5 Conseils d’administration et gouvernement d’entreprise en France de 1998 à 20
5 Conseils d’administration et gouvernement d’entreprise en France de 1998 à 2006. Driss Agardi & Alain Alcouffe1 INTRODUCTION Depuis le 19e siècle, les structures de gouvernement des grandes entreprises se sont transformées à plusieurs reprises. Au tournant du siècle précédent, la plupart des firmes appartenaient à des familles ou des groupes de familles qui exerçaient une autorité patrimoniale sur leurs employés. Pendant l'entre-deux-guerres s’est développé notamment aux Etats-Unis un capitalisme managérial caractérisé par un actionnariat fragmenté, la distinction entre détention de l'entreprise et son contrôle, et par une bureaucratie à la tête des grandes entreprises. Les travaux de Berle et Means (1932) sur le fonctionnement et les buts des entreprises mettaient alors l’accent sur le conflit supposé ou réel entre propriétaires, actionnaires d’une part et managers d’autre part. Dans un contexte social marqué par des fortes oppositions au capitalisme se sont développées des campagnes pour justifier l’autonomie des dirigeants d’entreprises, pour améliorer leur image et pour promouvoir une nouvelle compréhension de la place des entreprises dans la société. Les débats sur la propriété et le contrôle ont mis en évidence la multiplicité des parties prenantes concernées par les problèmes liés au gouvernement d’entreprise. Parmi ces parties prenantes, l’importance des salariés n’est pas à souligner, c’est ainsi que s’est développée en France une conception originale de l’entreprise en tant qu’institution au dessus des intérêts particuliers des actionnaires et des travailleurs (Despax 1956, C. Alcouffe, 2000). Depuis les années 70, un nouveau type de capitalisme est 1 Les auteurs remercient Christiane Alcouffe, Ali Dardour et Paul Windolf pour leur aide ou leurs commentaires. Ils restent seuls responsables des thèses soutenues et des erreurs éventuelles. in Analyses et transformations de la firme, Bernard Baudry, Benjamin Dubrion éditeurs, La Découverte Paris, 2009 116 LES TRANSFORMATIONS DE LA FIRME, ÉVOLUTIONS RÉCENTES apparu - souvent qualifié de «capitalisme institutionnel » (Windolf 1999), que de nombreux auteurs associent à la prolifération des institutions financières, aux nouvelles modalités de contrôle financier et à la reconcentration de l'actionnariat Dans les dernières décennies, ces discussions ont de plus en plus été replacées dans le cadre de la théorie de l’agence dont le succès a été concomitant à la montée des marchés financiers, le développement du rôle d’investisseur des fonds de pensions. M. Jensen et W. Meckling (1976) ont prétendu que les entreprises pouvaient être considérées comme « de simples fictions légales qui servent comme un nœud de relations contractuelles entre des individus » (p. 310). Ce cadre a réduit pendant les années 1980/2000 les débats sur le gouvernement d’entreprise autour de l’opposition entre la shareholder corporation (l’entreprise définie par son capital social et ses actionnaires – propriétaires) et la stakeholder corporation (l’entreprise est alors définie comme un faisceau d’intérêts qui concernent une multiplicité de partenaires différents par leur nature, leurs apports, la durée de leur engagement etc.) ( T. Clarke et M. Blair, 1998). En même temps, la mondialisation et le rôle des marchés financiers dans le financement des entreprises ont conduit à globaliser les structures de propriétés et les modes de gouvernance (Plihon 2004, OECD 2004). Il est donc particulièrement intéressant de comparer les évolutions de divers types de capitalismes avec la situation française. LES VARIÉTÉS DE CAPITALISMES NATIONAUX ET LA MONDIALISATION Le thème spécifique du gouvernement d’entreprise a eu du mal à capter l’attention en France en dehors de cercles spécialisés. Ainsi les débats sur la corporate governance ont démarré aux États-Unis dès la fin des années 70, au Royaume-Uni le rapport Cadbury date de 1992 tandis qu’en France le rapport Viénot ne parait qu’en 1995. Ce retard est d’autant plus paradoxal que l’entreprise n’a cessé en France d’attirer l’attention durant les cinquante dernières décennies (le pancapitalisme de Loichot 1967, rapport Sudreau sur la réforme de l’entreprise 1975, les nationalisations de 1985, les privatisations et les noyaux durs, etc.), mais cette attention a été plus focalisée sur la propriété que sur la gouvernance. Trois caractéristiques structurelles sont importantes pour expliquer le gouvernement des groupes industriels qui forment le tissu économique des pays : la répartition des titres de propriété, le type de propriétaires, et finalement la configuration des réseaux de dirigeants (sur ce dernier point, Mizruchi (1996)). Durant les années 1990, en comparant ces trois types de critères le capitalisme à la française apparaissait plus proche du capitalisme rhénan que du capitalisme anglo-saxon forte concentration de la propriété aux mains des familles et des entreprises en France et en Allemagne et finalement forte densité des réseaux de dirigeants (Windolf, 2000). En CONSEILS D’ADMINISTRATION ET GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE 117 France, en 1998, seul un petit groupe d’entreprises étrangères échappait au maillage constitué par les échanges de dirigeants typique du capitalisme à la française (Alcouffe et Alcouffe 2002, Yeo, 2003) tandis qu’en Allemagne la densité des liaisons financières et personnelles avait conduit Paul Windolf à parler de la "Deutschland AG" (Windolf, 2000). L’étude des liaisons personnelles et financières au sein des plus grandes entreprises allemandes indique une baisse considérable depuis le début des années 90 des liaisons personnelles par échange d’administrateurs qui seraient en voie de disparitions dans les années 2000. Ainsi dans les années 1990, en se basant sur les 15 plus grandes sociétés allemandes, P. Windolf (2000) a relevé une baisse très forte de la densité des échanges d’administrateurs à mesure que les liens financiers se dénouaient. Plus récemment Lothar Krempel (2007) a confirmé le desserrement des liens financiers entre les entreprises allemandes entre 1996 et 2004 comme l’avait déjà montré Windolf (2000) pour la période 1992-2000 et Höpner Krempel (2004) pour la période 1996/2002. Ces deux auteurs tentaient d’expliquer ces changements en combinant une approche historique de la gouvernance des entreprises avec l’histoire politique de l’Allemagne. Pour sa part, Paul Windolf estimait que les interconnexions entre entreprises représentaient une forme de régulation des marchés, mais dès lors que les marchés pertinents ne sont plus les marchés nationaux, la régulation nationale ne présente plus la même protection et partant le même intérêt pour les participants aux réseaux ce qui lui faisait conclure à la disparition de la Deutschland AG et entrevoir une possible Europa AG préfigurée par les fusions transnationales et les échanges d’administrateurs entre firmes européennes. La disparition du capitalisme rhénan et les évolutions en cours dans les modèles japonais et coréens (Lee Joon Tai) illustrent le triomphe des actionnaires (shareholder value) sur la conception partenariale de l’entreprise (stakeholder value). Pourtant notre étude montre la persistance de certains traits du capitalisme à la française en dépit de l’appel croissant aux marchés financiers pour assurer le financement des entreprises. CONSEILS D’ADMINISTRATION ET GOUVERNEMENT D’ENTREPRISE EN FRANCE Notre étude se base sur les conseils d’administration des sociétés appartenant au CAC 40 entre 1998 et 2006. Ces sociétés sont à quelques exceptions près de droit français et par conséquent, le terme de conseil d’administration en toute rigueur ne s’applique qu’à celle qui ont opté pour cette structure. Nous avons considéré néanmoins que l’on pouvait désigner sous ce terme aussi l’ensemble formé par le conseil de surveillance et le directoire. Comme on le verra, le périmètre des ‘administrateurs’ pourrait être élargi aux administrateurs des grandes filiales qui ont souvent des 118 LES TRANSFORMATIONS DE LA FIRME, ÉVOLUTIONS RÉCENTES fonctions de direction tout à fait considérables et peuvent représenter le groupe aux conseils d’administration d’autres sociétés. Élément essentiel de la gouvernance, le conseil d’administration est au cœur des réflexions (Rapports Viénot 1 et 2, rapport Bouton, rapport Clément) et a fait l’objet de modifications du cadre légal. Deux traits des organes dirigeants ont fait l’objet de beaucoup d’attention, la taille et la composition des CA. La littérature sur le sujet est très vaste et en pleine expansion mais les études empiriques ont plutôt confirmé l’idée que la taille dépendait de facteurs très spécifiques aux caractéristiques de l’entreprise et du contexte dans lequel elle opère (Boonea et alii 2007). Les deux rapports Viénot avaient accordé beaucoup d’importance à la composition des CA et semblaient s’inspirer de l’idée de la théorie des votes et de la théorie de l’agence selon laquelle l’efficacité exigerait de resserrer la taille des CA. La loi Loi NRE, art. 129 fixait la taille des CA à 18 membres en laissant aux sociétés un délai pour se mettre en conformité jusqu’au 16 mai 2004 tout en prévoyant une exception en cas de fusion le CA pouvant alors atteindre 24 membres. Cette relation inverse entre taille et efficacité se retrouve en 2004 dans les considérations du rapport Clément qui introduisent un projet de loi sur la gouvernance des sociétés commerciales visant « la responsabilisation accrue du conseil d'administration ». Pour le rapport, elle est conditionnée par « l'implication de l'administrateur de la société qui passe par un conseil d'administration plus resserré » (Clément 2004, p.36). L'article 1er proposait ainsi de limiter le nombre de ses membres à quatorze, une recommandation qui reste lettre morte. Tableau 1 : Taille des Conseils d'administration taille du CA 10 et moins 11 - 14 15-18 19 et plus Moyenne Ecart type Médiane 1998 4 7 12 17 17,95 6,02 18 2000 4 9 6 21 18.45 uploads/Finance/ conseils-d-x27-administration-et-gouvernement-d-x27-entreprise-en-france-de-1998-a-2006.pdf
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- Publié le Mar 24, 2022
- Catégorie Business / Finance
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