l’actualité chimique - novembre-décembre 2004 - n° 280-281 Fiche catalyse n° 47
l’actualité chimique - novembre-décembre 2004 - n° 280-281 Fiche catalyse n° 47 105 ✂ Nitration industrielle des aromatiques La nitration a été l’un des premiers procédés chimiques utili- sés pour fonctionnaliser un dérivé aromatique. Découverte en 1834, puis exploitée industriellement à partir de 1847, elle est actuellement très utilisée pour l’accès à des intermédiai- res dans le domaine des polyuréthannes, mais aussi dans beaucoup d’autres domaines de la chimie de spécialités. Le schéma 1 montre l’étendue des possibilités offertes par les dérivés nitrés pour obtenir une grande diversité fonctionnelle sur le noyau aromatique. Chimie de la nitration La nitration en série aromatique est une réaction de substitution électrophile. Elle est conduite classiquement en milieu acide fort afin de générer l’ion nitronium, espèce active et électrophile de la nitration. La formation de NO2 + passe par la protonation de HNO3 (cf. schéma 2), réaction difficile, d’où la nécessité d’utiliser un acide très fort. L’addition du nitronium sur le benzène par une série de complexes π et σ aboutit au bout du compte au dérivé nitré correspondant (cf. schéma 3). Le schéma général montre que cette réaction produit une mole d’eau par mole de dérivé nitré formé. L’acide servant à la protonation de HNO3 (classiquement H2SO4) est un catalyseur car au bilan il reste inchangé. L’étude cinétique d’une réaction de nitration n’est pas toujours très simple car la dilution de l’acide catalyseur par l’eau modifie l’activité de ce même acide. Particularités de cette réaction La réaction de nitration est exothermique. La chaleur de réaction est généralement de – 30 kcal/mole (exo), à laquelle il faut ajouter la chaleur de dilution de l’acide fonction de sa concentration (jusqu’à – 10 kcal/mole (exo) pour donner un ordre de grandeur). Les réactions de nitration du benzène et du toluène sont conduites en milieu biphasique. La composante transfert de matière est un élément important, surtout pour des substrats activés comme le toluène. Les réactions de nitrations sont des réactions sensibles sous l’angle de la sécurité car les dérivés nitrés sont des fonctions explosophores. Beaucoup d’explosifs comportent des fonc- tions nitrées comme le trinitrotoluène (TNT), un explosif bien connu. Les problèmes d’emballement thermique lors des réactions de nitration, l’inflammabilité de mélanges gazeux (car la nitration coproduit souvent des gaz comme NO2, NO, CO…) sont des risques à maîtriser. De même, l’utilisation d’acides concentrés comme l’acide nitrique n’est pas anodine et doit générer des réflexions procédé indispensa- bles (sécurité, matériaux, compatibilités avec organiques). Mise en œuvre industrielle Les réactifs nitrants L’acide nitrique est de loin le réactif nitrant le plus utilisé, seul ou en combinaison avec l’acide sulfurique ou l’oléum, pour générer l’ion nitronium. Pour mesurer la force nitrante de l’acide, on parle souvent de la DVS (pour « dehydrating value of sulfuric acid »), c’est-à-dire la force déshydratante de l’acide sulfurique. La DVS est le rapport massique entre l’acide fort protonant HNO3 et l’eau présente dans le milieu (eau initiale + eau générée par la réaction). C’est un paramètre clé de la nitration. Viennent aussi ensuite les excès de réactif, puis les autres paramètres opératoires. Pour un procédé continu présentant un faible excès d’acide nitrique (débits exprimés en kg/h) : DVS = Débit H2SO4/(Débit eau + Débit HNO3*18/63) Pour les nitrations désactivées, il faut augmenter la DVS afin d’avoir des cinétiques réalistes. Pour synthétiser des composés aussi désactivés que le trinitrotoluène, il faut utiliser de l’oléum où l’eau de réaction est piégée par SO3 pour former de l’acide sulfurique. D’autres réactifs de nitration plus exotiques existent et peuvent constituer une solution dans certains cas particuliers, par exemple N2O5. Les réacteurs Les réactions de nitration les plus connues comme les nitrations du benzène et du toluène sont des réactions extrêmement productives où la technologie du réacteur doit offrir de bonnes performances en terme de transfert de matière et de transfert thermique. Deux fabricants principaux proposent des technologies propres de nitration continue : Biazzi et Meissner (figure 1). Schéma 1. Schéma 2 - Génération de l’espèce active nitronium par protonation de l’acide nitrique. Schéma 3 - Mécanisme de substitution électrophile aromatique. ✂ 106 l’actualité chimique - novembre-décembre 2004 - n° 280-281 Fiche catalyse n° 47 Récents développements de la chimie et des procédés de nitration La nitration est une réaction simple sur le plan de la chimie et c’est une réaction clé pour les industriels. Des tentatives ont été faites pour regarder la faisabilité de cette réaction en phase gaz, en milieu liquide ionique, en présence d’un catalyseur hétérogène acide… Ces dernières années, la nitration des aromatiques a essentiellement été rénovée par le procédé. La révolution opérée autour de la nitration du benzène par la société Noram est à ce titre remarquable (figure 2) [4]. Le brevet maître et l’application industrielle datent du début des années 90 et à ce jour, une part importante de la production mondiale de mononitrobenzène s’opère selon cette nouvelle technologie. Ce procédé innove par un fonctionnement avec un ratio phase acide/phase organique très important, ce qui permet la conduite du procédé en adiabatique en toute sécurité, une séparation des phases très simple, un flash facile de l’eau formée par la réaction, la possibilité de travailler avec un acide nitrique dilué… Meissner propose aussi maintenant ce type de nitration adiabatique pour le benzène. Dans un autre domaine, la technologie Olin de nitration du toluène sans acide sulfurique était intéressante [7]. Ce développement de procédé a été arrêté à un stade avancé d’unité de démonstration. La principale innovation résidait dans l’utilisation de nitrate de magnésium, d’une part, pour faire décanter la phase organique et, d’autre part, pour obtenir l’acide nitrique concentré après distillation (le procédé au nitrate de magnésium est un des deux procédés disponibles sur le marché pour obtenir de l’acide nitrique concentré de titre supérieur à 98 %). Enfin, un des éléments de progrès dans les procédés de nitration sera la mise à disposition de procédé limitant les effluents. Par exemple, Meissner propose une technologie de concentration des eaux de lavage acide permettant de recycler l’effluent concentré à la réaction [8]. Conclusions La nitration est une vieille réaction, mais elle a encore de beaux jours devant elle. C’est une réaction clé pour l’accès à de nombreux domaines. Les évolutions devraient se faire tant sur le procédé que sur la chimie. En terme de chimie fine, l’utilisation de microtechnologies opérées en continu doit permettre de développer rapidement et en sécurité la production d’intermédiaires pour la chimie fine. Pour les intermédiaires de fort tonnage comme le DNT et le nitrobenzène, la suppression de l’acide sulfurique remplacé par un solide acide, l’amélioration de la sélectivité, l’intégration de solutions performantes pour traiter les effluents du procédé restent des enjeux d’actualité. La révolution opérée autour de la nitration du benzène par la technologie Noram doit aussi être à l’origine de simplifications des procédés dans le domaine de ces réactions biphasiques liquide/liquide. Références [1] Hughes E.D., Ingold C.K., Reed R.J, Chem. Soc., 1950, p. 2400. [2] Olah G.S., Malhotra R., Narang S.C., Nitration methods and mechanism, VCH Publishers, New York, 1989. [3] Albright L., Carr R.V.C., Schmidt R.J., Nitration, Recent laboratory and industrial developments, ACS Symposium series, 1996, 623. Biazzi, site Internet : www.biazzi.ch [4] Guenkel A., Maloney T., Nitration, Recent laboratories and industrial developments, ACS Symposium series, 1996, 623, chap. 20, p. 223-227. [5] Métivier P., Nitration des composés aromatiques, Techniques de l’Ingénieur, 1998, articles J5720-1 à 6. [6] Gubelmann M., Aspects industriels de la nitration aromatique, fiche catalyse n° 32, L’Act. Chim., mai-juin 1992. [7] Quakenbush A., Pennington T., Nitration, Recent laboratories and Industrial developments, ACS Symposium series, 1996, 623, chap. 19, p. 214-222. [8] Herrmann H., Gebauer J., Konieczny P., Nitration, Recent laboratories and Industrial developments, ACS Symposium series, 1996, 623, chap. 21, p. 234-249. Figure 1 - A gauche : technologie de réacteur boucle Meissner ; à droite : technologie cuve agitée proposée par Biazzi. Cette fiche a été préparée par Philippe Marion, responsable du Service catalyse de Rhodia Recherches*. *Centre de Recherches de Lyon, 85 avenue des Frères Perret, BP 62, 69190 Saint-Fons. Courriel : Philippe.marion@eu.rhodia.com Les fiches catalyse sont soumises au bureau de la division Catalyse et sont coordonnées par Jean-François Lambert (lambert@ccr.jussieu.fr). Figure 2 - Schéma du procédé Noram de fabrication du mononitrobenzène (MNB). JINIT : « jet impingement nitrator », type de réacteur piston. uploads/Finance/ 1er-fichier.pdf
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- Publié le Mai 26, 2022
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