Cité de la musique Saison 2012-13 Mémoire et création Cité de la musique Saison

Cité de la musique Saison 2012-13 Mémoire et création Cité de la musique Saison 2012-13 Mémoire et création 2 La Cité de la musique est un établissement public à caractère industriel et commercial installé sur le parc de la Villette, qui bénéfi cie du soutien du ministère de la culture et de la communication. Elle favorise l’accès de tous à la culture à travers ses concerts et ses spectacles, son musée et ses expositions, sa médiathèque, ses activités pédagogiques et éditoriales destinées aux adultes et aux jeunes. Elle gère également, par l’intermédiaire d’une fi liale associant la ville de Paris, la Salle Pleyel dont la vocation première est d’accueillir les plus grandes formations symphoniques françaises et étrangères (l’Orchestre de Paris y est en résidence), dans le cadre d’une programmation largement ouverte à toutes les formes de musique. L’Ensemble intercontemporain, résident permanent à la Cité de la musique, se consacre, à travers une programmation régulière de concerts, à l’interprétation de la musique du XXe siècle et à la création d’œuvres nouvelles. Parallèlement, ses trente-et-un solistes et son directeur musical, Susanna Mälkki, s’impliquent régulièrement dans des projets pédagogiques. Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, également installé sur le site de la Villette, entretient une collaboration étroite avec la Cité de la musique à travers la production de concerts et de spectacles qui visent à favoriser l’insertion professionnelle de jeunes musiciens. 3 « Imaginez », écrivait Nietzsche en 1874 dans la deuxième de ses Considérations inactuelles, « imaginez l’exemple extrême : un homme qui ne posséderait pas du tout la faculté d’oublier, qui serait condamné à voir en toutes choses le devenir ». Que deviendrait un tel homme ? Qu’arriverait-il à ce personnage qui annonce étrangement celui d’une nouvelle de Jorge Luis Borges intitulée Funes ou la mémoire (1944), où le protagoniste se souvient de tout, de chaque instant de sa vie passée ? « Un tel homme », poursuit Nietzsche, « ne croirait plus à sa propre essence, ne croirait plus en lui-même… » Impossible, en effet, de vivre sans oublier, comme si l’oubli, aux yeux du philosophe, était une fonction physiologique, presque une nécessité organique : « Toute action exige l’oubli, comme tout organisme a besoin, non seulement de lumière, mais encore d’obscurité. » Plus tard, dans sa Généalogie de la morale de 1887, Nietzsche chantera encore les louanges d’un oubli volontaire, qui guérit de l’insomnie et de « la rumination du sens historique ». Parmi les musiciens, c’est sans doute Pierre Boulez qui a su formuler avec le plus de rigueur une position semblable, lorsqu’il se demande, dans un article de 1988 intitulé La vestale et le voleur de feu : « Ferais-je de nouveau l’éloge de l’amnésie ? » Et de répondre, presque sans hésitation : « Il semble qu’au milieu d’un temps chargé de plus en plus de mémoire, oublier devienne l’urgence absolue… » Cette urgence, ce fut bien sûr celle de l’avant-garde. Ou mieux : celle de la table rase, prémisse de tous les futurismes, exemplairement incarnée dans le Manifeste futuriste du poète italien Filippo Tommaso Marinetti : « Viennent donc les bons incendiaires aux doigts carbonisés !… Et boutez donc le feu aux rayons des bibliothèques ! Détournez le cours des canaux pour inonder les caveaux des musées ! » Ce manifeste, on a peine à le croire aujourd’hui, était paru en première page du Figaro, le samedi 20 février 1909, avant les résultats des courses, la météo et les dernières nouvelles de l’étranger (certes, le vénérable journal le faisait précéder d’un avertissement : « Nous laissons au signataire toute la responsabilité de ses idées »). Mais le plus étonnant, si l’on y pense, c’est que la croyance en une création ex nihilo ait elle-même pu faire école, former une tradition. Car ce fut le cas : Edgard Varèse a poursuivi l’exploration des bruits entreprise par les futuristes (il les avait fréquentés à Paris), sans adopter pour autant leur glorifi cation de l’esthétique de la guerre et en cherchant à organiser ces sonorités nouvelles. En témoigne son Poème électronique, réalisé pour l’inauguration du pavillon Philips à l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 ; en témoignent aussi les glissements continus des sirènes d’alarme dans Ionisation (1933). Après Varèse, Iannis Xenakis incarnera également cette tradition de l’innovation radicale dans l’avant-garde. Lui qui fut architecte tout autant que musicien, il envisagea des projets dignes de la science-fi ction, comme ce « réseau laser sur Paris reliant les points hauts de la ville et jouant avec les nuages », avec « les haut-parleurs des sirènes antiaériennes émettant de la musique spéciale… » À cette force de frayage vers la musique à venir, notre saison a voulu donner sa place. Car il y a assurément une âpre beauté dans les idées pionnières de ceux qui allèrent parfois jusqu’à envisager que l’on oublie le nom même de musique, pour parler plutôt d’une « organisation des sons » : telle était la proposition qui ouvrait, en 1937, une conférence de John Cage intitulée Le futur de la musique. Mais voilà qu’une voix s’élève et proteste, justement indignée : comment peut-on, demande-t-elle, vouloir oublier l’histoire ? Face à ce qu’on appelle le Mémoire et création 3 « devoir de mémoire », comment peut-on avoir la naïveté ou le goût douteux de défendre l’amnésie ? Il faut se souvenir, dira-t-on avec raison. Par exemple de ce qui s’est passé en Algérie. Il faut redire l’avant et l’après de l’indépendance dont on fête en 2012 le cinquantenaire. Il faut rappeler – comme la musique peut et doit à sa manière le faire – ce que furent les violences du colonialisme, ce que fut la révolte contre l’occupant, ce que fut le renouveau ainsi que la fl oraison des genres musicaux qui l’accompagnèrent, sans passer pour autant sous silence l’oppression exercée par le nouveau pouvoir à l’égard de minorités berbères. On ne rappellera jamais assez non plus les années sinistres de l’Occupation et du régime de Vichy, avec leur lot de collaboration et de propagande : là encore, la musique peut et doit témoigner, elle peut et doit faire entendre tout autant les complicités que les résistances. Voilà sans doute ce qu’il convient d’entendre dans ce qu’on nomme le « travail de mémoire ». Qui, décliné du côté de l’histoire de la musique et des langages musicaux, revient aussi à savoir pratiquer l’art délicat de l’hommage. Dira-t-on que, entre mémoire et création, entre ces deux termes que nous avons choisis comme fi ls conducteurs pour notre saison, il y a contradiction ? Entre les deux, faut-il choisir ? Ce serait mal poser le problème. Car il ne saurait s’agir d’une simple ou simpliste alternative, si l’on veut bien considérer que la mémoire, au fond, est oubli. Elle est sélection, fi ltrage : elle perd autant qu’elle garde, elle est un deuil de chaque instant. Et c’est pourquoi, qu’on le sache ou non, qu’on le veuille ou non, elle est toujours invention, réinvention de ce qu’elle tente de conserver intact. Telle est la raison pour laquelle nous avons cru pouvoir risquer l’expression, apparemment paradoxale, de « mémoires au présent ». Sous cet intitulé, on trouvera des concerts consacrés à l’histoire et aux traditions vivantes de l’Arménie ou des Balkans, ainsi qu’à l’Andalousie gitane, où fl eurit un fl amenco jamais fi gé, en perpétuelle ébullition. Le jazz manouche est lui aussi un témoignage de cette capacité qu’ont certains styles de se renouveler sans jamais devoir rompre le fi l qui les lie à leurs sources, quels que soient les écarts idiomatiques par rapport à la langue héritée. La fi gure tutélaire de Django Reinhardt, à laquelle le Musée de la musique consacre une exposition d’octobre à janvier, peut être intimidante, certes, mais elle ne plane pas sur ses successeurs comme une ombre paralysante. Du côté de la musique baroque, classique ou contemporaine, pensons à tout ce qui a pu jaillir d’inouï à partir du nom de Bach, auquel tant de musiciens ont rendu hommage à travers les siècles. B, A, C et H, ce sont, on le sait, des lettres sonores : on peut les traduire dans la notation allemande par des notes (si bémol, la, do, si bécarre) et l’on peut donc en faire un motif ou un sujet musical. Sur ces quatre lettres épelant un patronyme légendaire, combien de variations, de Schumann à Arvo Pärt en passant par Liszt ou Schönberg ? Peut-être est-ce précisément parce qu’il a su se faire l’avocat nietzschéen d’un oubli actif que Pierre Boulez est aussi l’auteur de beaux hommages, qui ne tombent jamais dans l’imitation ou dans la révérence. Car lui aussi a su tirer un parti éminemment inventif des lettres sonores, notamment lorsqu’il compose avec …explosante-fi xe… un tombeau à la mémoire de Stravinski (dont l’initiale, S, s’écrit mi bémol en allemand). À l’inverse, un musicien aussi pétri de souvenirs que György Kurtág ne cesse de faire surgir l’inouï au sein même des transcriptions qui disent son immense respect du passé. L’entendre dialoguer avec uploads/s3/ brochure-cite-de-la-musique-paris-2012-2013.pdf

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