Galeries picturales, galeries littéraires : imitation et transposition de modèl
Galeries picturales, galeries littéraires : imitation et transposition de modèles dans Les Peintures morales (1640-1643) et La Gallerie des femmes fortes (1647) du père Pierre Le Moyne - Catherine Pascal Si le frontispice gravé en 1640 par Grégoire Huret pour le premier volume des Peintures morales, par ailleurs repris trois ans plus tard dans le deuxième1, renvoie à la « gallerie » de tableaux inventée par Pierre Le Moyne, jusqu’à reproduire très visiblement pour le lecteur les deux premières gravures insérées dans le recueil, en l’occurrence celles représentant Annibal et Andromède, il n’en évoque pas moins une réalité architecturale fort répandue à l’époque dans les palais royaux, princiers et aristocratiques. Occupant la majeure partie de l’image, se déploie en effet « un passage couvert, de plain-pied, donnant (…) à l’extérieur, (…) étroit relativement à sa longueur mais décoré avec une certaine richesse »2. Si elle remplit encore sa fonction 1 Pierre Le Moyne, Les Peintures morales, où les passions sont representées par Tableaux, par Charactères, et par Questions nouvelles et curieuses, Paris, Sébastien Cramoisy, 1640, tome I, 802 pages / Les Peintures morales, seconde partie de la doctrine des passions. Où il est traitté de l’Amour naturel, et de l’Amour divin, et les plus belles matieres de la Morale Chrestienne sont expliquées, Paris, Sébastien Cramoisy, 1643, tome II, 907 pages. Ces ouvrages sont respectivement dédiés à Henri de Mesmes, président du Parlement de Paris, et à Nicolas de Bailleul, chancelier de la reine et surintendant des finances. Toutes nos citations seront extraites de ces éditions princeps et, hormis les dissimilations i/j et u/v, respecteront l’orthographe et la ponctuation originales. 2 Nous empruntons cette définition de la « galerie », de manière bien anachronique, nous l’avouons humblement, à Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, B. Bancé, 1863, tome 6, p. 8. Pour être tout à fait complète et envisager de la sorte les différents types de « galerie » auxquels nous allons faire allusion dans la suite de notre article, il convient de signaler que ce « passage couvert » peut également « donn[er] à l’intérieur, serv[ir] de C. Pascal, « Galerie » picturale », galerie » littéraires » Textimage, Le Conférencier, « L’image répétée », octobre 2012 2 initiale de « communication »3 en permettant d’accéder au vaste palais que l’on distingue au loin, cette galerie aux proportions impressionnantes4 et largement ajourée se veut ostensiblement un témoignage de grandeur et de magnificence, qui se décèle à la fois dans l’architecture puissante des pilastres cannelés qui la soutiennent, dans les sculptures qui en dominent les corniches, et dans les peintures de vastes dimensions, elles-mêmes surmontées de médaillons, qui en ornent les murs. Un « bel composto » (un « beau mélange ») qui se lit comme une éclatante et superbe exaltation de la complémentarité des trois arts majeurs de l’« arte del disegno » distingués par les académies italiennes au XVIe siècle ; mais également une vitrine du luxe, qui consacre la vocation nouvelle de cet espace, désormais souvent dédié à l’exposition des collections du propriétaire, preuves tout à la fois de son goût et de sa puissance5. communication d’un lieu à un autre, de circulation aux différents étages d’un édifice ». S’il distingue les « galeries de service » et les « galeries promenoirs » dans les châteaux et palais, Viollet-le-Duc fait des secondes une amplification des premières, tant du point de vue architectural — on en augmenta la largeur — que du point de vue décoratif — « on les enrichit de peintures, de sculptures, on les garnit de bancs ». Cette évolution, amorcée selon lui au XVe siècle, date à laquelle la « galerie » se substitua fort souvent à la « grande salle » médiévale, s’accomplira pleinement au XVIe siècle, comme l’attestent les exemples des châteaux de Blois et de Fontainebleau (Ibid., p. 19). 3 Selon Sebastiano Serlio, dénommer « galerie » le passage étroit et long servant de liaison entre différentes parties d’une demeure semble d’ailleurs une spécificité française : un « luogo da passagiare che in Francia si dice galeria » (Sebastiani Serlii Bononiensis Architecturæ liber septimus […], Francofurti ad Mœnum, ex offa typa A. Wecheli, 1575, p. 56). La traduction latine, en regard, donne pour correspondant le mot « ambulacrum » (i.e « promenoir »), ce qui souligne, une nouvelle fois, l’évolution de la fonction de cet espace au cours des siècles. 4 « […] tant plus les galeries sont longues, tant plus sont-elles trouvées belles en France », soutient ainsi Louis Savot dans L’Architecture françoise des bastimens particuliers, Paris, Sébastien Cramoisy, 1624, chapitre XVII : « Des Galeries, Armureries, et Librairies », p. 93. En témoigneraient « la Petite Galerie », désormais connue sous le nom de « galerie d’Apollon » depuis sa redécoration par Charles Le Brun en 1663 à la suite d’un incendie, et « la Grande Galerie » dite « du Bord-de-l’Eau ». Si l’on en croit l’architecte Jacques Androuet du Cerceau (voir Le premier volume des plus excellents bastiments de France ; Auquel sont designez les plans de quinze bastiments, et de leur contenu : ensemble les elevations et singularitez d’un chascun, Paris, pour le dit Jacques Androuet, du Cerceau, 1576, « Le Chasteau du Louvre », n. p. [i.e p. 3]), le projet de ces galeries, finalement mis en œuvre par Henri IV à partir de 1595, aurait été initié par Catherine de Médicis pour relier le château médiéval du Louvre au palais des Tuileries, distant de près de… 450 mètres ! A ce sujet, voir en particulier La Galerie d’Apollon au palais du Louvre, sous la direction de G. Bresc-Bautier, Gallimard, Musée du Louvre, 2004. 5 Entre espace privé et espace public, réduit à un usage purement fonctionnel de liaison ou, au contraire, propice à l’otium et à la déambulation, quand il n’est pas pensé comme un lieu d’apparat, se signalant alors par la somptuosité de sa décoration, le phénomène de la « galerie » recouvre donc aux XVIe et XVIIe siècles des réalités extrêmement diverses. Envisageant les différentes formes de « galerie » dans son ouvrage Des principes de l’architecture, de la sculpture, de la peinture et des autres arts qui en dépendent ; avec un dictionnaire des termes propres à chacun de ces arts (Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1676, p. 605), André Félibien assimile ainsi « la galerie d’une maison que l’on orne de Tableaux et de Statues » à « ce que les Anciens nommoient Pinacotheca ». C. Pascal, « Galerie » picturale », galerie » littéraires » Textimage, Le Conférencier, « L’image répétée », octobre 2012 3 « Symbole de la civilisation de la Renaissance »6 et tout particulièrement de l’attrait pour les œuvres d’art de la cour raffinée des Valois, comme le confirme l’illustre galerie François 1er du château de Fontainebleau7, dont la gravure d’Abraham Bosse dans La Pucelle ou La France delivrée perpétue encore le prestige en 1656, plus d’un siècle après sa réalisation, cet espace d’apparat va en effet, au XVIIe siècle, agrémenter non seulement les résidences royales, dans une perspective souvent politique d’exaltation de la monarchie, mais également les palais des ministres et autres grands commis du royaume, désireux d’imiter le roi, ainsi que les riches demeures des « curieux »8 parisiens qui, se piquant de plus en plus d’être fins collectionneurs, confient la décoration de leur(s) galerie(s) aux artistes (français ou étrangers) les plus renommés du moment. S’inspirant de cette réalité architecturale, de nombreux recueils, généralement luxueusement illustrés, à l’instar de la magnifique édition que donne en 1614 Artus Thomas de la traduction par Blaise de Vigenère des Images ou tableaux de platte peinture des deux Philostrates9, s’attachent alors à « donner à voir »10, en vers ou en prose, des collections, réelles ou imaginaires, à cette société mondaine éprise d’art11. 6 R. Crescenzo, Peintures d’instruction : la postérité littéraire des « Images » de Philostrate en France, de Blaise de Vigenère à l’âge classique, Genève, Droz, 1999, p. 194. 7 Située au premier étage d’une aile construite en 1528 pour relier l’appartement du roi à la chapelle de la Trinité, cette galerie, longue de 64 mètres et large de 6, fut décorée, sous la direction du peintre florentin Rosso, entre 1533 et 1539 (pour la complexité de sa décoration, voir en particulier la Revue de l’Art, n° 16-17, 1972). Mais il convient néanmoins de lui associer la galerie d’Ulysse, longue de plus de 150 mètres pour une largeur de 6, très célèbre aux XVIe et XVIIe siècles pour son décor intérieur exécuté à partir de 1545 par Le Primatice, ultérieurement aidé par Nicolò dell’Abate, et démolie au XVIIIe siècle. Pour la reconstitution du système décoratif, sa disposition et son organisation sur les murs et sur la voûte, et pour l’interprétation moralisante de ce programme iconographique, voir S. Béguin, J. Guillaume et A. Rey, La Galerie d’Ulysse à Fontainebleau, Paris, PUF, 1985. 8 Voir A. Schnapper, Curieux du Grand Siècle – Collections et collectionneurs dans la France du XVIIe siècle, Paris, Flammarion, uploads/s3/ pascal 1 .pdf
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- Publié le Mai 14, 2021
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