Communication et langages L'éloquence muette ou les avatars de la rhétorique An
Communication et langages L'éloquence muette ou les avatars de la rhétorique André Conquet Résumé André Conquet, qui a introduit en France les concepts de lecture rapide et de lisibilité, nous entretient ici d'un autre type de communication, celle des gestes. Au-delà d'une analyse classique des rapports entre gestes et personnalité, il nous montre en quoi ceux-ci ont constitué et constituent toujours un véritable alphabet : dans la rhétorique antique, dans la sculpture classique, dans la peinture de Poussin... et dans la BD moderne. Rien de nouveau sous le soleil... du moins dans ce domaine. Citer ce document / Cite this document : Conquet André. L'éloquence muette ou les avatars de la rhétorique. In: Communication et langages, n°69, 3ème trimestre 1986. pp. 93-98. doi : 10.3406/colan.1986.1786 http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1986_num_69_1_1786 Document généré le 15/10/2015 L ÉLOQUENCE MUETTE OU LES AVATARS DE LA RHÉTORIQUE par André Conquet André Conquet, qui a introduit en France les concepts de lecture rapide et de lisibilité, nous entretient ici d'un autre type de communication, celle des gestes. Au-delà d'une analyse classique des rapports entre gestes et personnalité, il nous montre en quoi ceux-ci ont constitué et constituent toujours un véritable alphabet : dans la rhétorique antique, dans la sculpture classique, dans la peinture de Poussin... et dans la BD moderne. Rien de nouveau sous le soleil... du moins dans ce domaine. TOUTE CAMPAGNE ÉLECTORALE A SES RITES AUDIOVISUELS Les dernières campagnes électorales ont mis en pleine lumière, par le truchement de la radio et de la télévision, la complexité du phénomène de la communication. Les spécialistes de cette discipline, dont certains sont les conseillers de nos plus grands hommes politiques, se sont affrontés dans des émissions mouvementées. Des livres, des articles sont venus relayer ces propos tumultueux. Le téléspectateur moyen est devenu, pour un moment, l'arbitre des combats. Il a, dorénavant, l'impression de bien connaître cette alchimie oratoire, dont les recettes sont, tout à la fois, bénéfiques et perverses: La mode aidant, des néologismes ont été fabriqués. Ils sont utilisés par les journalistes parce qu'ils sont commodes : on parle de «gestuelle» (!) et de gestologie, pourquoi pas? C'est Alain qui souhaitait que l'on apprît la rhétorique à tous les citoyens, pour, les immuniser contre les maléfices d'un art oratoire trop subtil. Faut-il voir dans tout ce bruit audiovisuel un progrès qui aille dans le bon sens, ou sommes-nous encore loin du compte? Les pages qui suivent voudraient évoquer quelques faits. L'ÉLOQUENCE ANTIQUE AVAIT AUSSI LES SIENS, PLUS PRÉCIS... On se défend mal. en effet, d'une certaine irritation devant ces informations dont on nous abreuve sans ménagement, comme si c'était. une révélation et une nouveauté. Ça l'est certainement pour beaucoup. Mais il n'y a jamais de nouveau que ce qui est oublié, disait une couturière célèbre ! Au risque de passer pour pédant, peut-on rappeler ici que la rhétorique, c'est-à-dire l'art de persuader en bien disant, s'est progressivement constituée au cours des âges, depuis le IVe ou le Ve siècle ayant Jésus-Christ, singulièrement dans le monde gréco-latin ancien. Depuis que les hommes sont en âge de parler et de discuter, ils ont repéré, pas à pas. les conditions et les voies de la persuasion : cet ensemble d'observations n'ayant jamais constitué' une science mais un art — un art simple et tout d'exécution, pour reprendre une formule célèbre. Auguste I I c I o o ... QUE L'ENSEIGNEMENT DE LA RHÉTORIQUE A PRÉCISÉ, PENDANT DES SIÈCLES... Ce qui ne veut pas dire que la rhétorique ne s'enseignait pas. bien au contraire. Elle faisait aux siècles classiques, puis aux XVIIe et XVIIIe siècles chez nous, l'objet d'un enseignement structuré et long. Le latin concis en discernait ainsi les principales étapes : inventio, dispositio. elocutio. memoria et actio. Curieusement, de ce train à cinq wagons, notre enseignement français, de nos jours, n'en a gardé que deux, le deuxième et le troisième — qui constituent, aujourd'hui encore, l'essentiel de notre cursus littéraire: l'art de faire un plan et l'art de la dissertation. La recherche des idées (inventio). l'entraînement de la mémoire et l'action oratoire sont laissés au bon vouloir de chacun, ou au savoir-faire d'organisateurs de séminaire astucieux.- On peut sortir d'un bon lycée français, au terme d'études secondaires traditionnelles sans avoir aucune idée de ce que c'est que « parler sans papier » et de façon convaincante. Sans avoir une idée, même approximative, de ce que recouvrait (recouvre toujours !) «l'action oratoire». Au point de ne même plus comprendre la vieille plaisanterie éculée de Démosthène répétant, sans se lasser, que c'était «cela» même qu'il fallait travailler sans cesse et toujours. Qu'était-ce donc (qu'est-ce que) cette fameuse action ? Tout ce qui, par la posture, la voix, la diction, la mimique et le geste. permet à un être humain de s'exprimer*. Avant les micros, en 1 . Un terme fort s'il en est ! Il suffit de penser à un citron pressé, une fois le jus exprimé. L'éloquence muette 95 plein air» ou dans une grande salle, on était davantage vu qu'entendu. Avec la télévision, on peut faire des expériences instructives, en coupant le son d'un débat, pour n'étudier que l'image : on a parfois des résultats stupéfiants.^ ... EN ÉTUDIANT LES MIMIQUES ET LES GESTES Le propos de cet article n'est pas de refaire un cours de rhétorique, mais d'insister seulement sur les mimiques et les gestes, dans la tradition orale. Quand on a eu en main des notes ou des plans de cours de ia fin du XIXe siècle, on ne peut, qu'être confondu par l'invraisemblable précision des classifications opérées sur les gestes et la place et le rôle/dans ces gestes, des membres et des éléments quHes constituent: bras, coudes, avant-bras, poignets, phalanges, sans parler des pieds et de leur position sur le sol. L'utilité de ces classifications scolastiques était de faire réfléchir l'apprenti orateur à la signification de chaque geste, et à sa transparence nécessaire. Chaque mimique, chaque geste devait signifier, pour l'auditeur, quelque chose. En revanche, celui-ci devait juger un orateur à la qualité de sa transcription personnelle d'un code de signaux, partagé par tout le monde. Ceci tardivement était particulièrement observable dans la comédie italienne, et l'est encore pour les enfants à Guignol ou au cirque. De pareilles règles étaient encore en usage au XIXe siècle, dans les cours de sculpture, ainsi que vient de le démontrer la récente exposition sur La sculpture française, au Grand Palais. Une salle "y évoquait les fameux concours de la tête d'expression. Il s'agissait pour les candidats de rendre au mieux l'expression, précisément, d'une passion : l'effroi, l'attention, la douleur, « la colère mêlée de mépris», «la foi jointe à l'espérance»! Le visiteur passait épuisé devant ces masques anachroniques. .Et. pourtant, tout responsable d'une communication en direct est soumis à des contraintes encore plus variées ! Il lui faut trouver, chaque fois qu'il est face à un public, visible ou invisible, comme à la radio ou à la télévision, mimiques et gestes adaptés. Les «concours. d'expression» du comte de Caylus n'étaient pas si ridicules finalement et... la bouche ouverte de La Marseillaisede Rude, à l'Etoile, entraîne toujours les volontaires de l'an II. L'ÉLOQUENCE MUETTE DES PEINTRES CLASSIQUES En poursuivant le fil de mon propos, mais en le décalant quelque peu. je voudrais dire que ce qui était valable pour la communication orale, valait aussi pour la peinture et la sculpture, bien avant les concours d'expression dont on vient de parler. Communication Un vieux maître de rhétorique m'a légué ses notes de cours «sur les gestes» (1914 et 1920!). Dans ce dossier gris de papiers jaunis, se trouvaient des cartes postales, tirées en sépia ou en noir. Il y avait là des reproductions d'œuvres célèbres de Raphaël, de Poussin et de Rubens, en provenance du Louvre, du Prado ou du musée d'Anvers. Toutes avaient été choisies pour illustrer un geste, ou une posture, dont le cours avait donné des exemples. Mais il y avait aussi des témoins de la sculpture grecque et romaine.-sélectionnés pour les mêmes raisons. Visiter un musée d'Antiques, avec ce code dans la tête, • renouvelle toute notre vision: on ne regarde plus Auguste. Tibère ou Trajan, quand on sait que les mains font les gestes de la supination ou de la pronation, dans une intention déterminée; que la pose des pieds et l'appui sur telle ou telle jambe sont, à leur tour, signifiants. Onfait tout naturellement des observations du même ordre, en regardant sous cet angle les tableaux des maîtres ci-dessus, indépendamment bien sûr des couleurs et du «faire» de chaque^artister LA CLÉ POUR COMPRENDRE POUSSIN Très sincèrement, je pensais, en regardant de temps à autre, mon dossier, avec ses enumerations si précises, les croquis sur calque des gestes les plus classiques, et ces vieilles cartes postales jaunies, que cette minutie dans la description de l'art oratoire était définitivement dépassée ! Et voici que je suis tombé, par hasard, sur un savant article du très savant mais passionnant Bulletin de la Société de l'histoire de l'art français: celui de l'année 1 982, édité en 1 984. L'auteur en uploads/s3/ muta-eloquerntia-ou-les-avatars-de-la-rhetorique.pdf
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- Publié le Jul 25, 2021
- Catégorie Creative Arts / Ar...
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