Département de philosophie Séminaire M1 Philosophie de l’art : les œuvres éphém
Département de philosophie Séminaire M1 Philosophie de l’art : les œuvres éphémères Année universitaire 2021-2022 L’art corporel chez ORLAN et Marina Abramovic : la performance artistique à l’épreuve de la postérité Mini-mémoire présentée par Julie MULLIER Sous la direction de Madame Gaëlle PERIOT-BLED 1 Introduction La présente étude s’intéresse à la notion d’œuvre éphémère au regard des arts corporels. Plus précisément, nous délimiterons notre recherche aux travaux d’ORLAN, artiste française ayant un rôle important dans le paysage médiatique et artistique contemporain, et ceux de l’artiste serbe Marina Abramovic. Le choix de notre étude a été déterminé par la contradiction apparente entre art corporel, dont relève l’œuvre de ces deux artistes, et art éphémère. Tout d’abord, avant de rentrer dans le cœur de notre réflexion, nous nous devons d’établir quelques éclaircissements préalables. En effet, les notions d’une part d’art éphémère et d’autre part d’art corporel, qui font l’objet de notre étude, doivent être explicitées. Premièrement, dire d’une œuvre qu’elle est éphémère semble être une contradiction dans les termes. Dans quelle mesure ? L’œuvre produite par un artiste est, pour le sens commun, ce qui a pour fonction de perdurer dans le temps. Le terme « œuvre », comme le souligne son étymologie poïésis, renvoie dans la Grèce antique à une production artistique. En effet, poïesis provient du verbe poien qui signifie fabriquer, qui relève d’un savoir-faire (tekhnè). Les œuvres sont ainsi comprises dans cette perspective comme le résultat d’une production poiétique. Néanmoins, une fois l’œuvre comprise de cette manière, quelle place reste-t-il aux œuvres dites immatérielles ou vouées à ne pas durer ? Ont-elles le droit au statut d’œuvre ? L’histoire de l’art a montré que les œuvres dites éphémères avaient une réelle place à jouer dans le paysage artistique, avec notamment l’apparition des premières performances dites happenings. Réelle place à jouer du point de vue du statut de l’œuvre elle-même (réflexion sur ses limites et sa définition) et du point de vue du renouvellement des formes artistiques traditionnelles. Notre recherche portera essentiellement sur les œuvres éphémères en tant que performances ou happenings. C’est l’artiste américain Alan Kaprow qui pour la première fois a utilisé le terme happening dans les années soixante. Néanmoins, ce que l’on entend aujourd’hui sous le terme de performance trouve sa source dans le mouvement futuriste avec l’ « art-action » et poursuit son développement avec le dadaïsme.1 C’est ainsi qu’entre les années soixante et soixante-dix, émerge ce que l’on pourrait désigner comme une utopie de la performance. En effet, un nouveau foisonnement artistique naît grâce au mouvement Fluxus dont ses membres les plus éminents sont Robert Filiou, Yves Klein ou encore Joseph Beuys. En outre, l’art corporel émerge quelques années avant les débuts de la performance. En effet, dès les années cinquante au Japon, le corps de l’artiste devient son matériaux privilégié. Avec le mouvement d’avant-garde Gutai, qui signifie littéralement corps et instrument, le corps se voit réifié en support artistique à part entière. ORLAN et Marina Abramovic firent partie des pionnières à promouvoir cette nouvelle forme artistique en Europe. Nous comprenons bien, après cette brève 1 Roselle Goldberg, La performance. Du futurisme à nos jours, trad. de l’américain par Ch. M. Diebold et L. Echasseriaud, Paris, Thames & Hudson, 2012, chap. « Dada », p. 50-73. 2 présentation, que la mouvance de l’art corporel va de pair avec la performance artistique, même si l’art corporel peut dans d’autres perspectives s’articuler à d’autres formes artistiques (tatouages, scarifications, etc.). Ici, nous traiterons de l’usage du corps de l’artiste sous forme d’happening. Pour ce faire, nous nous appuierons sur des performances précises d’ORLAN et de Marina Abramovic. Qu’est-ce que ces œuvres éphémères nous partagent de l’essence même de l’œuvre d’art ? En quoi l’étude de l’éphémère de l’art peut-il nous faire changer de paradigme, à savoir la perspective traditionnelle selon laquelle l’œuvre est faite pour durer ? Par ailleurs, nous nous demanderons dans quelle perspective le choix du corps comme matériau artistique, loin d’être arbitraire, révèle au contraire la peur de l’éphémère dans l’art, du besoin toujours grandissant de laisser une trace. Dans notre étude, nous soutiendrons la thèse selon laquelle l’art est essentiellement éphémère. En effet, nous essayerons de monter que malgré la conception traditionnelle de l’œuvre (comme production, ce qui dure), le développement essentiel de l’art est en réalité de ne pas durer. Nous voyons bien que même les œuvres dites pérennes ne durent pas, car les œuvres picturales se détériorent avec le temps. Elles ne sont qu’une variabilité de l’éphémère. Le premier moment de notre étude s’intitule « ORLAN et la peur de l’éphémère ». En effet, il s’agira de montrer que l’obsession de la peau, des modifications corporelles ou encore des nouvelles technologies met en lumière une ambiguïté qui nous semble constitutive de l’œuvre d’ORLAN à savoir la recherche effrénée d’immortalité. Puis, dans un second moment, nous nous pencherons plus précisément sur l’impossibilité d’exposer des performances au travers des œuvres artistiques de Marina Abramovic. Partie 1 - ORLAN et la peur de l’éphémère a. Performance et immortalité « Je suis ORLAN entre autres et dans la mesure du possible, et mon nom s’écrit en lettres capitales, car je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans les rangs, je ne veux pas qu’on me fasse rentrer dans la ligne2 ». Voilà la présentation qui semble lui « coller à la peau ». En effet, ORLAN est toujours dans une recherche acharnée de ce qui est hors-norme, comme en témoigne aussi son apparence physique. Néanmoins, il nous semble que la recherche artistique d’ORLAN comporte une ambiguïté. La contradiction interne à son travail réside dans le fait qu’elle fait perdurer, dans une certaine mesure, la perspective classique selon laquelle l’œuvre tend à l’immortalité, alors même qu’elle prétend aller contre-courant. L’enjeu est alors le suivant : comment peut-on élaborer des 2 ORLAN, Strip-tease : tout sur ma vie, tout sur mon art, Paris, Gallimard, 2021, p. 87. 3 performances tout en recherchant l’immortalité de l’œuvre ? N’est-ce pas là une réelle contradiction ? En effet, le thème de l’immortalité est omniprésent dans l’œuvre d’ORLAN. Pour illustrer notre propos, nous pouvons tout d’abord remarquer que ses performances laissent des traces, faisant des restes de ses performances des vestiges exposables. Dans sa série de performances intitulées MesuRAGEs faites entre 1968 et 2012, ORLAN réalise, par l’intermédiaire de l’étalon ORLAN- CORPS (le corps de l’artiste), des mesures de rues ou de monuments et écrit à ce sujet : « J’expose dans des galeries ou des musées ces prélèvements, les constats, des photographies et des vidéos, des plaques commémoratives (…) tous reliquats concrets de ces moments éphémères3 ». Nous voyons bien ici que « ces moments éphémères » ont cependant pour vocation de durer au travers de reliques, comme le souligne le terme de « reliquats ». Cette notion de relique ou de vestige, nous la retrouvons dans ce que l’on nomme la transmission par l’objet, en opposition à la transmission par l’idée, qui est la transmission d’un savoir-faire donc relève de l’immatériel. Cette transmission par l’objet qui prône le recours aux reliques s’explique par toute la tradition occidentale dont le paradigme de l’œuvre d’art est celle du monument. En effet, afin de permettre l’institution et la continuité de la communauté humaine, l’œuvre d’art s’est peu à peu transformée en œuvre permettant la sauvegarde de la mémoire des événements au sein de l’humanité. C’est bien ce qu’Hannah Arendt décrit au sujet du rôle de l’œuvre d’art : Les hommes de parole et d’action ont besoin (…) de l’homo faber en sa capacité la plus élevée : ils ont besoin de l’artiste, du poète et de l’historiographe, du bâtisseur de monuments et de l’écrivain, car sans eux le seul produit de leur activité, l’histoire qu’ils jouent et qu’ils racontent, ne survivrait pas un instant4. Nous voyons donc que l’œuvre d’art a ici une dimension d’objet de mémoire pour la communauté. ORLAN, en faisant de ses performances des œuvres d’arts exposables, altère le caractère éphémère de son projet artistique. En outre, nous nous demandons alors d’où vient cette recherche perpétuelle d’immortalité, alors même que Marinetti, dans son Manifeste du futurisme, proclamait que « l’immortalité en art est une infamie ». Et comment cette recherche s’exprime-t-elle dans les œuvres d’ORLAN ? Pour répondre à la première partie de notre interrogation, il nous semble que sa recherche d’immortalité dans ses œuvres coïncide en réalité avec la recherche d’immortalité pour sa propre vie. En effet, en 2017 à l’occasion de la Biennale d’Art Contemporain de Kiev en Ukraine, ORLAN réalise une performance intitulée Pétition contre la mort. Son projet est celui d’abolir la mort, qu’elle trouve « injuste, insupportable, pas méritée5 ». Elle eut durant son adolescence des « angoisses de mort d’une 3 Ibid. p.79. 4 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1983, p. 230. 5 ORLAN, Strip-tease, op.cit., p. 85. 4 violence extrême6 », explique-t-elle. Ses angoisses se répercutent ainsi dans ses œuvres, notamment dans son invention de 2018 : l’ORLANoïde. Elle a réalisé, à l’aide de chercheurs en nouvelles technologies, sa uploads/s3/ mullier-julie.pdf
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- Publié le Jan 06, 2021
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