Galerie Louis Carré & Cie Jean- Jacques Lebel Jean-Jacques Lebel Transferts Pré
Galerie Louis Carré & Cie Jean- Jacques Lebel Jean-Jacques Lebel Transferts Préface de Rachel Stella Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Jean-Jacques Lebel, présentée à la galerie Louis Carré & Cie du 16 septembre au 22 octobre 2016. © Louis Carré & Cie, 2016 © ADAGP, 2016 ISBN 978-2-86574-083-3 © Rachel Stella pour son texte Couverture : Jean-Jacques Lebel et Couple new-yorkais (1961, peinture et collage sur panneau – détail), photographiés en 2016 dans l’exposition « La Beat Generation » au musée national d’Art moderne / Centre Georges Pompidou, Paris Louis Carré & Cie 10, avenue de Messine, 75008 Paris Téléphone 33 (0)1 45 62 57 07 I Télécopie 33 (0)1 42 25 63 89 galerie@louiscarre.fr I www.louiscarre.fr 5 Jean-Jacques Lebel : l’ironie scopique du « Je » Créées entre 1962 et 1964 à partir de coupures de journaux ou de magazines que Jean- Jacques Lebel avait sous la main (selon lui, principalement des exemplaires de Elle et Marie Claire jetés par sa compagne), les œuvres présentées dans cette exposition sont le fruit d’une occasion bien saisie. Rien de frivole ou de capricieux dans ces soigneuses compositions. Lebel, qui avait alors autour de vingt-cinq ans, était déjà un chineur d’images sophistiqué. Élevé à New York parmi les artistes chassés d’Europe par le fas- cisme et la guerre, les ressources visuelles et verbales du collage ont, pour ainsi dire, été sa langue maternelle. Une photo de famille le montre à six ans entre sa mère et sa gou- vernante, entouré par Aimé Césaire, Marcel Duchamp, Max Ernst et d’autres. Si quelques pièces de cette exposition sont à proprement parler des collages et sont par- fois rehaussées au crayon, à la gouache ou à l’aquarelle, la plupart des images ont été obtenues par la technique du transfert. Le transfert consiste à humecter la coupure de presse avec un solvant (du trichloréthylène, à l’époque) et à l’appliquer en la tampon- nant ou en la frottant sur un nouveau support absorbant. Cette technique donne des résultats semblables au collage ou photomontage dadaïste sans avoir besoin d’appareil photo ni de colle. Se passant des étapes intermédiaires de la photographie, du déve- loppement et du tirage, l’immédiateté du transfert permet à Lebel de transformer un matériau brut, en l’occurrence des images normatives diffusées par les media, en des compositions caustiques, et cela, avec l’apparente facilité d’une traduction simultanée. Fabricant précoce d’images dont les peintures avec les doigts sont un des meilleurs souvenirs du jardin d’enfants, Lebel n’a depuis lors jamais cessé de pratiquer l’assem- blage. Son catalogue raisonné pourrait inclure des collages aboutis comme les Mogos créés compulsivement pendant toute sa scolarité sans pouvoir dire s’ils représentaient une soupape ou une issue de secours face aux opprimantes contraintes de l’institution scolaire. En 1961, quand l’exposition de William Seitz, The Art of Assemblage, ouvre au Museum of Modern Art de New York, Lebel y retrouve beaucoup d’œuvres qui lui étaient familières. La conception de l’assemblage que défendait Seitz offre des éclairages intéressants sur les œuvres produites par Lebel au même moment. Seitz expliquait comment Dada avait élargi la perception, rendant sensibles les multiples collisions de valeurs et de formes dans le monde où nous vivons. Il en décrivait les effets comme « la substitution d’une métaphy- sique irrationnelle d’oppositions à une hiérarchie rationalisée des valeurs ». 4 Jean-Jacques Lebel, 2016 (photomontage réalisé à partir de photographies d’Alain Fleischer) © Alain Fleischer 7 6 Loin de disparaître dans un passé toujours plus reculé, ces œuvres ont mieux vieilli en cinquante ans que beaucoup de leurs regardeurs. Sans doute est-ce que leur aura, leur fonctionnement symbolique et leur force esthétique continuent de correspondre à la vision de l’art que Lebel décrivait dans sa Lettre ouverte. Rachel Stella Juillet 2016 Traduction Jacques Demarcq Les compositions de Lebel gardent toute la puissance que les techniques dadaïstes ont développée depuis leur invention. Une métaphysique irrationnelle évidente gouverne une pièce comme Sylvie pensive et Bob Kennedy. Lebel y juxtapose la chanteuse Sylvie Vartan à divers nus ou mannequins en sous-vêtements qui font pareillement la moue ou des sourires aguicheurs, leurs lèvres entrouvertes faisant bizarrement écho à l’affreuse gri- mace dont Lebel a doté Robert Kennedy en ne transférant qu’une partie de la coupure de presse, avant de la modifier à la gouache. De même dans The Most Popular Armpit in T own, Lebel pointe les contradictions inhérentes à la presse féminine, fort peu féministe à l’époque. En supprimant les conventions hiérarchiques de mise en page des publicités ou des illustrations, il souligne l’absurdité des messages destinés à vendre aux femmes des produits supposés les embellir. Comme tout assemblage efficace, ces collages jouent de l’ambivalence des signes entre symbole et signifiant, de manière à attirer le regard tout en adoptant à l’égard du monde l’exacte attitude critique qui est celle de leur auteur. Ces œuvres sur papier sont accompagnées par un Portrait présumé de Arthur Cravan de 1966. L’assemblage n’est pas fait d’images mais d’objets collectés le plus souvent aux marchés aux puces de Montreuil ou de Saint-Ouen, où Lebel a appris à chiner avec André Breton. Formellement, Cravan ressemble à un Objet à dysfonctionnement symbolique de 1963, lui aussi « sur des roulettes », c’est-à-dire fixé sur des skis montés sur roulements à billes. Quant au sujet, Cravan appartient à une série potentiellement inachevée de Portraits présumés, qui comprennent tous une image peinte présentant par quelque heureux hasard des ressemblances avec une des figures de l’Olympe personnel de Lebel. Les skis à la base de l’assemblage font allusion à « la schize », crise de délire ou épisode psychotique qui, selon Deleuze et Guattari, peut aussi correspondre à un moment de génie. L’étroite relation amicale de Lebel avec ces philosophes de l’anti- psychiatrie donne la clé de ces portraits. Les personnages ont été choisis parce qu’ils sont tout autant des monstres que des maîtres : Antonin Artaud, Ezra Pound, Friedrich Nietzsche, entre autres. Lebel a composé cet hommage au poète-boxeur suicidé l’année même où il publiait une Lettre ouverte au regardeur. Ce texte était censé présenter à la galerie Ileana Sonnabend de Paris, en 1966, la première exposition documentaire sur les happenings. L’exposition a été annulée par la galeriste quand Lebel a refusé de retirer une pièce du trop problé- matique Wolf Vostell. Les institutions font aujourd’hui davantage confiance au regard de Lebel. L’intérêt de sa lettre ouverte est de présenter la conception qu’il avait de l’art à l’époque précise où il créait les œuvres aujourd’hui exposées. Le jeune Lebel affirmait qu’une œuvre d’art : « – déborde des beaux-arts sur la vie, « – fait appel à des techniques jusqu’ici dissociées parce qu’on les avait crues incompatibles, « – fait du “regardeur” plutôt un récepteur activement engagé dans la saisie des polyvalences, une sorte de créateur empruntant plusieurs modes de perception et de liaison simultanément, « – fait de l’“auteur” plutôt un intercesseur, un accoucheur, un pilote, « – est tirée collectivement d’un fond psychique supra-individuel, « – refuse de se dépersonnaliser pour s’intégrer à une culture réduite à produire des biens de consommation ». 9 Created between 1962 and 1964 with elements picked from the newspapers and maga zines Jean-Jacques Lebel had at hand (according to him, mainly copies of Elle and Marie Claire discarded by his sweetheart), the works on display are sourced in con- tingency. Yet there is nothing frivolous or capricious in these thoroughly composed accumulations. By the time they were made, Lebel, in his mid-twenties, was already a sophisticated scavenger of images. A family photo portrays six-year-old Jean-Jacques between his mother and nanny, flanked by Aimé Césaire, Marcel Duchamp, Max Ernst and others. During his early childhood in New York City, he was home-schooled, so to speak, by the transitory community of artists driven from Europe by fascism and war. Hence his ability to discourse in collage as if it were his mother tongue. Though a few pieces in this show include collage and are sometimes enhanced with pencil, gouache or watercolors, the particularity of this series is that most of the images are generated by transfer techniques. Transfer involves soaking the source material in solvent, laying it face down on a porous receiving surface such as drawing paper, and then rubbing it with a tool in order to release the image from its original medium and transfer it onto the new surface. The resulting works evoke dada photomontage, though they are made without using a camera or glue. Foregoing the intermediate steps of photographing, developing and printing, the immediacy of this technique allows Lebel to transform his raw material, in this case the normative images generated by the media, into caustic compositions with the facility of a simultaneous translator. A precocious image-maker who considers finger-painting among his happiest peda- gogical experiences, one might argue that Lebel had been practicing assemblage for all intents and purposes since kindergarten. His catalogue raisonné could include mature collage works as early as the mixed-media Mogos he created obsessively throughout his school years, not knowing yet whether they provided uploads/s3/ the-eyeronic-i-of-jean-jacques-lebel.pdf
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- Publié le Fev 12, 2021
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