1 La syllabation et le relâchement des voyelles hautes en syllabe non finale en

1 La syllabation et le relâchement des voyelles hautes en syllabe non finale en français québécois1 Marie-Hélène Côté Université d'Ottawa • mhcote@uottawa.ca Phonologie du français contemporain Structures des français en contact Tulane University 27 juin 2008 ________________________________ I. INTRODUCTION (1) Plusieurs processus phonologiques s’appliquent de façon obligatoire en syllabe finale mais de façon variable en syllabe non finale : français québécois : • allongement vocalique • diphtongaison des voyelles longues • relâchement des voyelles hautes (2) Syllabe finale : voyelles tendues en syllabe ouverte, relâchées en syllabe fermée a. maudite [modzIt] vs maudit [modzi] b. duc [dzYk] vs duchesse [dzySes] (3) Question : Que se passe-t-il au juste en syllabe non finale? a. Voyelle tendue en syllabe ouverte (sauf dans les cas c-d ci-dessous) Toulon [tulç)] citron [sitrç)] b. Relâchement variable en syllabe fermée (Debrie-Maury 1968: 226; Dumas & Boulanger 1982: 50; Walker 1984: 55; Dumas 1987: 94; Poliquin 2006). Seule Déchaine (1990) suggère que le relâchement est catégorique en syllabe non finale comme en syllabe finale. sultan [syltã] ~ [sYltã] c. Harmonie de relâchement : lorsque la dernière voyelle est une voyelle haute relâchée, le relâchement peut se propager aux voyelles hautes précédentes dans le mot (Dumas 1976, 1981, Poliquin 2006) musique [myzIk] ! [mYzIk] 1 Cette recherche a bénéficié du soutien financier du CRSH et de la Faculté des arts de l’U. d’Ottawa. 2 d. Dissimilation de relâchement : lorsque la dernière voyelle est une voyelle haute tendue, la voyelle dans la syllabe ouverte précédente peut se relâcher (Dumas 1987) pipi [pipi] ! [pIpi] e. Les processus d’harmonie et de dissimilation sont contestés. (4) Autres processus affectant les voyelles hautes en syllabe non finale a. Dévoisement (Gendron 1959, Martin 2004) écouter [eku8te] support [sy8pçr] b. Chute (Cedergen & Simoneau 1985, Santerre 1986) déguiser [degze] comité [kçmte] (5) Examen plus systématique du comportement des voyelles hautes en syllabe fermée non finale, dans des contextes qui excluent l’harmonie et la dissimilation. a. Le relâchement est variable mais son acceptabilité relative dépend de la nature des consonnes qui suivent : plus la consonne suivante est susceptible d’être syllabée en « coda », plus la voyelle est susceptible d’être relâchée. b. Analyse asyllabique du processus, motivée notamment par le comportement des voyelles moyennes et dans la lignée de travaux récents qui remettent en question le rôle de la syllabe dans les processus phonologiques. II. VOYELLES HAUTES EN SYLLABE FERMÉE NON FINALE : DONNÉES (6) 28 étudiants ont élaboré chacun une liste de mots avec une voyelle haute en syllabe fermée non finale et ont fourni des jugements sur la nature tendue et relâchée de la voyelle (leurs propres jugements et/ou des jugements recueillis auprès d’autres locuteurs). a. Les listes de mots sont différentes d’un étudiant à l’autre b. Les jugements sont différents également, et parfois douteux. c. Il y a des généralisations claires qui ressortent de l’ensemble des copies par rapport à l’influence de la consonne suivante sur le comportement de la voyelle : i. Plus de relâchement avec les sonantes qu’avec les obstruantes Ex. gourdin vs bouquetin 3 ii. Parmi les obstruantes : /s/ résiste davantage au relâchement que les occlusives orales Ex. bouquetin vs mousquet iii. Parmi les sonantes : /r/ et les nasales (dépendant des locuteurs) favorisent le relâchement davantage que /l/. Ex. linda, bourdon vs sultan (7) Base de données plus complète et mieux contrôlée a. Extraction de la base Omnilex (www.omnilex.uottawa.ca/scrServices.asp) de mots : • bisyllabiques • avec une voyelle haute en syllabe initiale • première syllabe possiblement fermée (voyelle initiale suivie d’au moins 2 consonnes qui ne forment pas une attaque « naturelle », p. ex. [tr, pl, fl, etc.]). ! Forme VC1C2V b. Ajout de noms propres ou de mots spécifiquement québécois (en cours) : • ex. noms propres : Ninja, Gilbert, Mouffetard, Hitler • ex. mots québécois : pichenotte (=chiquenaude), bingo (=loto) c. Exemples de mots retenus : turban, ouzbek, Gilbert, Victor, diphtongue, soupçon p 6 t 3 k 19 Occlusives b -- d 3 g 5 f 2 s 37 S 6 Fricatives v 5 z 9 Z 1 Nasales m 13 n 6 N 4 l 19 Liquides r 45 183 mots d. Exclusions 1) Mots inconnus de moi. 2) Mots dans lesquels la voyelle finale était aussi une voyelle haute, pour éviter les questions d’harmonie ou de dissimilation de relâchement. Ex. rugby, pidgin, frisbee, ourdou, bisbille, virgule, etc. 3) Mots où la qualité de la voyelle initiale peut être influencée par analogie avec une forme apparentée où la même voyelle apparaît en syllabe finale. Ex. bustier ! buste, coulerai ! coule 4 NB : Des mots comme dictée ou fourchette ont été conservés s’il y a le sentiment qu’ils sont suffisamment éloignés de la forme simple (p.ex. dicte, fourche). NB : Ont été conservées les formes contenant une voyelle haute qui apparaît dans des formes apparentées en syllabe non finale ouverte Ex. jumeler ! jumelle, coutelas ! couteau 4) Formes rédupliquées Ex. zigzag, micmac 5) Formes où la voyelle en syllabe initiale est (possiblement) longue en FQ Ex. biftèque 6) Les formes où la voyelle apparaît dans le premier élément (perçu) d’un composé Ex. football, pitbull, virevolte NB : Ce critère est en fait complexe à appliquer et les mots n’ont été exclus que dans les cas les plus clairs. Ont été conservés, par exemple, des formes comme pourquoi, bouledogue et pourboire. Dans certains cas, les locuteurs semblent pouvoir percevoir un genre de frontière après C1, ce qui favorise le relâchement dans la mesure où la première syllabe est alors assimilée à une syllabe finale, où le relâchement est catégorique. Ce pourrait être le cas, par exemple, de boomerang. e. Le cas des emprunts : Je n’ai pas distingué les emprunts des mots « français ». Il semble en fait que les emprunts aux langues germaniques (anglais, allemand) puissent favoriser le relâchement, p.ex. dans umlaut, Bristol. (8) Évaluation de la nature tendue ou relâchée de la voyelle a. Deux locuteurs natifs du français québécois ont fourni des jugements sur la qualité de la voyelle dans les mots de cette liste. (Deux linguistes capables de distinguer entre voyelles tendues et relâchées.) b. Le relâchement est en effet variable et une grande proportion des mots est compatible avec la voyelle tendue et la voyelle relâchée (environ 1/3 selon les jugements de l’un des locuteurs et 2/3 pour l’autre). c. Mais les deux formes ne sont pas également acceptables ou possibles dans tous les mots. La possibilité de relâchement dépend de la nature de C1 et de C2. 5 (9) Généralisations a. Voyelle tendue dans les séquences consonne+liquide (il y a sans doute lieu de distinguer entre obstruantes et sonantes ici mais je ne le ferai pas, faute de données robustes et pour ne pas alourdir l’analyse). Ex. coutelas, Michelin, niveler, souverain, ficeler, jumeler, etc. Question : Faut-il distinguer les séquences obstruante+liquide qui correspondent à des attaques « classiques » (tr, dr, pl, bl, pr, br, kl, gl, kr, kl, fl, fr, vr, etc.) et les autres séquences (tl, dl, sl, zl, sr, zr, Sl, ml, mr, etc. ) ? Réponse : Apparemment non, mais les données ne sont pas abondantes. Les attaques classiques sont évidemment beaucoup plus fréquentes mais leur comportement ne différe pas nécessairement de celui des autres séquences. Les voyelles sont très généralement tendues quand C2 est une liquide et la voyelle relâchée n’est tolérée marginalement que dans certains cas qui font intervenir d’autres facteurs. Par exemple, selon un des locuteurs, Hitler pourrait peut-être être prononcé avec [I] mais ce serait une influence de la prononcition anglaise. Idem pour boomerang, qui pourrait aussi être décomposé en boome+rang. Par ailleurs, houppelande peut aussi se prononcer avec [U], même si [pl] est une attaque complexe classique. b. Pour les séquences où C2 n’est pas une liquide, la possibilité de relâchement dépend de la nature de C1 et obéit à la hiérarchie suivante : • nasales, [r] + relâché ex. toundra, tournoi • [l] ex. Sylvain, bulletin • occlusives ex. Victor, soupcon • fricatives + tendu ex. piston, diphtongue Illustration : Interpellation Linda ! [lIndç] ! *[lindç] ! Sylvain ! [sIlve)] ! [silve)] ! Victor ! ?[vIktçr] ! [viktçr] ! Justin ! ??[ZYste)] ! [Zyste)] ! 6 III. RELÂCHEMENT ET TENDANCES DE SYLLABATION (10) Hiérarchie de syllabation en coda De nombreuses études psycholinguistiques montrent que la tendance des consonnes postvocaliques à se syllaber en position coda suit les hiérarchies suivantes (p.ex. Fallows 1981 ; Clements 1990 ; Barry et al. 1999 ; Zamuner & Ohala 1999 ; Content et al. 2001 ; Ishikawa 2002 ; Moreton et al. 2005) : sonantes > obstruantes nasales > [l] occlusives > fricatives Ces hiérarchies sont observées tant dans les contextes VC1C2V que VC1V VC1V ! V.C1V VC1.C1V Attaque Ambisyllabicité VC1C2V ! V.C1C2V VC1.C2V Attaque complexe Attaque-coda N.B. Attention à l’interprétation de cette généralisation! Cela ne veut pas dire, par exemple, que les langues préfèrent des occlusives plutôt que des fricatives en position C1 dans une séquence VC1C2V (où C2 n’est pas une liquide); c’est souvent l’inverse. 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