Colloque sur « La Violence de l’Etat » Marrakech, les 11 et 12 juin 2004 LA PRO

Colloque sur « La Violence de l’Etat » Marrakech, les 11 et 12 juin 2004 LA PROTECTION PENALE DE LA LIBERTE INDIVIDUELLE Royaume du Maroc Instance Equité et Réconciliation Pr.Miloudi HAMDOUCHI Docteur en droit des universités marocaines et françaises Professeur de l'Enseignement Supérieur (A la lumière de l'article 225 du Cod pénal) Deux problèmes majeurs, me semble-t-il, se posent: l'assainissement ou la purge du vocabu- laire d'une part, et le déficit de légalité, d'autre part. Précisions. - Par assainissement du vocabulaire, nous entendons une construction des sens par le jeu d'une suite de diagnostics qui, selon les termes de Pierre Lascoumes, « permet, à chaque moment d'apprécier les chances de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »1, c'est-à-dire se livrer à un : « Exercice de formulation par repérage d'effectivi- tés non satisfaisantes. » (La réflexion est de Jean-Etienne-Marie Portalis, jurisconsulte du 18ème siècle). - Par déficit de légalité, nous entendons essentiellement la carence d'engendrement des nor- mes par rapport au traitement des faits et partant l'invalidité d'appréhender intégralement les conflits, de capter les litiges et de dégager des solutions en vue d'arriver à une justice d'oppor- tunité, à une conformité au droit négocié, à ce à quoi chacun (Etat et société) peut légitime- ment prétendre. Le déficit, disons-le tout de suite, n'est pas totalement imputable aux pouvoirs publics, mais aux répéteurs sémaphoriques du savoir juridique, principalement les facultés de Droit qui sont absorbées plus par la chose politique que par l'angoisse d'une réflexion juridi- que, méthodique sur la construction de l'Etat de droit à travers ce que Gérard Timsit appelle « encodage et décodage ».2 Autrement dit, le technicien du droit, aux dires de Jacques Normand, n'aide pas « le juge en clarifiant les éléments du conflit, et en lui permettant d'adop- ter sa décision avec discernement. » Pour illustrer ces propos, je vais évoquer rapidement le problème relatif au siège de l'appli- cabilité du texte, question, me paraît-il préjudicielle, et parler ensuite, commentaire à l'appui, de l'espace juridique, comme terrain d'expérimentation de la répression organisée. Le siège de l'applicabilité du texte juridique Je commencerai, dans un premier temps, par citer et, dans un deuxième temps, paraphraser Baudoin Dupret, chercheur à l'Université Catholique de Louvain et dont les travaux ont été publiés dans « les cahiers du Monde Arabe », n°110. Se référant à d'autres auteurs, Baudoin Dupret observe que : « il n'y a [...] pas lieu d'opposer droit et exercice d'une violence, qualifiée à ce moment de légale. Il ne faut pas surestimer l'opposition entre l'autorité légitime et l'autorité coercitive. L'idée de pouvoir politique et son corollaire juridique associe intimement le contrôle - coercition à la légitimité, les détenteurs de la coercition cherchant à mobiliser des représentations sociales de leur domination. C'est particulièrement évident lorsqu'on examine ce sur quoi tout droit se fonde. Même un positiviste comme Hans Kelsen a bien été obligé d'admettre qu'un système juridique s'appuie nécessairement sur un ailleurs au nom duquel justice est rendue. Cet ailleurs rend légitime le système juridique en même temps que l'appareil de coercition qui le garantit.» 2 Sur un autre plan non dépourvu d'efficience pratique, Dupret oppose le droit formel à la nor- mativité réelle. Je paraphrase. Cette opposition rapportée au champ marocain, se traduit par un faible degré d'effectivité de la règle juridique qu'exprime la toute relative perception de cette règle par le destinataire c'est-à-dire essentiellement le citoyen, ce que résume Ben Ahmed en cette phrase, il existe : « Une liaison étroite entre le degré d'institutionnalisation du pouvoir et le degré d'effectivité des règles constitutionnelles. »3 Par règles constitutionnelles, cet auteur entend certainement toutes les règles du droit positif : droit du fond et droit de forme, ce qu'ex- prime Michel Camau, suivant une autre démarche par ordre juridique qu'il oppose à l'idéolo- gie juridique; le premier concept (ordre juridique) renvoyant à une fonction organisationnelle, irriguée de rationalité, c'est-à-dire une fonction de prévision et de garantie assurée : « Par la chance d'une contrainte (physique ou psychique), grâce à l'activité d'une instance humaine, spécialement instituée à cet effet, qui force au respect de l'ordre et châtie la violation. » (Max Weber)4. Le deuxième concept (idéologie juridique) évoque une fonction de légitimation ; fonction, bien sûr, au sens que lui donne Durkheim : « Satisfaction d'un besoin par une activi- té ». Comment cristalliser et compresser la dualité : fait idéologique/acte (fait ?) juridique ? Autrement dit, comment exprimer en catégories juridiques ce que Philippe Brau appelle « le mode de production de la coercition »5 dans un système légitime monopolisant la violence ? Il est aussi vrai que dans un système prévisionnel, pour ne pas avoir à justifier un acte (après sa réalisation) devrait-on, d'abord, préparer des réponses. Je reviens, peut être sans le vouloir, à la question du déficit de légalité. Et la première démarche de tout juriste entomologiste est d'interroger les textes6. Certitude des faits et imprécision de la terminologie Franz Kafka disait : « Hommes timides, hommes polis, enfants, questionnez, questionnez donc ». Il faut observer de plano que le Code pénal marocain prévoit 21 cas de violence, mais ne donne aucune définition de cette infraction. Mais, je crois que ce qui intéresse la problémati- que n'est pas, loin s'en faut, l'acte de violence en tant qu'agression ordinaire dirigée contre une personne, mais l'acte en tant que : « Contrainte illicite, acte de force dont le caractère illégiti- me tient (par atteinte à la paix et à la liberté) à la brutalité du procédé employé (violence phy- sique ou corporelle, matérielle) ou/et, par effet d'intimidation, à la peur inspirée (violence morale). »7 Cette infraction s'apparente pour ainsi dire, à l'atteinte que prévoit et réprime l'article 225 du code pénal marocain (article 432-4 du Code pénal français). Avant de faire une lecture critique de ces dispositions, il convient de rappeler la difficulté de pénétrer la terminologie et de qualifier légalement les faits. D'où la nécessité impérieuse de recourir à l'interprétation. Or, en la matière, il existe pas moins de 16 procédés interprétatifs que complique davantage un système de ponctuation souvent irrationnel ne facilitant guère la 3 détermination exacte et concrète ou, parfois, approximative de la disposition interprétée, en vue de son application à une espèce particulière. Il s'ensuivra inéluctablement des apprécia- tions erronées et donc des atteintes à la liberté individuelle ou même publique. Encore quelques précisions, Le texte vise tout magistrat, tout fonctionnaire public, tout agent ou préposé de l'autorité ou de la force publique. Que signifient ces notions ? Le terme « magistrat » s'applique aux magistrats de l'ordre judiciaire et aux magistrats de l'or- dre administratif. La jurisprudence française n'entend pas seulement ceux qui jouissent du sta- tut juridique de magistrat, mais tous ceux qui participent à un degré variable au service de la justice, même à titre temporaire tel un officier de police ou de gendarmerie exerçant les fonc- tions du ministère public8. Le terme « fonctionnaire » doit être entendu au sens de l'article 224 du Code pénal, peu importe qu'il ait commis l'infraction seul ou avec d'autres (complices ou coauteurs ou instiga- teurs, et quel que soit le degré de sa participation). Les expressions « agent ou préposé » n'ont pas de signification technique précise. Elles dési- gnent fonctionnaires au sens pénal. Il faut remarquer et la jurisprudence (française notamment) y insiste : « La circonstance que les prévenus n'auraient fait que se conformer aux ordres de leur supérieur hiérarchique ne sau- rait constituer ni un fait justificatif, ni une excuse qui leur permettent d'échapper aux consé- quences pénales de l'atteinte qu'ils ont personnellement portée à la sécurité des correspondan- ces postales. » (Crim. 22 Mai 1959 .D.1959. Somm. 71). Dans le même sens : « Constituent des infractions qui peuvent justifier des poursuites distinc- tes les violences commises par une personne dépositaire de l'autorité publique et les actes attentatoires à la liberté individuelle. » (Crim. 21 Avril 1998. Bull. Crim. N° 140. D.1998. IR 163). « Toute intention coupable ne saurait être écartée, dans une poursuite pour arrestation et séquestration arbitraire mettant en cause des fonctionnaires de police, au seul motif de « règles en usage » qui, même si elles existaient, ne pourraient constituer une cause de justification ou une excuse que la loi ne prévoit pas. » (Crim. 5 Janvier 1973. Bull. Crim ; N°7. D.1973.541). « Doit être cassé l'arrêt qui, sur une plainte en séquestration arbitraire dirigée contre un OPJ qui avait fait garder à vue un suspect, dit n'y avoir lieu à suivre, au motif que cet officier de police n'avait eu en vue que l'intérêt de l'enquête et n'avait fait qu'appliquer des dispositions consacrées par l'usage, de telles excuses n'étant pas prévues par la loi. » (Crim. 22 Juillet 1959. Bull. Crim. N° 366). « La loi pénale incrimine au titre des atteintes à la liberté individuelle les seuls actes d'arres- tation, de détention ou de rétention arbitraires commis par des fonctionnaires publics; les liti- ges relatifs aux conditions matérielles d'exécution de la rétention ... fût-elle uploads/S4/ article-miloudi-hamdouchi.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 06, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1674MB