Technique et Esthétique Author(s): PIERRE FRANCASTEL Source: Cahiers Internatio
Technique et Esthétique Author(s): PIERRE FRANCASTEL Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 5 (1948), pp. 97-116 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40688673 . Accessed: 12/06/2014 21:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.181 on Thu, 12 Jun 2014 21:38:03 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Technique et Esthétique PAR PIERRE FRANCASTEL On voit opposer couramment de nos jours l'esthé- tique et la technique. La plupart des théoriciens de l'âge industriel étalent un mépris dédaigneux à l'égard des valeurs désintéressées de Fart, tandis que les artistes nourrissent un égal dédain pour les attitudes utilitaires de l'ingénieur. Cette opposition n'est, en réalité, pas nouvelle. A toutes les époques, il s'est trouvé des hom- mes pour exalter l'utile par opposition au gratuit et réciproquement. Ceux qui dénoncent aujourd'hui le caractère inutile, ou du moins superfétatoire, des œuvres d'art, ceux qui opposent aux phénomènes fondamentaux de la vie moderne, commandée par la technique, les vaines spéculations des artistes, ne font que reprendre des thèses classiques. Sans aller chercher Calliclès, Kant a défini le Beau une finalité sans fin. Ce philosophe idéa- liste était assurément plus sensible, quant à lui, à l'op- position entre le monde des Idées et le monde des Formes qu'entre le monde de l'action et celui de l'ex- pression, mais il était en somme aussi peu averti des valeurs et des aspirations réelles de l'art en général, et de l'art de son temps en particulier, que les théoriciens modernes de la civilisation machiniste. On ne gagne jamais à ignorer quelque chose. Je pense que, de nos jours, il est très important que la recherche sociologique, orientée en vue de la compré- hension de l'époque révolutionnaire où nous vivons, tienne compte des valeurs esthétiques après avoir tenté 97 ι This content downloaded from 188.72.126.181 on Thu, 12 Jun 2014 21:38:03 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Pierre Francastel d'en bien définir les rapports avec les valeurs techni- ques de notre temps. I. - II convient d'abord de dissiper un malentendu. Il n'y a pas d'opposition naturelle entre l'art et la tech- nique. C'est bien à tort que les théoriciens du monde moderne partent de cette hypothèse. Tout au contraire, l'art et la technique ont, jusqu'ici, toujours été liés l'un à l'autre. Jusqu'à l'époque contemporaine, l'outil a été réellement le prolongement de la main et, par consé- quent, la question ne se posait pas de savoir si l'activité humaine revêtait des caractères différents suivant qu'elle utilisait ou non des machines, parvenues récemment à un degré d'automatisme tel qu'il supprime, il est vrai, une part importante du travail manuel et réfléchi de l'homme. Toutefois, les valeurs esthétiques et les valeurs techniques étaient déjà différenciées et le conflit existait déjà entre elles aux yeux des observateurs superficiels. En réalité, on peut dire que, dans le passé, le beau et le pratique, - ou l'utile - , étaient des points de vue pris sur les mêmes phénomènes, qu'il n'y avait pas, d'une part, des produits de la technique et, d'autre part, des produits du bon goût de l'humanité. Tout objet comportait nécessairement un aspect pratique et un aspect esthétique. Il en allait ainsi depuis le début de l'évolution humaine. Tous les arts sont nés, en effet, du maniement de la matière et, réciproquement, dans toute intervention de l'homme sur la matière il existe une part d'adaptation qui relève de l'esthétique, c'est-à-dire d'une intention ou d'une finalité distincte de la simple facture: Les travaux récents des ethnographes ont rendu plus évidente que jamais cette vérité. L'outil est fait pour un certain usage; mais il n'existe pas de détermi- nisme absolu entre le besoin qui fait fabriquer l'outil et la forme particulière, et infiniment variée pour un même engin, à laquelle s'arrête chaque groupe humain Κ 1. Cf. Leroi-Gourhan (André). Bvolution et techniques. I. L'Homme et la matière. II. Milieu et techniques. Paris, Albin Michel, 2 vol. in-12, 1943 et 1945. 98 This content downloaded from 188.72.126.181 on Thu, 12 Jun 2014 21:38:03 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Technique et Esthétique Les techniques primitives personnalisent des schemes d'outillage généraux où le déterminisme rigoureux de Temploi ne caractérise qu'un principe; s'agissant du hameçon ou de la houe d'une peuplade primitive, il existe, en fait, des dizaines de formules, équivalentes au point de vue pratique. La forme pure, le type, n'existe qu'en tant qu'abstraction. D'où l'on conclut à l'interven- tion d'un certain élément de goût, sinon personnel, plus exactement collectif ou social, dans la fixation des mo- dèles d'outils. Jusqu'au début de la période moderne, aucun chan- gement de nature ne s'est produit dans les rapports de la technique et du goût. On peut expliquer, par exemple, le développement d'une architecture comme celle du moyen âge par la capacité nouvelle des tailleurs de pierre, munis d'outils en acier, à façonner de grosses pièces; mais il est clair que, rendus capables de tailler la pierre dure en gros blocs, mille voies leur étaient ouvertes et que ce sont des raisons de science - réali- sation des épures - et de goût - schéma idéal de l'édifice satisfaisant à un désir d'expression sensible de l'infini - qui ont déterminé la forme particulière des produits de leur travail manuel 2. Quand, au χνπΐθ siècle, un ouvrier dans un atelier taille à la main une pièce de bois pour faire un pied de chaise ou une cuillère à pot, il suit des yeux un modèle, mais il invente, geste après geste, la méthode qui lui permet d'approcher le plus près possible de ce modèle et, ce faisant, il provoque une évolution permanente des procédés d'exécution et de 2. Les études relatives aux techniciens de l'art du moyen âge sont encore absolument dans l'enfance; aucune recherche systématique n'a été entre- prise en ce qui concerne soit l'utilisation des matériaux, soit l'emploi des épures chez les constructeurs de l'art roman et gothique. M. F. Benoit, dans ses manuels : L'Architecture, l'Occident médiéval. I. Du romain au roman. II. Romano-gothique et Gothique, Paris, Laurens, 2 vol. in-8°, 1933 et 1934, a posé le problème d'une histoire de l'art conçue sur un plan technique: mais ses études conservent un caractère général. Plus récemment l'abbé G. Plat, L'Art de bâtir en France des. Romains à l'an 1100, d'après les monuments anciens de la Touraine, de l'Anjou et du Vendômois, Paris, les éditions d'Art et d'Histoire, in-4°, 1939, a accumulé un assez grand nombre d'observations concrètes qui montrent le profit qu'on peut attendre d'une pareille enquête. 99 This content downloaded from 188.72.126.181 on Thu, 12 Jun 2014 21:38:03 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions Pierre Francastel l'apparence même de l'objet qu'il exécute en série. On peut donc bien affirmer, d'une manière absolue, que tous les arts sont nés du maniement de la matière et que toute action de l'homme sur la matière comporte une part d'activité libre et créatrice, par quoi les valeurs plastiques s'associent à toutes les tâches utilitaires. J'admets volontiers que ce sont là des vérités peu familières aux techniciens; mais il y a beaucoup de raisons de croire que l'histoire de l'art - qui est en passe de conquérir enfin dans la connaissance des civili- sations récentes une place égale à celle, fort légitime, qu'elle occupe déjà dans la connaissance des civilisa- tions primitives et archaïques - rendra bientôt ces faits évidents à tous les yeux. Les techniques commandent tous les arts - y com- pris la peinture dans ses formes en apparence les plus gratuites. Toute technique, en revanche, comporte une part d'habileté, d'adaptation, de recherche et de choix des moyens les plus conformes à la réalisation d'un schéma général d'utilisation pratique de l'objet, qui ne relève que de l'art - c'est-à-dire à la fois du goût per- sonnel de l'exécutant et des traditions d'action et de cadre particulières au groupe pour lequel il est fabriqué. La pseudo-opposition qu'on voudrait établir entre l'art et la technique ne se justifierait que si l'œuvre d'art était le produit de la fantaisie vraiment gratuite d'un individu, ce qui est méconnaître absolument le rôle de l'art. Celui-ci possède essentiellement une fonction socio- logique - soit que l'artiste produise des outils ou des œuvres matériellement utiles - comme des maisons, des ponts ou des chaises - à ses contemporains, soit qu'il assouplisse la matière en vue d'exprimer des idées et des sentiments et de les répandre3. Qu'il s'inspire donc 3. Sur les problèmes que pose actuellement la sociologie de l'art et sur les méthodes à envisager uploads/s3/ pierre-francastel-technique-et-esthetique.pdf
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- Publié le Mai 13, 2022
- Catégorie Creative Arts / Ar...
- Langue French
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