MARIETTE LYDIS ILLUSTRATRICE DU JARDIN DES SUPPLICES Autrichienne de naissance,

MARIETTE LYDIS ILLUSTRATRICE DU JARDIN DES SUPPLICES Autrichienne de naissance, puis Française, et enfin Argentine, la peintre Mariette Lydis (1887-1970) fut surtout connue des Français dans les années trente. Venue s’installer à Montparnasse en 1925, elle est alors considérée comme surréaliste ou relevant de l’école de Paris. Mais elle fut aussi Grecque, d’où son nom, qu’elle doit à son deuxième mari, Jean Lydis, puis Italienne, quand elle s’est ensuite remariée avec le comte Giuseppe Govone, éditeur d’art à Paris, et aussi un peu Anglaise, dans la mesure où elle a été hébergée par son amie Erica Marx, l’éditrice des nouveaux poètes et membre du Pen Club… On peut considérer trois périodes dans l’art de Mariette Lydis. Tout d’abord, sa période « persane » où, sous le soleil du Pirée, sur sa terrasse ou sur le pont du yacht, elle illustrait des contes d’un compatriote, ami de Béla Bartók, par des miniatures1, puis une série d’images pour illustrer un extrait du Coran. Mariette Lydis, par D’Ora, Vienne, 1919 La seconde période, qui commence en Italie et se termine en Angleterre en passant par la France, est considérée comme la plus importante. Elle est caractérisée par des portraits féminins, des aquarelles à la façon d’Egon Schiele, des gravures d’études de personnages. Elle connaît alors « la fureur de vivre des années vingt », fréquente, le bal des Quatre-z’Arts, La Rotonde, Pascin, Foujita, auxquels on la compare ; elle sort avec les amis de Nino Frank, les écrivains qui la fascinent et dont elle aime illustrer les œuvres. Gravures, lithographies, aquarelles sont ses principaux outils d’expression. Parmi ses œuvres les plus remarquables on peut citer ses illustrations : les miniatures du Koran (Müller, Potsdam, 1924), Les Litanies de la vierge (Edizioni Govone), Les Fleurs du mal, de Baudelaire (1928), Le Chant des Amazones, d’après les Olympiques de Montherlant. Signalons encore Music-hall, huile caractéristique exposée au musée La Piscine, à Roubaix. La troisième période est argentine. De famille d’origine juive, sa vie fut en conséquence marquée aussi par la fuite, jusqu’au refuge en Argentine, en 1940. Là on lui fit bon accueil et elle trouva le succès dans un travail d’observation et de représentation des hommes et des femmes qui l’entouraient, surtout comme portraitiste. Toutefois son isolement 1 Bela Balazs, Der Mantel der Träume Chinesische Novellen, mit 20 Bildern von Mariette Lydis, Verlaganstalt D&R Bischoff, München, 1922. rendit sa peinture moins accessible et attrayante, malgré quelques expositions – en France en 1948 et en Belgique en 1949 –, qui ne l’incitèrent pas à revenir vivre en Europe2. Comment la Viennoise Mariette Lydis a-t-elle eu l’idée de préparer une série d’illustrations pour le roman d’Octave Mirbeau, Le Jardin des supplices ? Notons tout d’abord que c’est par ses gravures que l’artiste s’est fait remarquer, et que ses études de « criminelles » à Sainte-Anne, réunies dans une publication préfacée par Mac Orlan, sont un témoignage de son intérêt pour les caractères torturés, physiquement aussi bien que moralement. Henry de Montherlant appréciait sa façon d’être si vraie et d’introduire tant de caractère dans « le visage humain », comme il l’exprime dans le texte de la monographie de Mariette Lydis imprimée en 1938, et aussi dans ses lettres relatives au projet d’illustration des Garçons en 1969. Peu de documents nous sont accessibles sur la période autrichienne de Mariette Lydis. C’est à partir de son exposition à la Bottega de Milan, en décembre 1924, où elle fit la connaissance de Massimo Bontempelli3, qu’elle laissa davantage de traces de son activité. Comme, lors de cette première manifestation, l’élève supposée d’Egon Schiele exposait une série d’aquarelles pour l’illustration du Jardin des supplices, il est tentant de chercher la motivation de l’artiste et les liens entre l’auteur, le texte et un éditeur potentiel. Mariette Lydis s’est exprimée plusieurs fois sur sa vie et son œuvre : dans sa monographie de 1945, parue à Buenos Aires, dans sa préface intitulée « Coupe à travers moi-même », dans ses conférences au Musée des Beaux-Arts de la capitale argentine, dans divers articles des journaux des pays qu’elle traversait, ou encore par le truchement des préfaciers des catalogues de ses expositions : André Salmon, Joseph Delteil, Montherlant, Mac Orlan, Marie Bonaparte, etc. Mais, pour autant, rien ne nous informe sur les circonstances qui ont justifié ce travail sur le roman de Mirbeau. Nous en serons donc quittes pour établir des séries d’hypothèses et de déductions, dans l’espoir qu’un mot derrière un tableau, une lettre nouvelle, une feuille dans un dossier de musée ou d’archive d’éditeur, nous apporte, un jour, peut-être, confirmation ou contradiction. La première hypothèse envisageable relève de l’histoire de sa famille. Mariette Lydis était le troisième enfant d’un couple de bourgeois viennois, commerçants juifs de bonne famille et de bonne réputation. Elle explique dans ses conférences avoir été traumatisée, dans sa jeunesse, par les soins prodigués à son frère Richard, qui souffrait de retards mentaux4, puis par la séparation consécutive à son internement. Quant à sa sœur aînée, Edith, dont des poésies furent mises en musique par Franz Schreker5 et Erich Korngold, elle est décrite comme bossue et finira par se suicider à Florence, en 1921. Peut-on expliquer les obsessions morbides de Mariette par la malédiction qui frappait la famille ? Et ces infirmités ne pourraient-elles pas s’expliquer par des paternités tardives ? En effet, le père, Franz Ronsperger, sixième enfant de sa fratrie, est né en 1845, alors que son propre père, Ignaz, avait cinquante ans et que ses frères aînés, Benedikt (adjoint au maire de Vienne) et Felix, sont venus au monde en 1830 et 1832. La fille de Felix, Luise, qui fut l’épouse de Karl Kautsky et l’amie de Rosa Luxemburg, était ainsi la cousine de Mariette, née en 1887, mais avait vingt-trois ans de plus qu’elle. Toute l’œuvre de Mariette Lydis et ses divers 2 Voir ses lettres à Montherlant, de 1945 à 1970 (collection privée). 3 Catalogue de l’exposition de la Bottega, Mostra personale, préface de Emmanuelle de Castelbarco. La correspondance de Mariette Lydis avec Massimo Bontempelli (quelque deux cents lettres de 1926 à 1928, conservées au Centre Paul Getty) témoigne de leur liaison durant l’année 1925. 4 Richard est décédé en 1932 dans un hôpital psychiatrique (lettre de sa cousine Annemarie Selinko, qui en informe Mariette Lydis en 1938) A. Selinko, qui est devenue célèbre par son roman Désirée, était l’épouse de l’ambassadeur du Danemark en Angleterre, Erling Kristiansen. 5 Franz Schreker, Fünf Gesänge für tiefe Stimme und Orchester (1909), dont quatre sur des textes d’Edith Ronsperger, qui lui avait été présentée par Arnold Schönberg. témoignages écrits démontrent son attirance pour des visages torturés, ce que confirment ses études et réflexions sur les visites qu’elle a faites dans les asiles ou les prisons, non seulement en France, mais aussi au Maroc, lors d’un voyage, en 1926, et en Argentine, à partir de 1940. La deuxième explication envisageable tient à son goût pour les femmes6 et à son engagement progressiste. Les cartes postales de Mariette Lydis à sa sœur, Edith ou à son amie Marie Stiasny7, datées de 1905, et celles reçues de cette dernière en 1911, nous confortent dans l’idée de vacances au bord du Grundelsee « entre filles », dans le groupe des étudiantes de la pédagogue féministe Eugenie Schwarzwald8. L’amitié profonde de Mariette pour sa « presque jumelle » Marie9, qu’elle invitait chez elle en 1928 à Paris10, et pour qui, en 1941, elle fit toutes les démarches possibles pour l’extraire de Suisse et lui permettre d’émigrer en Argentine11, peut expliquer que, sans avoir été élève de l’école Schwarzwald, elle ait, par contre, fréquenté les salons où se rencontraient les amis du Dr Genia, comme on appelait Eugenie Schwarzwald : en particulier, Arnold Schönberg, qui enseignait la musique, Oskar Kokoschka les arts graphiques et Adolf Loos l’architecture. L’architecte était en butte à l’hostilité de l’administration viennoise, au point, en 1921, de venir s’installer en France. Ce sont probablement ses idées progressistes et en rupture avec la tradition qui sont à l’origine des relations amicales que Mariette a entretenues avec lui et, par suite, avec Francis Jourdain12, qui, de surcroît, manifestait lui aussi de l’intérêt pour la décoration intérieure. Cela explique probablement la création d’une section architecture en 1923, au Salon d’Automne, qu’avait fondé le père de Francis, Frantz Jourdain, et auquel Mariette a participé en 1926. Loos avait-il eu l’occasion de parler des ouvrages de Mirbeau ? Nous l’ignorons, mais il ne serait pas vraiment étonnant que, au vu des recherches de Mariette teintées de morbide, il lui ait parlé des supplices chinois et du roman de Mirbeau. Il est également probable que les œuvres du romancier français aient garni les rayons de la bibliothèque de la villa Schwarzwald13 et aient donc fort bien pu être lus alors par Mariette. L’appui de Francis Jourdain, grand ami de Mirbeau, pour l’accueil à Paris de l’artiste viennoise ne fait aucun doute. Son admission dans des conditions très favorables par le président du Salon d’Automne, en 1926, puis son adhésion comme sociétaire, ne peuvent s’expliquer autrement, sa uploads/s3/ gerard-barbier-mariette-lydis-illustratrice-du-quot-jardin-des-supplices-quot.pdf

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