Capital réglementaire et capital économique MURIEL TIESSET PHILIPPE TROUSSARD S
Capital réglementaire et capital économique MURIEL TIESSET PHILIPPE TROUSSARD Secrétariat général de la Commission bancaire Secrétariat général de la Commission bancaire Direction de la Surveillance générale du système bancaire Direction de la Surveillance générale du système bancaire Service des Études bancaires Service des Affaires internationales L ’articulation entre les concepts de capital réglementaire et de capital économique paraît au premier abord relativement aisée. Les normes prudentielles, desquelles découle directement la notion de capital réglementaire, visent à assurer la solidité et la stabilité des institutions fi nancières individuelles et du système bancaire dans son ensemble. À ce titre, la norme de solvabilité relie les préoccupations des régulateurs à celles des dirigeants et des actionnaires des banques, suscitant une convergence partielle des méthodes de calcul du capital réglementaire et du capital économique, et parfois des objectifs sous-jacents à ces calculs. Au cours des deux dernières décennies, la mise en place de mécanismes prudentiels de plus en plus sophistiqués – depuis 1988 avec le ratio Cooke jusqu’aux évolutions récentes de l’Accord de Bâle II – ainsi que le développement parallèle d’outils de mesure et d’analyse des risques plus performants au sein des banques ont contribué à faire converger les méthodologies sous-jacentes à ces deux concepts. Ainsi, le nouvel Accord de Bâle vise à obtenir une mesure du capital réglementaire davantage sensible aux risques inhérents à chaque type de portefeuille, qui s’apparente, en de nombreux points, à la façon de mesurer le capital économique au sein des banques. Dans un environnement à la fois plus risqué et plus concurrentiel, l’objectif d’une meilleure solvabilité du système bancaire, pour les régulateurs comme pour les banques, doit tenir compte de la capacité des banques à dégager des profi ts en limitant la prise de risque excessive. Pour dégager des profi ts, les banques trouvent un intérêt certain dans la réduction de leur risque de signature qui est de nature, toutes choses égales d’ailleurs, à produire des marges plus élevées. La réduction du risque de signature des établissements, en même temps qu’elle implique une plus grande effi cacité des banques, peut, entre autres, contribuer à garantir la santé fi nancière de l’établissement et de facto la stabilité du système fi nancier. Cependant, les mesures de capital réglementaire et de capital économiques ne sont pas nécessairement amenées à coïncider, car elles répondent à des objectifs fi naux sensiblement distincts. Alors que les régulateurs ont comme objectifs ultimes la garantie des droits des déposants, qui passe par la solidité des institutions fi nancières, et la prévention des crises du système fi nancier, les dirigeants d’établissements bancaires recherchent avant tout la rémunération de leurs actionnaires, par la maximisation du profi t dégagé des activités, obtenue grâce à une allocation optimale des capitaux entre les différents segments d’activité. Le capital économique répond à un objectif premier de gestion interne des établissements, tandis que le capital réglementaire vise à assurer une solvabilité minimale des institutions et de l’ensemble du secteur bancaire. Si une convergence entre les deux mesures se dégage et apparaît souhaitable, un alignement des deux notions ne semble donc pas opportun. Cela s’explique à la fois par les limites des modalités de mesure interne des risques, dans un cadre encore très fragmenté, par l’émergence, au sein des grands conglomérats fi nanciers, d’objectifs parfois en contradiction avec l’objectif de stabilité fi nancière, ou encore par le fait qu’un alignement des pratiques internes pourrait engendrer une corrélation plus élevée des expositions au risque des établissements, augmentant de ce fait le risque de crise systémique. Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 7 • Novembre 2005 63 1| CAPITAL RÉGLEMENTAIRE ET CAPITAL ÉCONOMIQUE : DES DIFFÉRENCES CONCEPTUELLES 1|1 Le capital réglementaire : la norme de 1988 La norme internationale de solvabilité instaurée en 1988 par le Comité de Bâle, communément connue sous le nom de ratio « Cooke », visait à mettre un terme à la dégradation constante du ratio rapportant le capital du système bancaire à ses risques. En effet, le levier des banques, c’est-à-dire le rapport dette sur capital, avait considérablement augmenté dans les années antérieures, dans tous les pays et, plus particulièrement, au Japon. L’accroissement de l’effet de levier permettait aux établissements bancaires de compenser la diminution de la rentabilité de leurs opérations par un accroissement de l’activité, afi n de dégager une rentabilité du capital constante. Mais cet accroissement entraînait deux conséquences dommageables : une course à la taille, dans un contexte d’inégalité de concurrence, et une moindre résistance des banques aux retournements de conjoncture. L’effet de levier joue, pour les banques comme pour toute entreprise, mais avec une plus forte amplitude pour les institutions fi nancières. Cet effet de levier plus élevé augmente la rentabilité du capital lorsque les opérations unitaires sont profi tables, mais amplifi e les pertes lorsque la rentabilité des transactions devient négative et que les risques n’ont pas été provisionnés antérieurement. La capacité à supporter des pertes est d’autant plus faible que la base en capital est étroite. Le ratio Cooke fi xait une norme minimale d’exigences de fonds propres de 8 % pour couvrir les risques. La défi nition des fonds propres éligibles constitutifs du numérateur était large, puisqu’elle incluait non seulement le capital et les réserves formant les fonds propres de base (« Tier one ») mais aussi des éléments de dettes subordonnées constituant les fonds propres complémentaires (« Tier two »). Au dénominateur du ratio, les risques étaient repris pour leur montant nominal affecté de coeffi cients de pondération visant à prendre en compte de façon simplifi catrice leur niveau de risque (0 % pour les titres d’État OCDE, 20 % pour les engagements sur les banques OCDE, 100 % pour la quasi-totalité du reste). Les engagements de hors bilan étaient intégrés via des coeffi cients d’équivalent risque de crédit (ainsi les ouvertures de lignes de crédit à plus d’un an à des entreprises étaient reprises à 50 % de leur montant). Cette norme de solvabilité avait et conserve comme double objectif de protéger les déposants, principaux créanciers des banques, et de contribuer ainsi à la stabilité fi nancière. Son objectif intermédiaire était d’inciter les banques à restaurer la rentabilité de leurs opérations : ne pouvant plus jouer sur l’effet de levier, les banques étaient amenées à sélectionner leurs engagements sur le fondement de leur rentabilité rapportée aux besoins en fonds propres réglementaires. Elle assurait l’égalité de concurrence, puisque la norme s’appliquait de façon identique à l’ensemble des acteurs bancaires. Destinée aux grandes banques du G 10 à vocation internationale, la norme s’est généralisée à la plupart des pays et à l’ensemble des acteurs, quelle que soit leur taille. L’adoption très large du ratio Cooke au-delà des pays membres du G 10 a constitué le premier succès de cette norme prudentielle. Son deuxième succès a été de promouvoir une augmentation des fonds propres des institutions bancaires (cf. tableau ci-après). Au total, cette norme a contribué à une plus forte résilience du secteur bancaire aux chocs croissants engendrés par la libéralisation du secteur fi nancier dans les années quatre-vingt. Au-delà de ces succès indéniables, des effets pervers sont apparus progressivement, sous la forme d’un arbitrage réglementaire croissant de la part des établissements bancaires. La simplicité du ratio Cooke, qui a dans un premier temps constitué sa force, est en effet devenue un handicap. Les pondérations adoptées ne refl ètent pas suffi samment le niveau de risque réel : un crédit à une entreprise présentant un risque de défaut élevé requiert la même charge en capital qu’un crédit à une entreprise de qualité à la marge faible. Ce caractère fruste favorise des stratégies d’expansion du crédit aux débiteurs risqués ou des sorties de bilan des encours peu risqués, et donc relativement moins rémunérateurs, afi n d’augmenter la rentabilité du capital. De fait, l’émergence des techniques de titrisation dans les années quatre-vingt et leur industrialisation dans les années quatre-vingt-dix ont permis aux ÉTUDES Capital réglementaire et capital économique 64 Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 7 • Novembre 2005 banques de céder aisément les encours peu risqués et peu rémunérateurs de leur bilan. En conséquence, le risque moyen des encours demeurant au bilan s’est concomitamment élevé sans que la charge en capital, peu sensible au niveau de risque, n’accompagne cette croissance. L’apparition à la fi n des années quatre-vingt-dix de nouveaux outils de transfert du risque de crédit, les dérivés de crédit, a eu pour effet d’amplifi er ce mouvement, puisqu’associés à des titrisations synthétiques, ils ont permis de transférer aisément et à faible coût les risques liés aux encours du bilan. De surcroît, si elles permettent en apparence la diminution des risques par la sortie du bilan (titrisation classique) ou la couverture des risques y fi gurant (titrisation synthétique), ces techniques de transfert de risques s’accompagnent, en réalité, de Variation du ratio de solvabilité de 1989 à 1996 dans les pays du G 10 (en points de ratio) 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1989-1996 Allemagne 0,3 - 1,2 0,0 0,5 uploads/Finance/ capital-reglementaire-et-capital-economique.pdf
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- Publié le Jul 04, 2021
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