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HAL Id: halshs-00941087 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00941087 Submitted on 3 Feb 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. État de Droit, Droits de l’Homme, Démocratie : une conjugaison problématique Éric Millard To cite this version: Éric Millard. État de Droit, Droits de l’Homme, Démocratie : une conjugaison problématique. C. Gonzales Palacios, T. Rensmann et M. Tirard. Démocratie et Etat de Droit, Ambassade de France à Lima, pp.35-46, 2013. ￿halshs-00941087￿ ETAT DE DROIT, DROITS DE L'HOMME, DÉMOCRATIE : UNE CONJUGAISON PROBLÉMATIQUE Eric Millard Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense 1 - L’Etat de droit est la garantie de la démocratie et des droits de l’Homme. En première approche, on peut tenir que cette affirmation est une des évidences les mieux partagées du discours politique contemporain, pour lequel elle semble présenter au moins quater traits caractéristiques. D’une part, la référence à l’Etat de droit y est récente, et semble liée à un besoin de repenser synthétiquement, à la lumière des changements politiques et historiques de la fin du XXe siècle et du début de notre siècle, des questions centrales comme celle de la démocratie, celle des libertés ou celle de l’intervention de l’Etat. D’autre part, cette référence est largement partagée sur la scène mondiale : le concept de l’Etat de droit est une des conditions de tout projet politique en quête de reconnaissance ou de légitimité. POurtant, cette reconnaissance est loin d'être universelle. Surtout, la référence à l’Etat de droit est une référence valorisée de façon univoque: l’état de chose auquel le terme renverrait n’est pas en débat, ni dans son essence, ni dans ses modalités ; il est entendu par tous que l’Etat de droit est paré de vertus positives aptes à réaliser la démocratie et à protéger les libertés, en tant qu’il « implique que la liberté de décision des organes de l’Etat est, à tous les niveaux, limitée par l’existence de normes juridiques supérieures, dont le respect est garanti par l’intervention d’un juge » 1. Cette « popularité » politique est suspecte, et cache vraisemblablement un certain nombre de confusions, qui ne sont peut-être pas toutes involontaires. On ne peut pas, par exemple, exclure a priori que cette affirmation, dans le discours politique, fasse appel à un certain nombre de ressorts métaphysiques qui, dans un même temps, verraient dans l’Etat une réalité quasi-divine, en tant que puissance réellement existante, et indiqueraient des moyens propres à se protéger de ses foudres : le discours sur l’Etat de droit participe quelque peu d’une rhétorique de l’invocation, en tous les cas de la légitimation. 1 J. Chevallier, L’ETAT DE DROIT, MONTCHRESTIEN, 2010 1 2 – L’affirmation qui fait de l’Etat de droit la garantie de la démocratie et des droits de l’Homme pose évidemment problème dans la mesure où elle procède avec trois groupes de termes (prétendant ainsi désigner trois concepts) pour le moins imprécis. Inutile de revenir sur les débats concernant les droits de l'Homme : quelle est leur place juridique (dans le système juridique) ou au-dessus du système, comme droits naturels 2 ; quel est leur contenu réel ? La polysémie du terme démocratie, d'un autre côté, est aussi bien connue. Diverses conceptions du pouvoir politique existent de fait, qui se disent démocratiques, tout en étant incompatibles, et même au sein d'une conception il y a difficulté à s’accorder sur un modèle précis, c’est-à-dire sur ce qui, dans cette forme d’organisation du pouvoir politique, est l’élément démocratique : démocratie procédurale, démocratie substantielle ou démocratie des valeurs. Est-ce le fait de parler au nom du peuple qui est alors l’élément démocratique ? ce n’est évidemment pas cela puisqu’aussi bien, n’importe quel pouvoir, aussi despotique soit-il, n’aurait qu’à se prétendre le représentant du peuple (affirmation en soi invérifiable dès lors que le peuple ici ne renvoie pas à une réalité empirique) pour se prétendre démocratique (et cela est loin d’être une hypothèse d’école). Dira-t-on plutôt que la démocratie réside dans la participation des gouvernés au jeu politique ? Surgit aussitôt la question des modalités : démocratie directe ou représentative ?, désignation des gouvernants, ou exercice du pouvoir de décision ? Diverses logiques s’opposent que je ne peux ici rappeler. Je constate simplement que c’est dans le droit de vote, dans l’élection ou le référendum, par exemple, qu’on place ainsi l’élément de démocratie. Or la seule existence du droit de vote ne suffit pas : il faut qu’il puisse être largement (étendue du corps électoral), librement (liberté de suffrage et pluralisme permettant un véritable choix) et également (égalité des suffrages) exercé. La problématique de la démocratie dans les régimes auxquels on se réfère est justement là désormais : dans la conjugaison d’une approche formelle (la participation la plus large aux élections) que l’on entend contenir dans des limites matérielles (la protection de libertés fondamentales) 3. Autrement dit dans la construction d’une démocratie modérée, qui protégerait le peuple contre lui-même, qui ferait des individus la source du pouvoir (souveraineté du peuple), le moyen du pouvoir (corps électoral, référendum), la fin du pouvoir (droits de la personne). 2 Sur ces questions, cf. E. Millard, POSITIVISME ET DROITS DE L'HOMME, UNE QUESTION DOUBLEMENT STRATÉGIQUE, 2012, Diritto e questioni pubbliche, Palermo, p. 58 et suivantes. 3 Comp. A Ross : QU’EST-CE QUE LA DÉMOCRATIE ? ; RDP, 1950, pp. 29-42 2 3 – L’Etat de droit quant à lui a une histoire dont il n’est pas inutile de rappeler les grandes lignes dans la mesure où, au fil du temps, le concept a été mobilisé par des théories d’inspirations fort différentes. On peut identifier au moins trois modèles de l’Etat de droit dans l’histoire des idées constitutionnelles 4 : le modèle soi-disant libéral, le modèle matériel et le modèle formel. Encore convient-il de constater qu’il s’agit là de trois modèles successifs dans la seule pensée allemande, berceau du Rechtsstaat dès le XIXe siècle. a) Le modèle soi-disant libéral, qui préexiste au terme d’Etat de droit 5, correspond à une idéologie politique : celle de la stricte séparation des sphères publiques et privées. L’Etat est limité et doit protéger la liberté des individus pour que la sphère privée (et notamment le marché) se régule d’elle-même. En conséquence, les règles de droit doivent être générales et abstraites (d’où le culte de la Loi), et rationnelles (dans la continuité des philosophies des Lumières et de Kant). Cette idée de rationalité définit un critère non pas matériel mais formel, puisque c’est la procédure de législation qui est supposée la garantir (l’adoption parlementaire de la loi). b) Le modèle matériel correspond au constitutionnalisme allemand du milieu du XIXe siècle (avant Bismarck), qui forge le terme de Rechtsstaat 6. L’Etat est d’abord perçu comme une réponse au besoin d’unité à laquelle aspire la bourgeoisie allemande, et l’Etat de droit comme le moyen de garantir ses libertés : l’Etat est assimilé à une personne (le monarque) qui ne peut remplir ses missions qu’au moyen du droit, et dans son respect. Le souverain est limité par le principe de légalité, qui place le droit au-dessus de l’Etat, et qui le suppose exister objectivement indépendamment de l’Etat. Or ainsi conçu, l’Etat de droit est devenu un modèle matériel : il correspond à une revendication (celle que l’Etat respecte ce droit supérieur), non à une technique qui indiquerait une limitation juridique. c) Le modèle formel correspond au positivisme juridique (fin du XIXe siècle). L’Etat est une personne juridique et le droit un ensemble de normes réalisant l’ordre prescrit par la constitution (une hiérarchie de normes). Il n’y a donc pas de droit au-dessus de l’Etat, et la 4 K. Tuori, Four Models of the Rechtsstaat, in M. Sakslin, THE FINNISH CONSTITUTION IN TRANSITION, Hermes- Myiynti Oy, 1991, pp. 31-41. Le quatrième modèle que Kaarlo Tuori envisage est un modèle d’Etat de droit démocratique, dont il précise immédiatement qu’il s’agit d’un modèle prescriptif qu’il entend défendre. 5 En ce sens, comme projet politique, le concept est antérieur à sa désignation : le constitutionnalisme est un modèle de ce que l’on qualifie désormais de théorie de l’Etat de droit. 6 La paternité du terme est attribuée généralement à R. von Mohl dans son ouvrage DIE POLIZEI-WISSENSCHAFT NACH DEN GRUNDSÄTZEN DES RECHTSSTAATES (1832). 3 réponse à la limitation juridique du pouvoir de l’Etat réside dans l’auto-limitation 7. L’Etat de droit est celui dans lequel les organes de l’Etat doivent respecter les normes juridiques que les organes supérieurs de l’Etat ont édictées 8. Ces trois modèles ont des implications démocratiques variables. Le modèle libéral réclame la démocratie pour fonctionner puisque l’exigence de rationalité se trouve satisfaite par l’adoption législative si le législateur émane du peuple. Dans le modèle uploads/S4/ etat-de-droit-democratie-droits-de-l-homme-millard-lima-2013.pdf

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  • Publié le Jul 15, 2022
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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