COURS Xavier Bioy collection COURS Droits fondamentaux et libertés publiques •
COURS Xavier Bioy collection COURS Droits fondamentaux et libertés publiques • Cours • Thèmes de travaux dirigés 5e édition Préface de Jean-Paul Costa Collection dirigée par Bernard Beignier LMD SÉANCE 3 La liberté personnelle Commentaire d’arrêt CEDH, 22 février 2018, Libert c. France (requête nº 588/13) Jonas Guilbert, Doctorant contractuel en droit public, Institut Maurice Hauriou Communiqué de presse de la Cour Principaux faits Le requérant, M. Éric Libert est un ressortissant français, né en 1958 et résidant à Louvencourt (France). Il travaillait à la SNCF depuis 1976, exerçant les fonctions d’adjoint au chef de la brigade de surveillance de la Région d’Amiens. Il fut suspendu temporairement en 2007 en raison d’une mise en examen qui a débouché sur un non-lieu. Lors de sa réintégration en mars 2008, il constata la saisie de son ordinateur professionnel. Convoqué par sa hiérarchie, il fut informé qu’avaient été trouvées sur son ordinateur professionnel, entre autres, des attestations de changement de rési- dence rédigées à l’en-tête de la brigade et au bénéfice de tiers ainsi que de nombreux fichiers contenant des images et des films à caractère pornographique. Il fut révoqué le 17 juillet 2008. M. Libert saisit le conseil des prud’hommes d’Amiens mais celui-ci jugea que la décision de le radier des cadres était justifiée. La cour d’appel d’Amiens confirma pour l’essentiel ce jugement. Le pourvoi en cassation du requérant fut rejeté. La Cour de cassation releva, comme l’avait fait la cour d’appel, que les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à disposition par l’employeur sont présumés avoir un caractère professionnel sauf s’ils sont identifiés comme étant « personnels ». Griefs, procédure et composition de la Cour Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), le requérant se plaignait du fait que son employeur avait ouvert des fichiers personnels figurant sur le disque dur de son ordinateur professionnel en dehors de sa présence. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), il alléguait notamment que la Cour de cassation avait procédé à un revirement de jurisprudence inattendu qui avait porté atteinte à la sécurité juridique. 863 Décision de la Cour Article 8 En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 8, la Cour peut admettre que, dans certaines circons- tances, des données non professionnelles, par exemple des données clairement identifiées comme étant privées et stockées par un employé sur un ordinateur mis à sa disposition par son employeur pour l’accomplissement de ses fonctions, sont susceptibles de relever de sa « vie privée ». Elle note que la SCNF tolère que ses agents utilisent ponctuellement à titre privé les moyens informatiques mis à leur disposition tout en précisant des règles à suivre. Le Gouvernement ne conteste pas que des fichiers du requérant ont été ouverts sur son ordinateur professionnel sans qu’il en ait été informé ou ne fût présent. Il y a donc eu ingérence dans le droit de M. Libert au respect de sa vie privée. La SNCF est une personne morale de droit public placée sous la tutelle de l’État, dont la direction est nommée par lui, qui assure un service public, qui détient un monopole et qui bénéficie d’une garantie implicite de l’État. Ces éléments lui confèrent la qualité d’autorité publique au sens de l’article 8. La présente affaire se distingue donc de l’affaire Bărbulescu dans laquelle l’atteinte à l’exercice du droit au respect de la vie privée et de la correspondance était le fait d’un employeur relevant strictement du secteur privé. L’ingérence étant le fait d’une autorité publique, il convient d’analyser le grief non sous l’angle des obligations positives de l’État mais sous celui des obligations négatives. À l’époque des faits, il ressortait du droit positif que l’employeur pouvait ouvrir les fichiers figurant sur l’ordinateur professionnel d’un employé sauf s’ils étaient identifiés comme personnels. L’ingérence avait donc une base légale et le droit positif précisait suffisamment en quelles circons- tances et sous quelles conditions une telle mesure était permise. L’ingérence visait donc à garantir la protection des « droits [...] d’autrui », soit ceux de l’employeur, qui peut légitimement vouloir s’assurer que ses salariés utilisent les équipements informatiques qu’il met à leur disposition en conformité avec leurs obligations contractuelles et la réglementation applicable. Le droit français contient un dispositif visant à la protection de la vie privée : si l’employeur peut ouvrir les fichiers professionnels qui se trouvent sur le disque dur des ordinateurs qu’il met à la disposition de ses employés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, il ne peut, « sauf risque ou événement particulier », ouvrir subrepticement les fichiers identifiés comme étant personnels ; il ne peut procéder à l’ouverture de fichiers ainsi identifiés qu’en présence de l’employé concerné ou après que celui-ci a été dûment appelé. Les juridictions internes ont fait application de ce principe. Elles ont jugé que, en l’espèce, ce principe ne faisait pas obstacle à ce que l’employeur ouvre les fichiers litigieux, ceux-ci n’ayant pas été dûment identifiés comme étant privés. La cour d’appel s’est fondée sur le constat que les photographies et les vidéos litigieuses figuraient dans un dossier contenu sur un disque dur nommé par défaut « D :/données » qui servait aux agents à stocker leurs documents professionnels et qui, sur l’ordinateur du requérant, était dénommé « D :/données personnelles ». Elle a ensuite considéré qu’un salarié ne pouvait utiliser l’intégralité d’un disque dur censé enregis- trer des données professionnelles pour un usage privé et que le terme générique de « données personnelles » pouvait se rapporter à des dossiers professionnels traités personnellement par le salarié et ne désignait donc pas explicitement des éléments relevant de la vie privée. La cour d’appel a retenu l’argument de la SNCF selon lequel la charte d’utilisateur prévoyait que les infor- mations à caractère privé devaient être clairement identifiées comme telles « (option « privée » dans les critères outlook) » et qu’il en allait de même des « supports recevant ces informations (répertoire « privé ») ». De plus, la cour d’appel a estimé que la mesure de radiation des cadres prise contre M. Libert n’était pas disproportionnée étant donné que l’intéressé avait massivement contrevenu au code déontologique de la SNCF et aux référentiels internes. Selon la cour d’appel, ces agissements étaient d’autant plus graves que sa qualité d’agent chargé de la surveillance géné- rale aurait dû le conduire à avoir un comportement exemplaire. La Cour observe donc que les juri- dictions internes ont dûment examiné le moyen du requérant tiré d’une violation de son droit au respect de la vie privée et ces motifs sont pertinents et suffisants. Certes, en faisant usage du mot « personnel » plutôt que du mot « privé », M. Libert a utilisé le même terme que celui que l’on trouve DROITS FONDAMENTAUX ET LIBERTÉS PUBLIQUES 864 dans la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle un employeur ne peut en principe ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme étant « personnels ». Toutefois, cela ne suffit pas à mettre en cause la pertinence des motifs retenus par les juridictions internes, du fait que la charte de l’utilisateur indiquait spécifiquement que « les informations à caractère privé doivent être clairement identifiées comme telles ». Les autorités internes n’ont pas excédé la marge d’apprécia- tion dont elles disposaient et il n’y a donc pas eu violation de l’article 8 de la Convention. Article 6 § 1 La Cour de cassation avait précédemment jugé que l’employeur ne pouvait ouvrir les fichiers identi- fiés par le salarié comme étant personnels qu’en présence de ce dernier ou après l’avoir averti. Elle avait toutefois ajouté que les dossiers ou fichiers créés par un salarié étaient présumés, sauf si ce dernier les identifiait comme étant personnels, avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur pouvait y avoir accès hors de sa présence. La Cour constate en conséquence qu’à l’époque des faits, il ressortait déjà du droit positif que l’employeur pouvait dans cette limite ouvrir les fichiers figurant sur l’ordinateur professionnel d’un employé. La Cour conclut en conséquence que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et la déclare irrecevable. Proposition de corrigé Introduction Accroche : À l’occasion de la rentrée annuelle de la Cour européenne des droits de l’homme, le président Guido Raimondi a déclaré « les instructions d’un employeur ne peuvent réduire à néant l’exercice de la vie privée sur le lieu de travail ». Sans doute ne le peuvent-elles pas à elles seules, mais si celles-ci sont introduites dans une charte d’entreprise, qu’un contrôle in concreto rigoureux est appliqué à un salarié peu raisonnable, alors les instructions d’un employeur peuvent, en droit, étroitement contraindre l’exercice de la vie privée sur le lieu de travail. Rappel des faits et de la procédure : Le requérant, M. Libert, travaillait à la société nationale des chemins de fer (SNCF) en tant qu’adjoint au chef de la brigade de surveillance de la région d’Amiens. Il fut suspendu en raison d’une mise en examen pour dénonciation uploads/S4/ partiels-2018-lextenso-etudiant-jour-1-l3-droit-des-libertes-lgdj-cours 1 .pdf
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- Publié le Sep 02, 2021
- Catégorie Law / Droit
- Langue French
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