Fichier : _r1_merge4 - 22 juin 2005 - 20:23 en langue française 2363 rap RAP L'
Fichier : _r1_merge4 - 22 juin 2005 - 20:23 en langue française 2363 rap RAP L'histoire sociale d'un phénomène musical américain A vant de désigner l'art de parler en phrases ri- mées ou allitérées sur une rythmique, et enfin tout un style de musique, le mot anglais rap si- gnifie, dans l'usage américain, deux choses distinctes, mais que l'on retrouve associées dans l'univers mu- sical et commercial contemporain : une inculpation judiciaire, une condamnation (to take the rap, « payer pour les autres »), ou bien une conversation, une dis- cussion (par exemple dans des expressions telles que don't give me this rap, « ne me sors pas ton baratin »). Si cette seconde signification conduit aisément au sens international de rap, les origines de ce style mu- sical sont moins faciles à préciser. Sa date de nais- sance est incertaine, mais on peut dire qu'il est né à la fin des années 1960. Le lieu est clair : New York, sans aucun doute, et le Bronx, naturellement. Quant aux conditions de son émergence, c'est une histoire complexe, comme celle de tout grand style ou genre musical, une histoire faite d'interconnexions multiples entre réalités sociales, influences culturelles, faits de langage, contextes économiques et politiques, et in- dividus singuliers. On peut tout de même tenter de décrire les éléments de ce mélange d'influences qui a fini par s'appeler rap. À l'origine, un fait social : le rap est le produit de ces gigantesques ghettos urbains où se sont re- groupés les oubliés du rêve américain, la population noire. Dans les années 1970, en effet, s'organisent dans le Bronx les premières block parties. La block party consiste à fermer une rue des deux côtés avec barrières et services de sécurité, puis à brancher une sono sur l'éclairage public, et enfin à réunir les gens, notamment les jeunes du quartier, pour danser. Deux personnages clés apparaissent avec ces block parties, qui resteront les deux piliers de la musique rap : le DJ (didjè), disc jockey, et le MC (èmsi), master of cere- mony. Le premier transporte sa mallette de disques vi- nyles, le second accompagne la programmation avec son micro. Au début, le MC ne lance que quelques encouragements pour faire danser la foule ; mais ses onomatopées deviennent bientôt de véritables textes. Le rap créé par le MC prend racine sur des faits culturels, inscrits dans la tradition verbale afro- américaine, tel celui des dozens, bouts rimés où l'on humilie en quatre rimes la mère de l'adversaire, en général par l'évocation de l'inceste (fuck your mother, d'où mother fucker). Le Noir semblait s'être dit : Eh bien, si ce qui m'arrive est juste, alors bon sang, tout est juste ! Les dirty do- zens vantent l'inceste, l'homosexualité, même l'aptitude de Dieu à créer un monde rationnel est mise en doute avec mépris [...] Ce n'est pas l'athéisme, cela se situe bien au-delà de l'athéisme ; ces hommes ne marchent pas et ne parlent pas avec Dieu ; ils marchent et parlent sur Dieu. Richard Wright, Écoute, homme blanc, trad. Dominique Guillet. L'influence de la tradition orale afro-américaine ne s'arrête pas là et on peut évoquer tout ce qui unit la position et la parole si particulières du preacher noir, du prédicateur, et celle du MC. Ensuite, le rap hérite à coup sûr d'un certain type d'usage du langage rythmé, dont les racines alimentent les débuts du jazz, et qui remontent aux générations afro-américaines sou- mises à l'esclavage. Les Noirs ont clairement reconnu que maîtriser le lan- gage des Blancs revenait en fait à se laisser dominer par lui à travers les définitions de classe introduites par les Blancs dans le système social sémantique. L'inversion est alors devenue un mécanisme de défense qui per- met aux Noirs de lutter contre le piège linguistique et par conséquent psychologique tissé par les Blancs [...]. Les mots et les expressions ont reçu des sens inversés et des fonctions modifiées. Refusant d'accéder à l'ambi- valence sémantique ainsi instaurée, tant au niveau des connotations que des dénotations, les Blancs ne les ont interprétés qu'en accord avec leur sens originel [...], per- mettant aux Noirs de les manipuler en toute impunité. G. S. Holt, « Inversion in Black communication », dans T. Kochman (éd.), Rappin' and Stylin' Out, Urbana, University of Illinois Press, 1972, p. 154, trad. D. E. M. Le meilleur exemple de ce type d'inversion est sans doute la façon dont, encore aujourd'hui, les rappeurs américains se désignent les uns les autres comme des niggers (« négros »), reprenant le terme dont usaient les esclavagistes blancs et en général les racistes. Là où les Blancs voient une insulte, le terme devient, dans la langue des Noirs, un signe d'approbation et de co- hésion, analogue au retour des Noirs francophones au mot nègre et à l'apparition de la négritude ◻voir nègre'. Le rap, avant d'être un art musical, trouve donc ses origines dans des pratiques et des exercices linguistiques propres à la communauté noire améri- caine. Enfin, dans ses structures verbales et musicales, le rap a été influencé par les sound systems jamaïcains : depuis les années 1960, la musique reggae se propage sur de nombreux « discomobiles » affublés d'énormes haut-parleurs colportant à travers toute la Jamaïque les succès reggae de l'époque, gravés sur quarante- cinq tours. Or, la face B de ces vinyles comporte bien souvent la partie instrumentale de la chanson-titre : c'était l'occasion pour les toasters de s'emparer du mi- cro et de raconter des histoires sur le fond musical. Le premier tube du genre rap est sans conteste le Rappers' Delight du Sugarhill Gang (en 1979), monté de toutes pièces et sans importance musicale. Dix ans plus tôt, les Last Poets, collectif de jeunes Noirs mili- tants, en liaison avec Malcolm X et les Black Panthers, annoncent avec une rare violence la nécessité d'une révolution noire. Même si les Sugarhill sont les pre- miers à populariser la nouvelle façon de parler sur un « instrumental », les Last Poets avaient inauguré la critique sociale et la violence, verbale et souvent phy- sique, que le rap des années 1990 amplifiera. La popularité grandissante du rap, dès la fin des années 1970, s'explique par son enracinement dans une « culture de la rue », dont l'apparition dénote un profond changement dans la communauté noire américaine. Le rap s'inscrit dans un certain type de culture urbaine, le hip hop, terme désignant un mode de vie, une attitude, et regroupant quatre disciplines complémentaires (les quatre piliers de la culture hip hop) : le rap (le phrasé), le deejaying (la musique et la production du beat), la danse (le breakdance) et le graffiti ou le tag. Si la naissance du rap recouvre cet ensemble com- plexe d'influences culturelles et de pratiques sociales, sa popularisation est due, pour une large part, au con- texte new-yorkais spécifique des années 1980. Au dé- but de cette décennie, le rap n'est représenté que par quelques groupes (Treacherous Three, Grandmaster Flash and the Furious Five...), mais avec l'accession Fichier : _r1_merge4 - 22 juin 2005 - 20:23 rap 2364 dictionnaire culturel RAP de Ronald Reagan au pouvoir (1980), le rap joyeux et insouciant fait place à un rap militant, revendicatif. La décennie Reagan correspond à l'accroissement des budgets militaires au nom de la fameuse Star Wars et à une réduction dramatique des budgets sociaux. C'est la décennie de l'abandon des ghettos noirs, dont la violence augmente d'autant plus qu'ils sont le lieu de l'arrivée massive du crack, ce résidu de cocaïne à très bon marché, dès 1983-1984, et de la négligence cou- pable des autorités vis-à-vis du sida, considéré comme la maladie des homosexuels, des drogués et des mino- rités ◻voir sida'. Avec les années 1980, les rappeurs deviennent les porte-voix d'une minorité oubliée par les autorités dans une société « à deux vitesses ». À coup sûr, le morceau marquant le mieux cette mu- tation du rap est The Message de Grandmaster Flash and the Furious Five (1982). La maturation politique du rap n'est pas sa seule évolution dans les années 1980 : son esthétique se mo- difie et s'éloigne progressivement des influences funk des débuts. L'ère « technologique » a commencé : les producteurs découvrent peu à peu les machines, et la technique du sampling (échantillonnage) devient in- contournable. De la même façon, renversant les codes des premiers rappeurs, ceux des années 1970, le look se transforme : fini les costumes de cuir et les dé- guisements à paillettes des vedettes de la scène, le rappeur est vêtu en sportif, baskets, casquette, sur- vêtement, comme l'atteste un titre de Run-DMC, My Adidas. Enfin, sur le plan commercial, les marques (labels) se multiplient et la scène rap, principalement new-yorkaise, se structure. Une de ces marques est notable musicalement et commercialement, c'est Def Jam, fondé en 1985 par Rick Rubin (membre blanc occasionnel des Beastie Boys) et Russell Simmons (manager noir). Def Jam a produit trois des plus importants rap- peurs des années 1980, LL Cool J (Radio, 1985), disque qui devient immédiatement uploads/s3/ rap-in-a-rey-dir-dictionnaire-culture.pdf
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- Publié le Dec 24, 2022
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