CHAPITRE III Les personnes publiques spécialisées 2 Traité de droit administrat

CHAPITRE III Les personnes publiques spécialisées 2 Traité de droit administratif Le choix de consacrer un chapitre de ce Traité aux personnes publiques spécia- lisées est, en lui-même, très signifi catif de l’évolution du droit administratif et de la manière dont est organisée sa connaissance. Il y a peu de temps encore, l’on aurait distingué au sein de cet ensemble que constituent les personnes publiques, l’État, les collectivités territoriales, et les établissements publics ; ces derniers étant identifi és comme une catégorie censée cerner toutes les autres modalités d’au- tonomisation institutionnelle. Toute l’attention de la doctrine s’est durablement concentrée sur l’évolution de cette notion d’établissement public, son dévelop- pement, son unité, son avenir, la complexité de son régime juridique, sans que soient vraiment esquissés les contours d’une catégorie plus large réunissant, aux côtés de l’établissement public, d’autres types d’entités personnalisées. Il n’est plus possible, aujourd’hui, d’ignorer l’apparition de personnes publiques non assimilables à l’existant. Cette réalité appelle donc une nouvelle manière de classer les fi gures institutionnelles qui composent le vaste ensemble des personnes publiques. Si l’on pouvait en douter encore, notamment en lisant la Constitution, d’autres textes fi xent cette diversifi cation des personnes publiques (voir le Code général de la propriété des personnes publiques dont l’article L. 1, qui en donne le champ d’application, vise les biens et les droits, à caractère mobilier ou immo- bilier, appartenant à l’État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements et aux établissements publics et dont l’article L. 2 mentionne les autres personnes publiques). Et il n’est plus hétérodoxe de considérer que ces personnes publiques nouvelles sont insusceptibles d’être intégrées, sans effraction, dans la catégorie déjà très hétérogène des établissements publics. L ’on a assisté depuis une vingtaine d’an- nées environ à la création de différents types d’entités personnalisées qui présen- tent chacune une particularité irréductible tout en partageant avec l’établisse- ment public, fi gure emblématique et prépondérante du genre, ce dénominateur commun d’une spécialisation fonctionnelle. L ’ensemble de la doctrine s’accorde désormais à reconnaître la constitu- tion progressive et aujourd’hui nettement formée de la catégorie juridique des personnes publiques spécialisées. Mais le phénomène était en réalité déjà percep- tible avant d’être décrit. Ainsi Marcel Waline indiquait-il dans son Traité élémen- taire de droit administratif (6e éd., Sirey, 1951) que l’on ne peut plus dire que « tout organisme personnalisé, et même toute personne de droit public, gérant un service public, est un établissement public ». C’était exprimer le grief d’artifi ce qui a conduit à une « crise » de la notion (v. R. Drago, Les crises de la notion d’établis- sement public, Pedone, 1950) devenue inapte à saisir toutes les fi gures juridiques de la personnalité publique non territoriale. L ’appellation générique ici retenue vise à reconnaître les spécifi cités des diffé- rentes personnes publiques autres que l’État et les collectivités territoriales tout en prônant l’existence de caractères juridiques communs suffi samment signifi catifs pour tracer les contours d’une catégorie juridique pertinente. Il faudra tout d’abord mettre en évidence les données qui forment l’identité juridique des différentes personnes publiques spécialisées et conduisent à l’iden- 3 Les personnes publiques spécialisées tifi cation d’une authentique catégorie juridique (Section 1). Il conviendra ensuite d’en présenter les différentes composantes (Section 2). Puis enfi n, sera livrée une analyse des principales variantes de leur régime juridique ; sans mettre en cause la cohérence de la catégorie construite sur ces piliers que sont la personnalité juri- dique et la spécialisation, ces données attestent d’une diversité interne imposée par la nécessité et dont la notion d’établissement public ne pouvait plus rendre compte (Section 3). Cette présentation accordera, pour d’évidentes raisons, des développements plus étoffés à l’établissement public qui, outre la place qu’il occupe au sein de l’ensemble des personnes publiques spécialisées, reste l’objet de débats et de réfl exions. Mais l’on doit ajouter que la famille des personnes publiques spécia- lisées, désormais inscrite dans le paysage du droit administratif, sera amenée à accueillir d’autres entités. La contrainte que constituait le modèle unique de l’éta- blissement public n’a pas été un obstacle absolu aux innovations législatives mais elle les a sans doute freinées. La voie est ainsi ouverte à des expériences institu- tionnelles nouvelles fût-ce au prix d’une future crise de la notion… SECTION 1 IDENTIFICATION DE LA CATÉGORIE DES PERSONNES PUBLIQUES SPÉCIALISÉES La mise en évidence d’une catégorie juridique, quand elle n’est pas établie par un texte, résulte du constat de caractéristiques communes à plusieurs objets juri- diques formant un ensemble cohérent. La démarche n’est pas totalement neutre. En effet le choix des traits communs qui détermineront la catégorie est orienté par les règles qui leur sont applicables et qui le seront ensuite aux éléments ajoutés à la catégorie. L ’opération intellectuelle qui préside à l’identifi cation d’une catégorie expose à des diffi cultés presque irréductibles mais qui ne discréditent pas pour autant l’exercice. Les données qui permettent de tracer le périmètre de la catégorie sont des caractéristiques suffi samment signifi catives pour commander une classifi cation juridique prééminente. Dans le cas des personnes publiques spécialisées celles-ci sont expressément visées par la dénomination couramment adoptée et reprise dans cet ouvrage : il s’agit de la personnalité juridique, en l’occurrence publique et de la spécialisation. 4 Traité de droit administratif § 1 La personnalité publique La personnalité juridique est une notion générale de droit élaborée à partir d’un minimum conceptuel commun. Son caractère de droit public quand il n’est pas arrêté par un texte est établi à partir de critères utilisés de manière variable. A. Personnalité juridique La personnalité juridique vise la faculté d’être le siège de droits et d’obliga- tions. Celle-ci se réalise par la capacité, c’est-à-dire l’aptitude à acquérir des droits et des obligations. Cette notion qui est le corollaire de la personnalité est ensuite déclinée selon la consistance des droits et obligations visés : capacité à être sujet d’obligations ou capacité d’imputation, capacité à ester en justice, capacité à être producteur d’actes juridiques ou encore capacité à détenir un droit tel que le droit de propriété. Il convient de bien distinguer la personnalité juridique, notion abstraite qui est une qualité et la teneur des droits et obligations dont la personne est le siège juri- dique et qui se concrétise par la capacité. La personnalité juridique est une notion indépendante des variables de sa réalisation. La capacité juridique comporte deux facettes en principe distinguées. La capa- cité de jouissance, d’abord, qui se réalise par la faculté d’être titulaire d’un droit. La capacité d’exercice, ensuite, qui vise la possibilité d’exercer un droit et impose donc l’intervention d’une personne physique. L ’hypothèse dans laquelle celui qui exerce la capacité d’exercice est distinct de celui qui dispose de la capacité de jouissance est parfaitement possible. Mais cela ne signifi e pas pour autant que le lien structurel qui unit les deux versants de la capacité soit rompu. Bien au contraire, il ne semble pas concevable de dissocier les deux capacités au sens où celui qui exerce la capacité n’agit pas au titre de sa propre personnalité mais en vertu de celle du détenteur de la capacité de jouissance. B. Personnalité publique Les personnes publiques spécialisées sont des personnes morales de droit public 1. Personnalité morale La personnalité morale est la personnalité juridique d’une entité abstraite telle qu’un groupement de personnes ou un ensemble de biens. Apparemment simple, la notion soulève en réalité de lourds problèmes théoriques auxquels la doctrine a consacré une riche controverse. Soit l’on admet que l’attribution de la personnalité juridique à des entités abstraites procède nécessairement d’une fi ction. Soit l’on prête à celles-ci une réalité de nature sociale justifi ant en elle-même la possibilité d’être dotées d’une personnalité juridique. Retenons seulement ici que le procédé a une place établie, en droit public comme en droit privé, à partir d’une approche recentrée sur la dimension exclusivement juridique de la question. 5 Les personnes publiques spécialisées Plus vivace est l’interrogation relative à la spécifi cité de la personnalité morale. S’il est aisé d’admettre qu’une entité abstraite puisse disposer de l’aptitude à être sujet de droits et d’obligations, il est plus diffi cile d’imaginer sa mise en œuvre concrète. L ’intervention d’une personne physique s’impose par la force des choses et conduit alors à l’interrogation, précédemment évoquée, d’une éventuelle distinction entre capacité de jouissance et capacité d’action. Le cas des personnes publiques ne remet nullement en cause l’analyse avancée à ce sujet. En effet, la personne physique qui exercera la capacité dont jouit la personne publique le fera en tant qu’organe, soit en tant que partie intégrante de celle-ci, donc « comme si » elle exerçait sa capacité (v. H. Kelsen, Théorie Pure du Droit, Dalloz, 1962, p. 215-216). 2. Personnalité de droit public S’il est relativement aisé de cerner la personnalité juridique et ses manifes- tations, la qualifi cation de cette personnalité morale est souvent problématique. S’agit-il d’une personne publique ou d’une personne privée ? La question ne se pose pas pour les collectivités territoriales et a fortiori l’État mais peut surgir à propos des personnes spécialisées. uploads/S4/ les-personnes-publiques-specialisees.pdf

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  • Publié le Sep 04, 2021
  • Catégorie Law / Droit
  • Langue French
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