1 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky Table des matières 03
1 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky Table des matières 03 Biographie 25 Œuvres phares 58 Importance et questions essentielles 75 Style et technique 90 Où voir 102 Notes 115 Glossaire 133 Sources et ressources 144 À propos de l’auteur 145 Copyright et mentions 2 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky Gershon Iskowitz (1920 ou 1921-1988) est né et a grandi en Pologne. Les circonstances de son enfance — le traumatisme de l’Holocauste et l’incertitude de la période d’après-guerre, suivis de l’émigration et de l’intégration au Canada — fournissent le contexte dans lequel nous devons tenter de comprendre et d’apprécier son œuvre, l’art et la vie étant inséparables pour Iskowitz. Ses premières images figuratives représentent les expériences tragiques qu’il a observées et engrangées. Dans ses dernières œuvres, abstraites et lumineuses, il crée sa propre vision du monde en imaginant un homme nouveau dans un monde nouveau. 3 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky De gauche à droite : (rangée arrière) parents Zisla Lewis et Jankel et (rangée avant) enfants Yosl, Gershon et Itchen, v.1924, photographe inconnu, Fonds Gershon Iskowitz, E.P. Taylor Bibliothèque et Archives, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. DE KIELCE À BUCHENWALD Gershon Iskowitz naît à Kielce, une ancienne ville du centre-sud de la Pologne comptant une importante population juive d’environ 18 000 personnes à la veille de la Deuxième Guerre mondiale1. Son père, Shmiel Yankl, communément appelé Jankel, et sa mère, Zisla Lewis, ont quatre enfants et Gershon est le troisième. La date exacte de sa naissance ne peut être établie avec certitude, mais il est né en 1920 ou 19212. Il a deux frères aînés, Itchen et Yosl, et une sœur cadette, Devorah. Les comptes rendus les plus complets de la jeunesse d’Iskowitz sont consignés dans deux livres écrits au moment de la rétrospective de l’artiste au Musée des beaux-arts de l’Ontario en 1982 : Gershon Iskowitz : Painter of Light d’Adele Freedman et Iskowitz de David Burnett3. Les deux auteurs ont longuement interviewé l’artiste et enregistré ses récits. Malheureusement, il n’existe pas suffisamment de documentation fondamentale à son sujet : Iskowitz n’a conservé que deux documents officiels clés et quelques photographies d’une période cruciale de sa vie, 1945-1947, et il n’a jamais conservé de lettre. De nouvelles recherches ont permis de corriger nombre d’erreurs biographiques de longue date, mais l’histoire de sa vie demeure fascinante — une histoire de survie, de renouveau et de réussite artistique. Jankel Iskowitz « gagne modestement sa vie en écrivant des pièces satiriques — poèmes, blagues, portraits — pour les hebdomadaires yiddish de Varsovie, Radom et Kielce sans toutefois prendre activement part à la vie politique4 ». La famille vit dans le quartier juif, où la plupart des hommes sont soit commerçants ou colporteurs, et où les gens sont pauvres mais autosuffisants, avec leurs propres écoles, théâtres et services sociaux. Ils vivent en redoutant constamment l’opposition des autres habitants de la ville — conflit qui dégénère parfois en pogroms. Espérant que son fils devienne rabbin, Yankl envoie Gershon, âgé d’à peine quatre ans, dans une maternelle de Lublin parrainée par la Yeshiva de Lublin, un important centre d’étude de la Torah. Mais le garçon se rebelle contre la vie en institution et rentre chez lui deux ans plus tard. Au cours des années suivantes, il fréquente une école polonaise ou suit des cours particuliers. La famille parle yiddish, mais Gershon apprend également l’hébreu, le polonais et un peu d’allemand avant même ses dix ans. Très tôt, il démontre une aptitude pour le dessin, et son père encourage son talent en aménageant un espace dans une pièce, à l’avant de la maison, où il peut faire des croquis. Gershon aime les films. Le jeune homme fait preuve d’initiative et conclut un marché avec le propriétaire d’une salle de cinéma locale pour produire des affiches publicitaires en échange de billets gratuits et, plus tard, d’une redevance. Il dessine aussi des portraits et des caricatures de gens qu’il connait. Dès l’adolescence, Gershon sait qu’il veut devenir artiste. Il raconte comment, lorsqu’il fut accepté à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, il s’arrange pour habiter avec un oncle en ville et arrive en août 19395. Quelques jours plus tard, l’armée allemande envahit la ville et Iskowitz retourne à Kielce. 4 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky GAUCHE : Gershon Iskowitz, Side Street (Rue transversale), v.1952-1954, aquarelle, encre de couleur et gouache sur carton à dessin, 50,9 x 63,5 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. DROITE : Gershon Iskowitz, It Burns (En flamme), v.1950-1952, encre de couleur et gouache sur carton à dessin, 50,9 x 63,4 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. La persécution nazie de la population juive du pays commence presque immédiatement. Le 31 mars 1941, les forces occupantes établissent le ghetto de Kielce — quelques blocs carrés entourés de murs coiffés de fils barbelés et de portes verrouillées. La famille Iskowitz ainsi que tous les autres Juifs de la ville sont forcés d’y vivre. Ils sont bientôt rejoints par des Juifs transportés d’ailleurs en Pologne pour être « confinés », de sorte qu’en août 1942, plus de 25 000 personnes sont coincées dans cette zone sordide. La faim et la typhoïde sévissent, et beaucoup meurent. Dans son plus ancien dessin conservé, Action, 1941, Iskowitz évoque un incident dont il a été témoin dans le ghetto — un soldat allemand qui arrache de force une fillette des bras d’une femme6. Le 20 août 1942, les occupants nazis ordonnent la liquidation du ghetto et, quatre jours plus tard, il ne reste que 2 000 personnes7. De nombreux habitants malades, âgés et handicapés sont arrêtés et abattus dans les rues, mais les autres sont envoyés par train au camp d’extermination de Treblinka, au nord-est de Varsovie. Les parents d’Iskowitz, sa sœur et son frère Itchen sont tous morts au camp. 5 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky Gershon Iskowitz, Action, 1941, plume et encre noire, aquarelle et gouache sur papier vélin, 39,2 x 52,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Gershon Iskowitz, Untitled (“B-3124”) (Sans titre [“B-3124”]), 1951, feutre marqueur sur papier, 35,5 x 43 cm, Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto. Iskowitz et son frère Yosl sont envoyés au camp de travail de Henryków puis, au début de l’automne 1943, à Monowitz-Buna, un camp de travail forcé qui est l’un des trois principaux sites du camp de concentration d’Auschwitz8. C’est là que le bras gauche d’Iskowitz est tatoué du numéro de prisonnier B-3124. En 1951, après s’être installé à Toronto, Iskowitz fait un dessin de son bras portant le numéro9. Pendant son emprisonnement à Auschwitz, mal habillé et à moitié affamé, il travaille quatorze heures par jour dans une cimenterie et subit les « défilés de sélection » nus organisés toutes les deux semaines par le tristement célèbre Dr Mengele. Chaque fois qu’il le peut, il fouille les poubelles pour trouver du papier, de l’encre ou d’autres matériaux d’art et, seul, la nuit, il dessine les horreurs autour de lui et cache les croquis sous des planches dans les baraques. Parfois, les gardes lui demandent de faire des dessins pour eux et le paient avec une saucisse ou du pain10. Vers la fin de 1944, alors que l’armée russe avance vers l’ouest en Allemagne, Iskowitz et de nombreux autres prisonniers d’Auschwitz sont transférés au camp de concentration de Buchenwald dans une marche de la mort de 250 kilomètres. Dans la précipitation du départ, Iskowitz n’a pas eu la chance de récupérer ses dessins. Son frère Yosl n’est pas parmi les marcheurs, et Iskowitz présume qu’il est mort dans le camp. Quand il arrive à Buchenwald, il joue au malade : il a compris la mentalité du camp — une balle ne sera pas gaspillée pour quelqu’un qui va mourir de « causes naturelles11 ». Plus tard dans sa vie, Iskowitz s’est confié sur les horreurs et son état d’esprit pendant sa détention à Buchenwald, et sur les raisons pour lesquelles il continuait d’y faire des dessins : « Je l’ai fait pour moi... J’en avais besoin pour 6 GERSHON ISKOWITZ Sa vie et son œuvre de Ihor Holubizky ma santé mentale, pour oublier ma faim12. » Il utilise les matériaux qu’il dégote en fouillant les poubelles des camps et, comme il le décrit lui-même, il trouve du papier et des pastilles d’aquarelle sur une épure13. Seules deux esquisses subsistent de son passage à Buchenwald, Condemned (Condamné), v.1944- 1946, et Buchenwald, 1944-1945. Iskowitz n’est pas le seul à documenter les camps. Parmi les survivants de l’Holocauste, écrit Constance Naubert-Riser, « il y avait des artistes qui avaient la force de témoigner de cette sinistre entreprise. La nature plus intime de ces œuvres nous amène à une proximité réelle et intériorisée de la mort14 . » Leur travail contraste avec les peintures des artistes de guerre officiels qui ne peuvent dépeindre les camps que « de l’extérieur15 ». Les artistes canadiens Alex Colville (1920-2013), uploads/s3/ gershon-iskowitz-sa-vie-et-son-oeuvre.pdf
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- Publié le Dec 15, 2021
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