CE QUE LA CRISE SANITAIRE NOUS (RE)DIT DU RÉFÉRÉ-LIBERTÉ Pascal Caille IRENEE /
CE QUE LA CRISE SANITAIRE NOUS (RE)DIT DU RÉFÉRÉ-LIBERTÉ Pascal Caille IRENEE / Université de Lorraine | « Civitas Europa » 2020/2 N° 45 | pages 149 à 164 ISSN 1290-9653 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2020-2-page-149.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour IRENEE / Université de Lorraine. © IRENEE / Université de Lorraine. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) Ce que la crise sanitaire nous (re)dit du référé-liberté Pascal CAILLE Maître de conférences HDR de droit public Université de Lorraine Directeur adjoint de l’IRENEE – UR 7303 Directeur de publication de la revue Civitas Europa Vingt années de mise en œuvre du code de justice administrative pouvait déjà laisser penser ce que la crise sanitaire a permis d’établir avec davantage de certitude encore : le référé-liberté a muté ! Il n’est plus besoin de rappeler que, sous l’empire du droit antérieur à la loi du 30 juin 20001, le contentieux administratif ne mettait pas les administrés en mesure de combattre efficacement les atteintes les plus graves à leurs droits et libertés fondamentaux. La compétence dévolue au juge judiciaire pour connaître de telles atteintes, sur le fondement de la voie de fait, tenait lieu de palliatif, celui-ci étant resté toutefois imparfait. Comme on le sait encore, la propension du Tribunal des conflits et de la juridiction judiciaire à reconnaître l’existence de voies de fait est allée croissant, le but étant de parvenir à ce que les agissements les plus gravement illégaux de l’administration soient sanctionnés dans les meilleurs délais. Certes légitime, cette dynamique n’était pas sans poser de difficultés, en obscurcissant notamment le régime juridique afférent à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Cette dynamique ne réduisait pas davantage le grief séculaire adressé à la juridiction administrative, tiré de son incapacité à protéger avec célérité l’administré alors que, précisément, « le signe extérieur d’une bonne justice, c’est l’excellence de ses procédures d’urgence »2. En reconnaissant au juge administratif un véritable pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration, la loi du 8 février 19953 a assurément créé les conditions – à tout le moins l’aura-t-elle inspiré4 – de l’avènement du référé-liberté. 1 Loi n°2000-597 du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, JORF, 1er juillet 2000. 2 R. CHAPUS, « Rapport de synthèse », Actes du colloque du trentième anniversaire des tribunaux administratifs, Édition du CNRS, 1986, p. 338. 3 Loi n°95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, JORF, 9 février 1995. 4 D. LABETOULLE, « Le projet de réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif », AJDA, 1999, n° spéc., p. 80. © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) 150 Pascal CAILLE En disposant que, « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures », l’article L. 521-2 du code de justice administrative aura donc constitué un progrès remarquable. Ce progrès ne devait toutefois pas conduire à un relâchement excessif des principes cardinaux du contentieux administratif. Entre autres considérations, il restait souhaitable que le référé-liberté ne pût prospérer que pour autant que la violation des règles de droit, par l’administration, fût suffisamment grave pour justifier qu’il y fut mis fin dans les meilleurs délais, fût-ce de manière provisoire. Pareille assertion est d’autant moins contestable que, dans le même temps, le législateur procédait à une non moins importante refonte du sursis à exécution des décisions administratives, qui autorisa la naissance du référé-suspension, lequel devait permettre – enfin – de parvenir à la suspension des effets des décisions administratives dont la légalité était douteuse. On reconnaîtra au législateur le mérite d’avoir su moderniser avec cohérence et complétude les procédures d’urgence en contentieux administratif. On accordera corrélativement à la juridiction administrative le crédit de s’être employée, avec succès au demeurant, à limiter avec justesse la mise en œuvre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative aux atteintes les plus graves et manifestement illégales à des libertés fondamentales entendues dans un sens restrictif. Dans les premières années seulement… Le référé-liberté n’a, en effet, pas su résister au phénomène d’érosion que favorise l’écoulement du temps, lequel s’est d’ailleurs accéléré à la faveur des crises sécuritaires et sanitaire vécues ces deux dernières décennies. Les périodes de crise favorisent les atteintes aux libertés fondamentales dès lors que la riposte des pouvoirs publics à la crise postule une aggravation quantitative et qualitative des mesures de police. Lorsqu’elles sont adoptées, les législations d’exception (on songe évidemment ici à l’état d’urgence sécuritaire et à l’état d’urgence sanitaire) ont pour finalité de rendre légal des mesures qui, en droit commun, ne le seraient pas. Il serait absurde d’aller plus loin et de prétendre qu’elles rendent nécessaire l’adoption de certaines décisions administratives. Pour dire les choses autrement, ce n’est pas la législation d’exception qui rend la mesure nécessaire, c’est la mesure nécessaire qui implique la législation d’exception. Il en résulte que c’est bien la crise qui favorise les atteintes aux libertés fondamentales. Et les atteintes aux libertés fondamentales favorisent corrélativement la saisine du juge du référé-liberté. Ainsi, la période de crise accroît inévitablement l’activité du juge du référé-liberté. © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) © IRENEE / Université de Lorraine | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Aix-Marseille Université (IP: 139.124.244.81) 151 Ce que la crise sanitaire nous (re)dit du référé-liberté De là à dire que les périodes de crise favorisent les évolutions du référé- liberté, il y a un pas qu’on ne saurait franchir aussi simplement. La crise de la Covid-19 en atteste, qui n’a pas transfiguré le référé-liberté. Mais de là à dire que la période de crise reste sans effet sur le référé-liberté ou, autrement dit, prétendre que le référé-liberté ne subit aucune mutation durant ces périodes, il y a un pas qu’on ne saurait franchir davantage. Il importe seulement de souligner que, par le développement de l’activité du juge des référés qu’elle induit, la crise sanitaire permet de mieux appréhender la surdétermination relative de l’office (I) et la surévaluation préoccupante du rôle (II) du juge du référé-liberté. I. La surdétermination relative de l’office du juge du référé-liberté La mise en œuvre de l’état d’urgence sécuritaire, en 2005, fut trop courte et reposait sur des motivations trop contestables5 pour entraîner des mesures suffisamment importantes en nombre et en intensité pour permettre la construction d’une jurisprudence propre à l’office du juge du référé-liberté en période exceptionnelle. Il en est allé autrement, comme on le sait, de l’état d’urgence qui a couvert la période allant du 13 novembre 2015 au 30 octobre 2017. Le juge du référé-liberté a pu profiter de cette expérience acquise au moment d’exercer son contrôle sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, avec une double particularité cependant, dès lors que, d’une part, la crise sanitaire ne donne pas lieu à une jurisprudence exclusivement placée sous l’empire de l’état d’urgence, d’autre part, que les enjeux de la crise sanitaire ne sont pas rigoureusement identiques à ceux rencontrés lors de la crise sécuritaire qui l’a précédée. Reste que le faisceau des ordonnances rendues depuis le mois de mars 2020 tient lieu de confirmation de ce mouvement de banalisation du référé-liberté, lequel conduit à une surdétermination de l’office du juge. Cette surdétermination n’en reste pas moins combattue par le juge lui- même à la faveur d’une réelle prise en compte, quoique relative, de la lettre (A) autant que de l’esprit (B) de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. A. L’office du juge des référés et la lettre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative Comme cela a déjà été souligné, l’intention du législateur était de réserver l’application du référé-liberté aux atteintes uploads/S4/ civit-045-0149.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
- Taille du fichier 0.4828MB