbres qui utilisent préférentiellement l’azote inorganique (NH4 +, NO3 –). Cependant, dans les écosystèmes non perturbés, les racines des grandes essences sylvicoles des forêts tempérées et boréales (exemple : Pins, Épicéa, Chêne, Hêtre) portent généralement des ecto- mycorhizes qui peuvent être formées par plusieurs centaines d’espèces de champignons basidio- mycètes (exemple : Amanites, Bolets) et ascomycètes (exemple : Truffes). Morphologiquement, on distingue souvent parfaitement une racine courte ectomycorhizée d’une racine courte non mycorhi- zée par la présence du manteau fongique externe recouvrant la racine mycorhizée (figures 1 et 2, p. 83). Les filaments mycéliens de ce manteau se développent d’une part vers l’intérieur de la racine, en s’insinuant entre les cellules du cortex racinaire et d’autre part vers l’extérieur de la racine pour constituer un réseau extraradiculaire (figure 2, p. 83). Alors que la croissance des hyphes à l’in- térieur de la racine est limitée par la présence de l’endoderme, la croissance des filaments externes peut être extrêmement importante (jusqu’à 1 000 m de mycélium/m de racine), augmentant ainsi considérablement le volume de sol prospecté. Si un mycélium qui explore ce volume de sol est capable de mobiliser des éléments minéraux inaccessibles aux racines de la plante-hôte et de les lui fournir, sous leur forme initiale ou après les avoir transformés, à travers les ectomycorhizes, on comprend facilement que l’établissement d’associations symbiotiques mycorhiziennes apparaisse comme une stratégie importante développée par les arbres afin d’assurer leur survie et leur croissance (Harley et Smith, 1983). Les champignons ectomycorhiziens et les plantes ligneuses avec lesquelles ils s’associent appar- tiennent à deux groupes végétaux distincts, les thallophytes et les végétaux vasculaires respective- ment, et ces végétaux diffèrent fondamentalement entre eux. Par exemple, vis-à-vis du carbone, les arbres sont autotrophes alors que les champignons sont hétérotrophes pour cet élément. Dans les associations ectomycorhiziennes, la plante-hôte fournit donc le carbone nécessaire au développe- ment du partenaire fongique. De la même façon que pour le carbone, il est donc envisageable que ces organismes diffèrent dans leurs capacités à utiliser les différentes formes d’azote qui vont se trouver dans un sol. Nous avons vu plus haut qu’il est communément admis que les arbres Le fonctionnement des symbioses mycorhiziennes 83 Rev. For. Fr. XLIX - n° sp. 1997 Figure 1 LE CYCLE DE L’AZOTE ET LE RÔLE POTENTIEL DES ECTOMYCORHIZES DANS L’UTILISATION DES DIFFÉRENTES FORMES DE L’AZOTE DU SOL Le cycle de l’azote aboutit à la formation d’azote minéral soluble à partir de l’azote protéique contenu dans les débris animaux et végétaux. L’action des ectomycorhizes peut s’effectuer aux différents niveaux indiqués par les flèches en pointillé. Figure 2 REPRÉSENTATION SCHÉMATIQUE D’UNE COUPE LONGITUDINALE D’UNE RACINE COURTE DE CONIFÈRE NON MYCORHIZÉE (a) ET ECTOMYCORHIZÉE (b) En absence de mycorhization, la racine courte présente de nombreux poils absorbants qui disparaissent après infection et formation du manteau fongique externe. Débris animaux et végétaux N organique insoluble (protéines) N organique soluble (acides aminés) N minéral soluble (NH4+/NO3–) Ectomycorhizes Mycélium Racine Zone méristématique sans mycélium Cylindre central sans mycélium Cortex racinaire colonisé (Réseau de Hartig) Manteau Endoderme Filaments externes Zone méristématique Poils absorbants Cortex Endoderme Cylindre central 2a 2b fabriquent leurs protéines (1) principalement à partir de l’azote minéral de la solution du sol. Cependant qu’en est-il des champignons ectomycorhiziens ? Présentent-ils les mêmes caractéris- tiques ou sont-ils au contraire capables d’utiliser des formes d’azote plus variées, comme par exemple des formes protéiques non accessibles aux végétaux supérieurs ? Après avoir mobilisé de l’azote, sont-ils capables de le fournir à la plante-hôte, et si oui sous quelle forme et à quel prix pour la plante ? Et enfin, est-il possible de sélectionner des espèces fongiques efficaces dans l’amélio- ration de la nutrition azotée des arbres forestiers ? Le but de cet article est de faire le point sur ces questions en s’appuyant sur les résultats obtenus au cours des recherches menées sur les ecto- mycorhizes durant ces dernières années. LES MYCORHIZES ET L’AZOTE ORGANIQUE L’azote organique peut se trouver principalement sous deux formes : insoluble (les protéines) ou soluble (les petits peptides et les acides aminés (2)). Les données sur les capacités d’utilisation de ces deux formes d’azote par les champignons ectomycorhiziens et les ectomycorhizes ont large- ment progressé au cours de ces dernières années et c’est dans cet ordre que nous les évoquerons successivement. Les protéines Dans tout écosystème non perturbé, la première étape de la minéralisation de l’azote est l’hydrolyse des liaisons peptidiques (3) des protéines contenues dans les débris végétaux et animaux sous l’action d’enzymes spécifiques, appelées protéases, pour produire de l’azote organique soluble (figure 1, p. 83). En conditions contrôlées de laboratoire, les arbres non mycorhizés sont généralement inca- pables de se développer sur des milieux contenant des protéines insolubles comme seule source d’azote, confirmant que leur capacité de production des protéases est très faible. Par contre, la mycorhization des espèces ligneuses permet une croissance de la plante dans ces conditions, indi- quant que le symbiote fongique rend l’arbre capable d’utiliser cette source d’azote insoluble (Abuzinadah et Read, 1986). La première hypothèse que l’on peut émettre pour expliquer cette action bénéfique de la symbiose est que le partenaire fongique est capable de produire et d’excré- ter des protéases dans le milieu, ce qui lui permet de mobiliser l’azote à partir de protéines. La recherche de la capacité de production des protéases a effectivement montré qu’un nombre consi- dérable d’espèces fongiques, dans pratiquement tous les groupes, étaient capables de produire et d’excréter des protéases (Cohen, 1980). De telles enzymes ont été dosées aussi bien chez des champignons éricoïdes comme la Pézize orangée (Hymenoscyphus ericae) (Bajwa et al., 1985) que chez des champignons ectomycorhiziens cultivés en culture pure (Ramstedt et Söderhäll, 1983 ; El-Badaoui et Botton, 1989 ; Zhu et al., 1990). Après avoir mis en évidence que les champignons ectomycorhiziens étaient capables de produire des protéases extracellulaires, différents travaux ont été menés pour tenter de connaître les condi- tions de milieu permettant un fonctionnement optimal de ces enzymes. Les résultats obtenus mon- trent que, chez toutes les espèces fongiques étudiées jusqu’à présent, l’activité protéasique n’est pas réprimée par l’ammonium, que leur pH optimal de fonctionnement se situe généralement autour de 4,0-4,5 (El-Badaoui et Botton, 1989). Enfin, le facteur le plus important est la présence de pro- téines exogènes qui est absolument requise pour stimuler les activités protéases excrétées, comme Claude PLASSARD - M. CHALOT - B. BOTTON - F. MARTIN 84 (1) Protéine : macromolécule constituée d’une suite d’acides aminés reliés entre eux par une liaison peptidique. (2) Acide aminé : composés élémentaires des protéines ; ils sont caractérisés par un groupe amine (-NH2) et un groupe carboxyle (–COOH). (3) Liaison peptidique : liaison de type amide substituée entre le groupe carboxyle d’un acide aminé et le groupe amine de l’acide aminé suivant. Cette liaison se fait par élimination d’une molécule d’eau. cela a été montré pour Cenococcum geophilum (figure 3, ci-dessous) ou pour Hebeloma crustulini- forme (El-Badaoui et Botton, 1989). Mais la figure 3 montre aussi que toutes les protéines n’ont pas le même effet stimulateur de l’activité puisque la gélatine est un meilleur inducteur que la caséine et l’albumine sérique bovine. Mais cet effet inducteur de la gélatine est encore très largement infé- rieur à celui d’un groupe de protéines isolées de la litière (figure 4, ci-dessous), ce qui suggère que les champignons ectomycorhiziens sont probablement mieux adaptés à la dégradation des protéines du sol qu’à la dégradation des protéines animales non présentes dans la rhizosphère. Cependant les résultats de tels travaux, effectués en incubant in vitro les mycelia en présence de protéines purifiées, sont-ils transposables sur le terrain où les protéines de la litière ou du sol ne sont généralement pas sous une forme simple mais plutôt complexées à d’autres composés ? Cette question a été abordée en cultivant, dans des rhizotrons, de jeunes plantules de Pin sylvestre préa- lablement mycorhizées par le bolet des Pins (Suillus bovinus). Ce dispositif expérimental présente Le fonctionnement des symbioses mycorhiziennes 85 Rev. For. Fr. XLIX - n° sp. 1997 8 6 4 2 0 0 2 4 6 8 10 12 Âge (jours) µmole de tyrosine / min 103 Gélatine uploads/s3/ le-role-des-ectomycorhizes-dans-la-nutrition-azotee-des-arbres-forestiers.pdf
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- Publié le Dec 14, 2021
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