Le concept de banque centrale D’un point de vue sémantique, la banque centrale

Le concept de banque centrale D’un point de vue sémantique, la banque centrale se définit comme l’institution qui se situe au centre des systèmes de paiement pour garantir les règlements et contrôler l’expansion de la masse monétaire. C’est l’institution considérée comme apte à préserver la confiance dans la monnaie d’un pays. Les banques les plus anciennes, Banque d’Angleterre (1694), Banque de Suède (1666) ou plus récemment la Banque de France (1800) n’avaient pas été conçues comme des institutions centrales mais seulement comme des instituts d’émission des billets de banque et d’escompte de lettres de change et de billets à ordre, ces activités étant, pour partie, exercées au profit de l’État. C’est ainsi, pour se limiter à l’exemple français, que les opérations de la Banque de France consistaient essentiellement à émettre des billets payables au porteur et à vue ainsi que des billets à ordre à un certain nombre de jours de vue, en contrepartie d’effets de commerce revêtus de trois signatures. Elle pouvait, en outre, recevoir des dépôts des particuliers et des établissements publics. La Banque de France s’engageait à rendre divers services au Trésor public : encaissement des obligations des receveurs généraux et paiements des pensions et rentes. Par la suite, des conventions intervinrent entre la Banque et le Trésor, ayant pour objet de mettre à sa disposition des avances, afin de faire face à l’irrégularité des rentrées de ses recettes, c’est-à-dire des rentrées fiscales. D’autres avances provisoires seront faites en cas de crise : en 1848, 1871, 1914, 1936, de 1940 à 1944 pour régler les frais d’occupation (426 milliards de francs) ainsi qu’après la seconde guerre mondiale. Initialement, les opérations d’escompte devaient être à l’origine des émissions de monnaie fiduciaire. La part des établissements bancaires dans les présentations à l’escompte fut, dans les premières décennies de l’existence de la Banque, très importante. Mais la clientèle particulière s’adressa de façon croissante à la Banque : la proportion des escomptes directs dans son portefeuille atteignait plus de 50 % en 1935. Depuis 1945, les attributions nouvelles de la Banque de France (politique du crédit puis politique monétaire, services aux banques...) l’ont amenée à réduire, puis à éliminer ses opérations avec la clientèle privée. C’est ainsi que la part de l’escompte direct fut progressivement ramenée de 50 % en 1935 à 10 % dix ans plus tard, pour n’être plus qu’à 0,5 % lorsqu’il fut supprimé en 1970. Enfin, la loi du 4 août 1993 sur l’indépendance de la Banque de France décida qu’à compter du 1er janvier 1994, il ne serait plus procédé à l’ouverture de nouveaux comptes de dépôts pour des particuliers (hormis pour les agents de la Banque) ou pour des entreprises. Cette loi interdit aussi tout concours de la Banque de France à l’État et organisa le remboursement progressif de l’avance à l’État qui figurait à l’actif de la Banque le 1er janvier 1994. Elle a confié la responsabilité de la politique monétaire à un Conseil de la politique monétaire, responsabilité dont se trouvait par là même déchargé le gouvernement. C’est donc très progressivement que la Banque de France, initialement établissement commercial d’escompte susceptible d’intervenir en faveur du Trésor, a été transformée en une véritable « banque centrale », responsable de la sécurité et de la pérennité de l’ensemble du système des paiements ainsi que de la politique monétaire. BULLETIN DE LA BANQUE DE FRANCE – N° 70 – OCTOBRE 1999 73 Le concept de banque centrale Le statut, les fonctions et l’existence même de la banque centrale font appel à la théorie monétaire. Un large débat a toujours opposé les partisans du free banking à ceux du central banking. Pour les premiers, une banque centrale n’est pas nécessaire, la seule règle monétaire essentielle étant la définition d’une unité de compte. La centralisation est inutile, ne faisant que déresponsabiliser les opérateurs bancaires, tandis qu’un système de free banking assure, du fait de la concurrence, une monnaie stable et de bonne qualité, les mauvaises banques étant éliminées du marché et les bonnes suscitant l’afflux de capitaux. En fait, bien au contraire, c’est le modèle de la centralisation qui s’est imposé au terme d’un long processus historique. Il a permis de dégager les fonctions d’une banque centrale, de lui donner de plus en plus fréquemment un statut d’indépendance à l’égard des pouvoirs publics, voire de la « dénationaliser » et même de la « régionaliser », comme il est prévu dans le cadre de l’Union monétaire européenne. Il s’ensuit une mutation profonde dans le concept même de banque centrale et ceci d’autant plus que son environnement est modifié par la globalisation des marchés. Au cours de cette longue quête du statut de banque centrale, nos banques nationales ont assumé des fonctions de plus en plus lourdes, jusqu’à accéder, pour la plupart d’entre elles, à la responsabilité suprême, celle de diriger la politique monétaire. Cette montée dans les fonctions sera rappelée dans une première partie, alors que la seconde tentera de montrer les mutations apportées par l’introduction de l’euro au concept de banque centrale. Denise FLOUZAT OSMONT D’AURILLY Membre du Conseil de la politique monétaire 1 1 Cette étude reprend de larges extraits de l’intervention de l’auteur au séminaire monétaire international de la Banque de France tenu dans le cadre de l’Institut bancaire et financier international (IBFI), le 5 février 1999 à Paris. 74 BULLETIN DE LA BANQUE DE FRANCE – N° 70 – OCTOBRE 1999 Le concept de banque centrale 1. Les fonctions de banque centrale 1.1. La banque centrale, émetteur de billets de banque et gestionnaire de moyens scripturaux C’est dès la fin du XIXe siècle qu’a commencé à se dégager un rôle central pour l’émission des billets de banque. Ce rôle central s’est amplifié à la suite d’un long et parfois douloureux apprentissage lorsque le développement de la monnaie scripturale a entraîné la centralisation des paiements. Le rôle de banque centrale dans l’émission des billets de banque Les banques d’émission traditionnelles ne se distinguaient initialement des autres banques commerciales que par la dimension des capitaux qu’elles avaient la capacité de mobiliser. Les billets de banque ont présenté rapidement l’immense avantage, par rapport aux obligations commerciales, d’être payables à vue, au porteur et au pair aux guichets de la banque contre des espèces. Mais l’institut d’émission était initialement soumis à l’exigence de convertibilité des billets en espèces métalliques comme la banque commerciale doit rembourser en billets de banque les dépôts. Dans l’un et l’autre cas, l’exigence liée au commerce de banque est la même : l’obligation de rembourser. Une série de dispositions législatives ont contribué à différencier banques commerciales et institut d’émission. A été d’abord attribué au billet de banque le cours légal dotant les billets d’un pouvoir libératoire illimité, cette faculté bénéficiant aux instituts dotés d’un privilège d’émission. Il suffisait que ce privilège ne fut plus accordé qu’à une banque pour que cette dernière, détenant le monopole de l’émission devint une « banque centrale » : désormais, toutes les autres banques avaient besoin d’acheter ou d’emprunter les billets demandés par leurs clients. C’est ainsi que l’inscription de la monnaie fiduciaire émise au passif d’une banque centrale est devenue la caractéristique des systèmes monétaires modernes, construits sur le mode hiérarchique. Du point de vue de l’émission des billets, l’achèvement du processus de l’évolution vers la position de banque centrale s’opère avec la décision de cours forcé qui, dispensant l’institut d’émission du remboursement des billets en monnaie métallique, rompt le lien contractuel entre l’émetteur de la monnaie fiduciaire et le détenteur de cette monnaie. En ce qui la concerne, la Banque de France fut dotée, en 1803, du privilège exclusif d’émission à Paris, généralisé à l’ensemble du pays en 1848. Le franc reçut cours forcé de façon temporaire de 1848 à 1850, de 1870 à 1878, et de nouveau au début de la première guerre mondiale. Ce n’est qu’en 1928 qu’une convertibilité partielle du franc (en lingots) fut rétablie. Le 25 septembre 1936, le cours forcé a été définitivement établi. Le cours forcé s’est imposé pendant la première guerre mondiale ou entre les deux guerres dans la plupart des pays. Seuls, les États-Unis ont conservé une forme de convertibilité de leur monnaie (limitée aux relations entre banques centrales et Trésor américain). Le cours forcé du dollar a été décidé par l’administration américaine le 15 août 1971. BULLETIN DE LA BANQUE DE FRANCE – N° 70 – OCTOBRE 1999 75 Le concept de banque centrale Le rôle de banque centrale dans la gestion des moyens de paiement scripturaux La centralisation des paiements s’est imposée avec l’intervention accrue de la monnaie scripturale qui fait de l’instrument de paiement (chèque, virement...) un simple moyen de circulation de la monnaie inscrite dans un dépôt dans un établissement de crédit. Il s’ensuit la nécessité d’une organisation multilatérale des paiements. Celle-ci s’est révélée supérieure, sous l’égide d’une banque centrale, à celle assurée par des organisations collectives de statut privé (expérience américaine de free banking au XIXe siècle). D’où l’émergence de la banque centrale au centre du système de compensation entre positions débitrices et créditrices uploads/Finance/ bdf-bm-70-etu-3.pdf

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  • Publié le Jul 20, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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