Préface Il peut sembler étrange de commencer la préface d’un livre portant sur

Préface Il peut sembler étrange de commencer la préface d’un livre portant sur Alimentation Couche-Tard en parlant du Mouvement Desjardins, que j’ai présidé de 2008 à 2016. Pourtant, en 2013, la coopérative financière s’apprêtait à procéder à la plus importante acquisition de son histoire, soit celle des activités canadiennes du géant américain de l’assurance State Farm. Et à cette occasion, j’ai recommandé à mon équipe de direction de rencontrer les fondateurs de Couche-Tard pour profiter de leurs conseils. Mais pourquoi donc Desjardins, classé par l’agence Bloomberg au deuxième rang des institutions financières les plus solides de la planète, aurait-il eu besoin de l’avis de propriétaires de dépanneurs avant de procéder à une transaction qui allait en faire le troisième assureur de dommages en importance au Canada? Ce livre, de manière à la fois convaincante et captivante, apporte la réponse à cette question en retraçant le parcours improbable d’un homme, Alain Bouchard, qui a eu l’audace de réussir là où personne ne le croyait possible. Il y a plus que du travail et de la détermination dans le succès international de Couche-Tard, un empire de 12 000 dépanneurs et de 100 000 employés. On y retrouve de la vision, de la méthode, de la discipline et, surtout, de la persévérance, cette capacité d’affronter l’adversité, l’intelligence de se remettre en question et le courage de se réinventer constamment. Il en aura fallu une bonne dose à Alain Bouchard et à ses incroyables partenaires de la première heure, Jacques D’Amours, Richard Fortin et Réal Plourde, pour construire à partir de rien une constellation de dépanneurs dont le modèle d’affaires en fait l’entreprise la plus innovante et la plus efficace au monde. Leur passionnante aventure entrepreneuriale, que raconte ici le journaliste Guy Gendron, montre bien qu’une entreprise n’est pas seulement qu’un projet d’affaire. Elle est un organisme vivant qui représente la somme des qualités personnelles, des talents et des valeurs des individus qui le composent, et qui s’y révèlent à travers leurs succès et surtout leurs échecs qu’ils rencontrent. La vie de Couche-Tard, vous le verrez, n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais plutôt une suite de rapides, comme ceux des rivières bouillonnantes de la Côte-Nord que l’ingéniosité québécoise a réussi à maîtriser pour devenir un leader mondial de l’énergie propre. Peu importe son champ d’intérêt, que ce soit la science, le sport, la culture ou les affaires, j’ai la conviction que chaque lecteur trouvera dans ce livre enlevant une source d’inspiration et de motivation pour prendre sa vie en main et se donner l’audace de réussir. L’audace d’aller au-delà des frontières, au-delà des différences, et de voir le reste de la planète comme une occasion à saisir plutôt que comme une menace à redouter. Le Québec et le monde en ont cruellement besoin. Monique F. Leroux, Présidente du Mouvement Desjardins, 2008-2016 Présidente de l’Alliance coopérative internationale Présidente du conseil d’administration d’Investissement Québec Avant-propos En juin 2015, un nouveau mot a fait son apparition dans l’Oxford English Dictionary qui, depuis plus de 150 ans, est la référence mondiale du vocabulaire anglais. Le terme «depanneur» – privé de son accent aigu – y est défini comme un emprunt de la langue française parlée au Canada, désignant un «convenience store», aussi appelé «corner store». Littéralement, «le magasin du coin». En somme, un petit commerce de proximité. Ce n’est pas un hasard si le mot a trouvé son origine au Québec. Dans cette province majoritairement francophone de 8 millions d’habitants située au milieu d’un océan de 350 millions d’anglophones, les descendants des premiers colons européens venus s’installer en Amérique du Nord dès le début du 17e siècle – des Français – ont dû, pour préserver leur langue et leur culture, adopter des règles défensives. L’une d’elles concerne la langue d’affichage commercial et favorise la présence du français. L’usage de termes anglais comme «convenience store» est proscrit, y compris dans les quartiers dont la population est constituée d’une majorité d’anglophones. On doit lui substituer le mot «dépanneur». C’est ainsi qu’entourés de «Dépanneur Sherbrooke» ou de «Dépanneur Drummond», les Anglo-Québécois ont intégré le terme dans leur vocabulaire courant. Ils lui ont même donné un diminutif: ils vont chez le «dep». Mais avant que le terme soit emprunté, encore fallait-il que le type de commerce qu’il désigne soit inventé. Mélange de tabagie, de kiosque à journaux, de marché d’alimentation, de vendeur de bière, de magasin général et de comptoir de restauration rapide, le dépanneur a connu plusieurs incarnations au cours des 35 dernières années, depuis qu’un homme a décidé d’en faire l’affaire de sa vie. Cet homme, c’est Alain Bouchard. Curieusement, peu de gens connaissent son nom, même au Québec où il a toujours vécu. Il est pourtant l’un des entrepreneurs les plus riches au Canada et l’un des plus honorés par ses pairs sur la planète. Son entreprise multinationale emploie plus de 100 000 personnes et cumule un chiffre d’affaires dépassant les 50 milliards $. Son histoire est celle d’un «self-made man» qui, un jour, a eu une idée que plusieurs ont jugée folle: réinventer le deuxième plus vieux métier du monde, celui de marchand de proximité, et fédérer ce secteur commercial en une constellation d’entrepreneurs. «À l’époque, affirme aujourd’hui Réal Raymond, l’un de ses anciens banquiers, tout le monde se moquait de lui autour de la table: le gars voulait faire un empire mondial avec des dépanneurs, pensez-y!» L’entreprise qu’il a fondée s’appelle Alimentation Couche-Tard[1], et son siège social se trouve… En fait, elle n’a pas de siège social! Le terme est banni chez Couche-Tard parce qu’il s’en dégage un parfum de supériorité hiérarchique, une ligne verticale d’autorité décisionnelle à laquelle ses fondateurs sont allergiques. Chez Couche-Tard, dit Alain Bouchard, «nous n’avons pas d’ego». Les bureaux administratifs de l’entreprise sont des «centres de services», un terme dont le but est de refléter la philosophie organisationnelle du groupe. Les employés qui y travaillent sont «au service» des commerces, et non l’inverse. Le bureau personnel d’Alain Bouchard se trouve au rez-de-chaussée et donne sur le stationnement de l’immeuble. Les murs et les plafonds lambrissés de bois, typiques des quartiers généraux des chefs d’entreprises de cette taille, ont ici fait place à des parois de placoplâtre et à des panneaux de cloison sèche. Seule excentricité, un système de son Bang & Olufsen d’un modèle datant du siècle dernier. Alain Bouchard le répète sans cesse: «On ne fait pas un seul cent dans les bureaux. L’argent se gagne dans les magasins.» Parti de la base – comme commis bénévole dans le commerce de son frère – et ayant exercé tous les boulots reliés à ce travail souvent ingrat, Alain Bouchard a trop souffert de devoir appliquer des recettes conçues par un siège social ou un autre, alors qu’il les savait inadéquates ou inhumaines. Pour y avoir été longtemps, il comprend que la lumière peut venir d’en bas. Il en a fait une valeur centrale de l’entreprise: chacun doit y trouver son degré d’importance. Et que la meilleure idée l’emporte. L’absence d’ego, cela signifie aussi que les chaînes qu’il a acquises partout dans le monde ne portent pas la bannière Couche-Tard. Elles ont conservé leur identité originale ou ont adopté celle d’autres chaînes régionales, elles aussi passées à l’écurie de Couche-Tard. L’entreprise a vite compris que son nom était difficilement exportable. Lors d’une première aventure à l’extérieur du Québec, elle avait confié la traduction de ses prospectus à la célèbre firme Berlitz et découvert avec horreur qu’elle était devenue… une société de remorquage! Le mot «dépanneur» ne figurant pas encore dans le dictionnaire Oxford, on lui avait en effet attribué le sens donné jusque-là par le dictionnaire français Larousse, soit celui d’une personne dont le métier est de manœuvrer des remorqueuses. C’est ainsi que les «dépanneurs Couche-Tard» étaient devenus «Couche-Tard Towing». * * * Par analogie, dépanner quelqu’un, c’est lui rendre service. Voilà où prend tout son sens le néologisme «dépanneur» dont Alain Bouchard attribue la paternité à un petit épicier d’un quartier populaire de Montréal dans les années 1970, Paul-Émile Maheu[2]. Voyant sa clientèle s’étioler au profit des supermarchés de plus en plus en vogue comme partout en Amérique du Nord, il avait décidé de réduire son personnel, de diversifier son offre de produits et d’allonger ses heures d’affaires, alors sévèrement réglementées pour les marchés d’alimentation. La formule reprise par Alain Bouchard et plusieurs autres eut un tel succès que le Québec détient aujourd’hui le record nord-américain du plus grand nombre de dépanneurs en proportion de sa population: en moyenne, un dépanneur pour 1200 habitants. C’est trois fois plus qu’en Californie. La principale raison de ce phénomène est sans doute liée à l’histoire de la prohibition de la vente d’alcool. Le Québec est en effet le seul endroit en Amérique du Nord à n’avoir jamais complètement interdit la vente de produits alcoolisés. Cela a pourtant bien failli se produire en 1918, lorsque le gouvernement provincial adopta une loi imposant une prohibition totale devant entrer en vigueur l’année suivante. Après les États-Unis et les autres provinces canadiennes, le Québec aurait été uploads/Finance/ couche-tard.pdf

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  • Publié le Mai 06, 2022
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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