Histoire Politique Revue du Centre d'histoire de Sciences Po 45 | 2021 Des "ter

Histoire Politique Revue du Centre d'histoire de Sciences Po 45 | 2021 Des "terroristes" dans le prétoire : qualifier et punir la violence politique d'hier à aujourd'hui La norme à l’épreuve de l’idéologie : le franc-tireur en droit allemand et la figure du terroriste judéo- bolchevique dans les prétoires militaires allemands en France pendant la Seconde Guerre mondiale When ideology challenges norms: Franc-tireurs in German law and the figure of the Judeo-Bolshevik terrorist in German military tribunals in France during the Second World War Gaël Eismann Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/histoirepolitique/1874 ISSN : 1954-3670 Éditeur Centre d’histoire de Sciences Po Référence électronique Gaël Eismann, « La norme à l’épreuve de l’idéologie : le franc-tireur en droit allemand et la figure du terroriste judéo-bolchevique dans les prétoires militaires allemands en France pendant la Seconde Guerre mondiale », Histoire Politique [En ligne], 45 | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2021, consulté le 15 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/histoirepolitique/1874 Ce document a été généré automatiquement le 15 décembre 2021. Histoire Politique La norme à l’épreuve de l’idéologie : le franc-tireur en droit allemand et la figure du terroriste judéo- bolchevique dans les prétoires militaires allemands en France pendant la Seconde Guerre mondiale When ideology challenges norms: Franc-tireurs in German law and the figure of the Judeo-Bolshevik terrorist in German military tribunals in France during the Second World War Gaël Eismann 1 Le 27 mai 1943, le tribunal militaire allemand de la Feldkommandantur du Mans condamne à mort treize communistes français dont sept pour acte de franc-tireur (Freischärlerei). Ils sont accusés d’avoir commis des actes « terroristes » contre des mouvements collaborationnistes et d’avoir saboté une voie ferrée qui devait être empruntée quelques heures plus tard par le train spécial de l’amiral Raeder1. L’ordre est immédiatement donné par le Commandant militaire allemand en France (Militärbefehlshaber in Frankreich, MBF) d’exploiter ce jugement contre ces « terroristes » communistes dans la presse locale. Quelques jours plus tard, le quotidien La Sarthe consacre un article aux « Terroristes condamnés à mort » à la solde de Staline et du bolchevisme. Le 24 novembre de la même année, le conseiller juridique du Commandant militaire allemand en France s’étonne auprès du Tribunal militaire allemand (TMA) de la Feldkommandantur d’Angers de la lenteur d’une procédure engagée contre cinq communistes et trois membres du mouvement de résistance Front national dans une affaire de « terrorisme » pourtant « très claire ». Les huit prévenus La norme à l’épreuve de l’idéologie : le franc-tireur en droit allemand et la... Histoire Politique, 45 | 2021 1 sont condamnés à mort pour acte de franc-tireur, intelligence avec l’ennemi et détention d’armes dès la semaine suivante2. Pendant l’Occupation, plus de 1 500 civils désignés comme « terroristes » sont ainsi jugés pour acte de « franc-tireur » par les tribunaux militaires allemands implantés en France occupée, dont près de 1 300 durant les seules années 1943 et 1944. 90 % de ces prévenus ont été condamnés à mort et la plupart d’entre eux exécutés. 2 La catégorie juridique du franc-tireur fut introduite dans le droit pénal militaire allemand en 1938 lorsque le régime nazi publie deux ordonnances militaires exceptionnelles destinées à enraciner le code pénal militaire dans l’idéologie national- socialiste et donc à tourner le dos à la faiblesse prêtée aux codes militaires allemands appliqués pendant la Première Guerre mondiale, tout en réglementant les pratiques des armées en campagnes, afin de se prémunir de la propagande ennemie qui avait dénoncé les atrocités commises par l’armée allemande contre les civils pendant la Grande Guerre. L’Ordonnance de procédure pénale de guerre et l’Ordonnance pénale exceptionnelle de guerre, publiées le 17 août 1938 et entrées en vigueur le 26 août 1939, offrent ainsi aux juges militaires allemands tous les instruments pour soumettre les populations récalcitrantes des territoires envahis et occupés à leurs juridictions militaires, accélérer les procédures et accentuer la rigueur des sentences rendues à leur encontre. 3 Fondé sur une relecture critique de sources secondaires3 et sur l’exploitation systématique des fonds de la justice militaire allemande en France occupée4, l’article entend éclairer les pratiques des tribunaux militaires allemands en France occupée par les outils mentaux (militaires, politiques, idéologiques et juridiques) forgés à l’occasion des conflits précédents, et plus précisément leur mobilisation de la qualification pénale de « franc-tireur » à l’encontre des résistants désignés comme « terroristes judéo- bolcheviques » dans la plupart des autres récits produits à l’occasion de leurs procès. Ce faisant, il entend réinterroger le positionnement juridique de la Wehrmacht vis-à-vis du droit d’insurrection des populations envahies et occupées que cette nouvelle catégorie juridique du « franc-tireur » vient réglementer. Il entend également questionner, en amont, son historicité et, en aval, son articulation dans les prétoires militaires allemands avec la figure du « terroriste judéo-bolchevique » qui s’impose en France occupée pour désigner les auteurs d’actes de résistance dès la rupture du pacte germano-soviétique. 4 La première partie de l’article revient sur la catégorie juridique du franc-tireur en droit allemand, produit d’une lecture restrictive du droit à l’insurrection des populations civiles envahies et occupées. Il rappelle ensuite que loin de constituer une simple catégorie juridique, la figure du franc-tireur, agitée pendant la guerre par les militaires allemands pour disqualifier toute forme de résistance, s’enracine dans un imaginaire répulsif forgé au cours des conflits antérieurs qui conduisit à la criminalisation de tout civil se soulevant contre l’armée allemande. Il s’efforce de montrer enfin qu’à compter de l’invasion de l’URSS par l’Allemagne, la figure du franc-tireur est perçue en France à travers le prisme déformant du judéo-bolchevisme, ce qui conduit à une criminalisation à la fois juridique et idéologique de la Résistance dont les conséquences se font très vite sentir dans les prétoires militaires allemands, avec l’organisation des premiers grands procès spectacles contre les militants de la branche armée du parti communiste, accusés pénalement d’actes de « francs-tireurs » mais qualifiés de « terroristes judéo- bolcheviques » par l’ensemble des récits qui informent leurs procès, de l’instruction des La norme à l’épreuve de l’idéologie : le franc-tireur en droit allemand et la... Histoire Politique, 45 | 2021 2 affaires jusqu’à leur exploitation par la propagande en passant par les attendus de leurs jugements ou l’instruction de leurs recours en grâce. Le franc-tireur en droit allemand, produit d’une lecture restrictive du droit à l’insurrection des populations civiles envahies et occupées 5 La catégorie juridique du franc-tireur est pour la première fois introduite dans le droit pénal militaire allemand par le paragraphe 3 de l’ordonnance pénale exceptionnelle de guerre (Kriegssonderstrafverordnung) de 1938, qui indique : « (1). Sera puni de la peine de mort, pour acte de franc-tireur, celui qui – sans qu’on puisse l’identifier, grâce au port d’insignes prescrit par le droit international5, comme membre de la puissance armée ennemie à laquelle il appartient –, porte sur soi des armes ou d’autres moyens de combat, ou en possède dans l’intention de les utiliser pour porter préjudice à l’armée allemande ou pour tuer l’un des membres de celle-ci ; ou qui entreprend d’autres actions qui ne peuvent être entreprises, selon les usages de la guerre, que par des membres en uniforme d’une puissance armée. […] » (2). Ne sont pas des francs-tireurs : 1. Les membres en uniforme de la puissance armée ennemie qui utilisent uniquement un camouflage classique, 2. Les membres des milices et des corps de volontaires, s’ils remplissent les conditions suivantes : a) avoir à leur tête une personne responsable de ses subordonnés ; b) porter un insigne reconnaissable à distance ; c) porter ostensiblement les armes et d) observer les lois et coutumes de la guerre. 3. La population d’un pays non occupé, qui lors de l’avancée de l’ennemi prend les armes de sa propre initiative pour combattre les troupes envahissantes, sans avoir eu le temps de se conformer aux prescriptions de l’article 2a et 2b, si elle porte les armes ostensiblement et respecte les lois et coutumes de la guerre6. » 6 En résumé, le nouveau code pénal militaire nazi dispose qu’en dehors du temps très court de l’invasion, tout acte de résistance de la population civile contre la puissance occupante est illégal et qu’en tant qu’acte de franc-tireur, il devra être sanctionné par la peine de mort. 7 Formellement, le paragraphe 3 de l’ordonnance pénale exceptionnelle de guerre s’appuie incontestablement sur les articles 1 à 3 des conventions de La Haye de 1899 et de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre qui avaient tenté d’apporter une réponse juridique internationale à la contradiction croissante entre deux tendances historiques concomitantes : l’aspiration à la protection des civils en temps de guerre conformément à la pensée humanitaire du XIXe siècle d’une part et d’autre part l’effacement de la limite entre combattants et civils résultant du principe de la levée en masse tel qu’il prévaut depuis la Révolution française et dont la logique ultime impose au citoyen en armes de résister à toute invasion de sa patrie7. Le compromis adopté à La Haye stipulait que la levée en masse uploads/S4/ histoirepolitique-1874.pdf

  • 28
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Jul 15, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.4074MB