LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES DE COMMERCE DANS LES PORTS MAROCAINS Khalid

LA SAISIE CONSERVATOIRE DES NAVIRES DE COMMERCE DANS LES PORTS MAROCAINS Khalid KHAKHAY Capitaine au Long Cours. Spécialiste en Remorquage & Assistance Maritime. Docteur en Droit Maritime. Professeur Universitaire Vacataire & Consultant Maritime. Fait le : 10 mars 2014. Selon un adage anglais, les navires sont construits pour sillonner les mers et océans, non pour être ancrés le long des quais. Or, on remarque de plus en plus dans les ports une immobilisation plus ou moins longue des navires et ce, pour des raisons diverses : saisie, désarmement ou abandon pur et simple. Cette immobilisation crée dans les ports maritimes1 des contrastes, car il s’y déroule tous les jours une véritable joute entre le droit public et le droit privé, l’une des sources où la confrontation est certainement la plus vive : Il s’agit de la saisie conservatoire d’un navire dans un port, ordonnée par les autorités judiciaires. Les navires sont des biens particuliers, naturellement meubles ; ils sont néanmoins soumis à un régime d’immatriculation et ne peuvent pas être dissimulés facilement. En outre, l’obligation naturelle de toucher une terre rend leur appréhension et leur saisie plus aisées. La Saisie Conservatoire n’a pas été définie par le dahir formant Code de Commerce Maritime du 31 mars 1919, mais s’est consacré seulement à préciser sa procédure dans son article 110; par contre, le projet du (C.C.M) version 2007 l’ a défini par les termes suivants : « Par « saisie » il faut entendre toute immobilisation ou restriction au départ d’un navire en vertu d’une décision judiciaire pour garantir une créance maritime, mais non la saisie d’un navire pour l’exécution d’un jugement ou d’un autre instrument exécutoire ». Le droit maritime connaît deux sortes de saisies : la saisie conservatoire et la saisie exécution, la première : tendant à contraindre le débiteur soit au paiement de sa dette soit à la fourniture d’une bonne et valable caution par crainte de sa déconfiture ou sa fuite, la seconde : constitue une voie d’exécution destinée à recouvrer la créance par la vente du navire. Historiquement, la saisie d’un navire est une institution traditionnelle dans les pays maritimes. On y parlait jadis de « la mise à la chaîne d’un navire » un peu comme on parlait de la prison pour cause de dettes, la saisie était connue par le fait de saisir l’avant de l’embarcation avec une chaîne à un bollard du quai. Récemment, on saisissait avec une chaîne les moyens de propulsions, à savoir : l’hélice avec le safran du gouvernail pour empêcher le navire saisi de prendre le large. Actuellement, c’est une opération très délicate puisqu’on est amené à changer plusieurs fois de poste ou de quai le navire saisi pour des raisons d’exploitation et également, 1 - Article premier de la loi 15-02 : « Le port est l'ensemble des espaces terrestres, 'eaux maritimes ou fluviales, des infrastructures et des superstructures réunissant les conditions physiques 1 et d'organisation permettant l'accueil des navires pour qu'ils s'y abritent, y accostent, y effectuent les opérations d'embarquement et de débarquement des marchandises ou des passagers, s'y approvisionnent ou y effectuent des réparations. 2 pour des raisons de sécurité. Cependant, il est rare de trouver des postes d’attente au navire saisi pour qui le séjour dure et il devient, par conséquent, une très grande charge pour le port. Au Maroc, le Code des obligations et des contrats (D.O.C) a mentionné la saisie dans deux articles seulement, 138 et 1231. Pour combler ce vide juridique, les tribunaux se tournent généralement vers les dispositions du Code de Procédure Civile (C.P.C) du 28 septembre 1974, relative à la saisie conservatoire2. De ce fait, le D.C.C.M du 31 mars 1919 s’est consacré, dans le chapitre III (Titre 1er, livre II) à la saisie conservatoire et à la vente des navires. Quant au projet du (C.C.M) jusqu’à nos jours est en voie d’élaboration, selon la version 2007, la saisie conservatoire a été traitée dans le chapitre II (2ème livre, titre II). La saisie conservatoire des navires de mer a fait l’objet d’une première convention internationale pour l’unification de certaines Règles, signée à Bruxelles le 10 mai 19523, Actuellement c’est la convention internationale sur la saisie conservatoire des navires de mer, du 12 mars 19994 qui devrait remplacer l’ancienne convention. En France, le code de commerce ne réglementant pas spécialement la saisie, les règles générales de la saisie conservatoire du droit commercial ont été adaptées au navire, jusqu’à ce qu’à la loi du 12 novembre 1955 qui a crée une saisie conservatoire du droit commun5. Il y a eu, par la suite, la loi n° 5 du 3 janvier 1967 qui se borne à renvoyer au décret n° 967 du 27 octobre 1967 qui réglemente également la saisie exécution (articles 31 à 58). La saisie ou l’immobilisation d’un navire est un mal pour l’armateur, évidemment, puisque son navire n’est pas productif quand il est bloqué, un mal pour l’affréteur qui ne peut utilement l’exploiter, un mal pour la cargaison qui est prise en otage, pour le port qui n’assure pas la rapide rotation des bâtiments qui y font escale, pour les auxiliaires de transport dont l’action est paralysée, pour les marins qui risquent de perdre leur emploi et, enfin, même pour les syndicats qui peuvent apparaître à l’occasion de ces raisons comme défendant les privilèges6. La problématique de notre article est la suivante : « Nos ports sont en train de devenir des prisons idéales pour les navires en situation litigieuse dans le monde entier7 », Pour y répondre à cette problématique, nous traiterons en première partie les lois et textes applicables et la deuxième se consacrera à l’impact sur l’environnement portuaire. 2 - Articles 452 à 458 du Code de Procédure Civile. 3 - Le Maroc a adhéré à cette convention en date du 03 Mai 1990, par le dahir n° 1-90-153 du 24 Novembre 2000 , B.O n° 4898 du 01 mars 2001. 4 - Le Maroc n’a ni ratifié ni adhéré à cette convention. 5 - René RODIERE et Emmanuel du PONTAVICE « Droit Maritime » 12ème édition 1997 page 166. 6 - Intervention du Maître Patrick SIMON : Colloque « L’Immobilisation Forcée Des Navires » du 20,21 et 22 octobre 1988, page 76. 7 - Selon l’autorité portuaire de Tanger-Med (TMSA), le nombre de navires saisis est de douze durant les deux dernières années (2011 &2012). - Selon l’agence national des ports ANP, le nombre des navires saisis est de 40 navires se répartissent entre navires de pêche et de commerce, 14 sont à sec et 26 sont à flot, les ports d’Agadir, de Casablanca et de Nador sont les plus concernés par cette problématique, les navires saisis représentent 20% des navires immobilisés aux ports relevant de la compétence de l’ANP. 3 I° Les lois et textes applicables : A) A l’échelle nationale. La saisie conservatoire rend service aussi bien au créancier probable qu’au titulaire d’un titre. Au premier, elle constitue une garantie pour recevoir une caution et avoir un jugement. Pour le deuxième, elle permet l’immobilisation du navire en attendant sa vente aux enchères publiques. Malgré le fait que la saisie conservatoire soit fréquente, un seul article lui a été réservé par le D.C.C.M du 1919. L’article 110 se limite à énoncer que « La saisie conservatoire d'un bâtiment peut être effectuée à toute époque, en vertu soit d'un titre exécutoire, soit d'une autorisation du juge compétent ; toutefois, cette saisie doit être immédiatement levée s’il est fourni bonne et suffisante caution. L’autorisation du juge peut être subordonnée à la condition q’une caution sera fournie par le demandeur ». Quant au projet de code de commerce maritime version 2007 s’est rattrapé en s’inspirant de la convention de Bruxelles du 10 Mai 1952 et a traité la saisie conservatoire dans le deuxième livre, titre II, chapitre II, section 5 (article 128 à 136). Pour pouvoir saisir conservatoirement un navire, plusieurs conditions doivent être remplies, à savoir les conditions tenant au navire et les conditions tenant à la créance.  Le navire : Le navire susceptible d’être saisi selon la procédure conservatoire est celui qui pratique habituellement la navigation maritime telle qu’elle est définie dans l’article 1er du DCCM qui correspond à l’article 9 du projet de code du C.C.M et l’article 110 du même dahir qui reprend les termes de la convention internationale de Bruxelles de 1952, Cette saisie conservatoire ne concerne que les navires de commerce qui pratiquent la navigation internationale transportant des marchandise ou des passagers à l’exception des navires de pêches, de plaisance et des plates-formes pétrolières8.  La créance : La saisie conservatoire des navires se caractérise par deux traits : d’une part, l’urgence n’est pas ici requise, à la différence du droit commun où l’article 148 du C.P.C exige que la mesure demandée soit d’urgence. Elle est tout simplement présumée. Le navire en cause étant toujours suspect de larguer ses amarres et prendre inopinément la mer. D’autre part, le créancier saisissant n’a pas à justifier d’une créance évaluée avec précision, vu la uploads/S4/ la-saisie-conservatoire-des-navires-de-commerce-dans-les-ports-marocains.pdf

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  • Publié le Jan 03, 2022
  • Catégorie Law / Droit
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