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> Filigrane > Musique et globalisation Numéros de la revue / Musique et globalisation « Des critères d'authenticité dans les musiques métissées et de leur validation : » Amine Beyhom Résumé Les « rencontres musicales » sont considérées comme un des résultats « normaux » de la globalisation ; un des corollaires de cette assertion est une attitude (répandue de nos jours et trouvant son origine dans les musiques exotisantes occidentales) dans laquelle le créateur musical se sent le droit de puiser libéralement dans les différentes musiques du monde, comme au sein d'un catalogue d'offre culturelle, pour améliorer son offre personnelle, ou tout simplement améliorer ses chances d'être entendu sur la scène musicale mondiale ou locale. Les « métissages » qui en résultent sont divers, et diversement appréciés par le public, les musiciens et les musicologues. L'auteur tente dans cet article d'analyser la dynamique couplée modernité v/s tradition et globalisation v/s identité sur des exemples précis issus des musiques récentes ou contemporaines du Proche-Orient, avec le Liban, pays à la pointe des syncrétismes dans la région, comme exemple phare. Une étude particulière de la « seconde augmentée », correspondant dans les théories modernes du maqâm à l'intervalle du tétracorde h?ijâz (ou h?ijâz-kâr), permet de mieux situer la problématique globale abordée dans l'article. La conclusion qui ressort de ces analyses est que la première dynamique (modernité v/s tradition) est faussée par la deuxième (globalisation v/s identité), et que le produit de ces « échanges » culturels reflète la réalité de la situation politique au cours des deux derniers siècles : la globalisation résulte en une perte quasi totale de l'identité culturelle locale, et la modernisation (confondue avec « évolution » par la majorité des acteurs culturels) est devenue, pour les pays arabes (sinon pour tous les autres), synonyme d'« occidentalisation ». Plutôt que de rester sur un constat négatif, l'auteur tente, en dernière partie d'article, de définir, sur l'exemple des musiques arabes, une série de critères pouvant servir à « authentifier » un produit musical issu de telles « rencontres », en insistant sur la nécessité préalable d'un retour aux sources originelles de ces musiques pour les Arabes eux-mêmes, tout comme pour d'autres acteurs de la scène musicale « mondialisée ». Abstract 'Musical encounters' are considered as one of the 'normal' results of globalisation. One of the corollaries of this assertion is an attitude (widespread today, whose origin lies in Western music's quest for the exotic), whereby the musical creator feels entitled to draw on the different world musical traditions, like catalogues of cultural offerings, in order to enhance his or her own personal offering, or simply to enhance the chances of being heard in a local or global music scene. Different kinds of 'métissage' result, which are differently appreciated by audiences, musicians, and musicologists. In this article, the author undertakes an analysis of the dynamic pairs modernism vs. tradition and globalisation vs. identity, using new music examples taken from the Near East, particularly from Lebanon, a spearhead of syncretism in the region. Particular examination of the augmented second, corresponding in modern theories of maqâm to the tetrachord interval h?ijâz (or h?ijâz-kâr), permits a better localisation of the global problem approached in this article. The conclusion that emerges from these analyses is that the first dynamic pair (modernism vs. tradition) is distorted by the second dynamic pair (globalisation vs. identity), and that the products of these cultural exchanges reflect the reality of the political situation of the last two centuries. Globalisation results in almost total loss of local cultural identity, and for Arab countries (if not for all others) modernisation (confused with 'evolution' by most cultural players) has become synonymous with 'Westernisation'. Rather than dwell on a negative statement, in the last part of the article the author attempts to define a series of criteria that could serve to 'authenticate' a musical product resulting from such 'encounters', taking Arabic music as an example. He thereby maintains as a pre-condition the necessity for Arabs to return to their original musical sources; the same applies to other players on the 'globalised' musical scene. Introduction > Filigrane > Musique et globalisation Les « fusions » ou métissages sont devenus pratique courante depuis la vague de la world music. Les rencontres musicales (dénomination pudique utilisée par les intervenants culturels conscients de la dépréciation de termes tels « musiques du monde ») ont néanmoins débuté bien avant le xxe siècle et le syncrétisme musical, notamment méditerranéen, notamment au sein de l'empire arabe, est une donnée constante de la musique : nous sommes tous le produit d'un syncrétisme quelconque, culturellement et socialement, tout comme l'est aujourd'hui notre production culturelle, tout comme elle l'a été tout au long de l'histoire. Il serait de ce fait tout à fait normal que le créateur musical aujourd'hui se sente le droit de puiser dans les différentes musiques du monde, comme au sein d'un catalogue d'offre culturelle, pour améliorer son offre personnelle, ou tout simplement améliorer ses chances d'être entendu, vu que les « rencontres » entre musiques (et musiciens) sont devenues à la mode. L'appropriation musicale peut cependant aboutir à des conséquences rédhibitoires, parfois différentes selon qu'elle se fait dans le sens de la musique dominante vers les musiques traditionnelles (qu'elles soient populaires ou savantes peu importe), ou l'inverse ; ces conséquences deviennent plus subtiles si les emprunts se font horizontalement, c'est-à-dire entre musiques traditionnelles ou d'aires géographiques comportant une dominante de musique traditionnelle. Cet article traite des deux premières appropriations (qui correspondent parfois à des expropriations) musicales, principalement sur l'exemple du Proche-Orient et du Liban qui, par sa relation particulière avec l'Occident et son métissage culturel continu et accéléré pendant les deux derniers siècles, constitue un laboratoire de choix pour ces pratiques. Les critères d'authenticité des emprunts musicaux seront également abordés, ainsi que, plus brièvement, la relation à la modernité et les critères d'innovation à travers les fusions musicales. Mise en situation Rappelons le contexte occidental (récent) (1) de l'appropriation de musiques de cultures parfois limitrophes, souvent antagonistes : des « turqueries » de Mozart (L'Enlèvement au sérail) à la world music d'aujourd'hui, en passant par l'« hispanisme », l'exotisme en général et les expériences du jazz « modal » et de la musique contemporaine, le « regard » occidental a souvent été décontenancé, curieux, négatif et/ou critique par rapport à ces musiques « extérieures », et a suivi, notamment en France, l'évolution de la politique extérieure (2). La diversité des regards, du refus effaré par Berlioz des musiques chinoise et indienne (3) à l'adoption pure et simple par les compositeurs de formes intégrées à leur musique (la polonaise, la polka, la habanera, etc.), traduit une diversité ? qu'il faut a priori considérer comme saine ? des attitudes par rapport à des cultures « étrangères ». Ce panel d'attitudes différentes n'a pas réellement évolué à ce jour, au discours politiquement correct de la majorité des musiciens occidentaux s'opposant, quand la rencontre est « physique », les réactions de certains autres (les mêmes, parfois ?) (4). La relation occidentale à la musique exogène est complexe, mais s'effectue généralement d'un point de vue ethnocentrique : Jean-Pierre Bartoli, dans un article consacré au Désert de Félicien David, décrit différents procédés compositionnels qui « deviendront comme les signes conventionnels pour évoquer les pays orientaux. Il n'est alors même plus besoin de s'assurer de l'exactitude de cette évocation ; elle est désormais perçue comme authentique » (5). Ces procédés (6), soit : > Filigrane > Musique et globalisation « 1) La transcription d'une mélodie originale harmonisée de manière tonale. Cette transcription est approximative, étant donné les différences d'intervalles entre notre système musical et les échelles arabes. Le compositeur se contente ici d'adapter. 2) L'insertion de schémas rythmiques ou mélodiques typiquement orientaux ? ou reconnus tels ? cités d'une façon arbitraire. Dans ce cas, le compositeur assemble des matériaux sonores reconnus exotiques dans une trame tout à fait occidentale. 3) L'évocation des musiques orientales d'après une perception globale de celles-ci. Le compositeur, après avoir interprété occidentalement la musique arabe, modifie les inflexions musicales naturelles à notre pays selon les genres, les structures ou, plus simplement, l'allure générale de l'art évoqué » (7), sont pourtant tous dénaturants par rapport à la musique « originale », et sont en contradiction avec les commentaires ultérieurs de cet auteur qui conclut notamment que « David peut être considéré comme le fondateur d'une nouvelle école d'exotisme, en introduisant une volonté de reconstitution exacte de l'art musical évoqué » (8). Bartoli justifie cette contradiction apparente en précisant qu'en usant de ces procédés « [David] s'efforce de dégager la poésie de cet art musical et de montrer ses analogies avec le nôtre » (9). Nous voici donc au tournant de la démarche « exotisante », pour passer à la démarche intellectuelle qui va aboutir à ce que l'on appelle, de nos jours, le « métissage » : du moment que l'emprunt, ou la référence à une musique, ne « cherche pas à accentuer les différences entre les deux cultures musicales ni à tourner uploads/s3/ musique-et-globalisation-pdf.pdf

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