NOTES ACADÉMIQUES SUR L’ÉTUDE DE CAS Le fait de savoir que l’entreprise a déjà

NOTES ACADÉMIQUES SUR L’ÉTUDE DE CAS Le fait de savoir que l’entreprise a déjà agi de la sorte rend-il la demande plus acceptable ? Sandra Sucher pose cette question à ses étudiants lorsqu’elle enseigne cette étude de cas. SANDRA SUCHER est professeure en pratique du management attachée à la Joseph L. Rice III Faculty de la Harvard Business School. MATTHEW PREBLE est rédacteur d’études de cas à la Harvard Business School. Les études de cas romancées de Harvard Business Review sont basées sur des problèmes réels vécus par des dirigeants d’entreprise et proposent des solutions d’experts. Celle-ci est tirée de l’étude de cas de la HBS « An Intern’s Dilemma », élaborée par Sandra Sucher et Matthew Preble. Susan Kim crut qu’elle avait mal entendu ce que disait son nouveau manager. La communication était relativement bonne pour un appel entre San Francisco et Séoul, mais la jeune femme demanda tout de même à Sukbin Moon de répéter ce qu’il venait de lui dire. M. Moon (c’est ainsi que le père de Susan, lui-même d’origine coréenne, lui avait conseillé d’appeler son supérieur) dirigeait le bureau de Zantech à Séoul. Spécialisée dans la sécurité informatique, la société avait son siège à Amsterdam. Susan venait de commencer son stage d’été dans l’entreprise et il était prévu qu’elle travaille à Séoul avec l’équipe de M. Moon, mais son départ avait été retardé à cause d’un problème de visa. Emma Visser, responsable du programme de stagiaires, avait suggéré qu’elle commence à travailler à distance, depuis San Francisco. Une des principales missions de Susan pendant l’été serait d’aider M. Moon sur les études de marché en contactant d’autres sociétés technologiques, et notamment des concurrents, pour réunir des informations sur leurs produits, les services qu’elles proposaient, leurs clients, leur chif re d’af aires et d’autres données. Il lui avait déjà envoyé par courriel une liste d’entreprises et de personnes à contacter. Il lui expliquait à présent que, lorsqu’elle contacterait ces personnes, il serait préférable qu’elle utilise son adresse de courriel universitaire et qu’elle se présente comme une étudiante en MBA. Percevant peut-être son hésitation, M. Moon ajouta : « C’est une pratique courante. C’est la seule manière d’obtenir des informations exactes. » Mal à l’aise, Susan se tortilla sur sa chaise. C’était sa première discussion avec son nouveau responsable et elle voulait faire bonne impression. « Vous n’obtiendrez pas d’informations autrement, poursuivit M. Moon, comblant le silence. C’est ce qu’ont fait les autres stagiaires par le passé. Vous n’avez pas à vous inquiéter. » Ne sachant toujours pas quoi répondre – ni si elle pouvait lui parler franchement, son père lui ayant également expliqué que la confrontation directe était vue d’un mauvais œil dans la plupart des cultures asiatiques – elle dit simplement : « D’accord. » Elle posa quelques questions supplémentaires sur les informations qu’elle devait recueillir et raccrocha. Ce stage signif ait beaucoup pour Susan. A sa sortie de l’université, elle avait travaillé dans un cabinet de conseil en management, où elle avait tout de suite été af ectée à un projet avec une société de cybersécurité. ÉTUDE DE CAS DOIT-ON OBÉIR À UN ORDRE ÉQUIVOQUE OU LE CONTESTER ? UNE STAGIAIRE SE DEMANDE SI ELLE DOIT CÉDER SUR SES VALEURS POUR OBTENIR UN POSTE. PAR SANDRA SUCHER ET MATTHEW PREBLE AVRIL-MAI 2018 HARVARD BUSINESS REVIEW 141 Pour beaucoup de personnes, décider si un acte est bon ou mauvais est ce qu’il y a de plus diffi cile dans un dilemme. Mais décider exactement comment gérer le problème une fois votre position arrêtée est tout aussi important. Face à un dilemme éthique, Sandra Sucher propose à ses étudiants d’examiner quatre points : (1) Suis-je à l’aise avec les conséquences probables de cette action ? (2) Est-ce que je remplis mes devoirs et respecte les droits des autres ? (3) Est-ce que je respecte la communauté et ses normes ? (4) Est-ce que je respecte mes engagements et ceux de l’entreprise ? Les pratiques d’une entreprise doivent-elles varier en fonction du pays où elle est implantée ? Beaucoup d’entreprises qui se développent à l’international ont des diffi cultés à mettre en place un ensemble commun de valeurs et de comportements. Dès le début, elle avait été fascinée par ce travail. Elle avait alors décidé de retourner à l’université pour obtenir son MBA, dans la perspective de rejoindre à plus ou moins brève échéance une entreprise à la pointe de ce domaine en plein boom. Dans un secteur dont on estimait qu’il générerait un chif re d’af aires de 170 milliards de dollars à l’horizon 2020, elle savait que les opportunités ne manqueraient pas. Et elle avait été folle de joie lorsque Zantech lui avait fait une of re. Si elle se débrouillait bien, son stage pouvait déboucher sur un poste à plein temps une fois qu’elle serait diplômée. Mais voilà que M. Moon lui demandait de se présenter sous une identité trompeuse. Elle n’ignorait pas que réunir des informations sur la concurrence exigeait de la « créativité » – ne s’agissait-il pas de chercher des informations que vos concurrents voulaient garder pour eux ? – mais n’était-ce pas franchir la ligne rouge ? Au cours d’un de ses innombrables sermons sur la culture asiatique des af aires, son père lui avait expliqué que les attentes et même l’éthique seraient dif érentes à Séoul – mais le savoir ne lui était d’aucun secours. Tordre le bras à la vérité était-il une « pratique courante » en Corée ou une pratique courante chez Zantech ? RELATIVISER A son réveil le lendemain matin, Susan avait déjà reçu plusieurs courriels de M. Moon, accompagnés de modèles de questionnaire. Elle remarqua immédiatement qu’il avait mis en copie Emma Visser et un homme dont le nom ne lui disait rien. Une rapide recherche lui apprit qu’il s’agissait du responsable des études de marché de Zantech pour l’Asie. Elle était censée commencer son enquête téléphonique le lundi, et on était déjà jeudi après-midi. Elle devait décider rapidement quoi faire. Espérant se vider la tête, elle sortit courir mais, une demi-heure plus tard, elle tournait et retournait toujours dans son esprit ce que M. Moon lui avait demandé de faire. Lorsque son téléphone sonna et qu’elle vit s’af cher le numéro de son père, elle fut heureuse de cette distraction – et espéra qu’il saurait la conseiller. C’était un de leurs rituels. Il l’appelait à l’heure du déjeuner (heure de la côte est), au moment où elle était en route pour un cours du matin ou pendant son jogging. Leurs conversations étaient brèves mais Susan les attendait avec impatience. Elle lui expliqua ce qu’il se passait et son père se lança dans un de ses monologues habituels sur l’importance d’avoir un bon emploi et de bâtir une carrière. Susan l’écouta de longues minutes puis, n’y tenant plus, lui coupa la parole. « Papa, arrête avec les leçons de vie, tu veux bien ? Je sais que j’ai besoin de cet emploi. – Je veux juste que tu prennes une bonne décision, ma chérie. – James pense que je devrais démissionner. Il dit que les gens ont le droit de savoir la vérité quand on leur demande de dévoiler des informations sensibles », dit-elle. James était son petit ami depuis deux ans, mais son père ne l’appréciait que modérément. « C’est facile à dire pour lui. Il envisage de payer ton loyer cet été ? Ou de te trouver un boulot l’année prochaine ? Susie, tu as besoin de ce stage. Tu sais qu’on ne demanderait pas mieux que de t’aider, ta mère et moi, mais avec un revenu f xe... » « Revenu f xe » était devenu l’expression préférée de son père depuis qu’il était à la retraite. Ses parents avaient subvenu à leurs besoins, à son frère et elle, jusqu’à la f n de leur licence, mais ils leur avaient clairement fait comprendre que désormais, ils devaient s’assumer tout seuls. Pendant les trois ans où elle avait travaillé comme consultante, elle avait mis de l’argent de côté, mais pas assez pour payer un loyer à San Francisco. « Donc, je devrais accepter, c’est ça ? Oublier tout ce que tu m’as inculqué sur l’honnêteté et l’intégrité et faire tout ce qu’ils me demandent ? » Elle savait qu’elle forçait un peu le trait, comme souvent avec ses parents. « Susie, relativise un peu ! Ce que M. Moon t’a demandé de faire n’est pas illégal. Et il n’est même pas question de mentir : tu es en MBA. Si une de ces personnes que tu dois contacter te demande si tu as des liens avec une entreprise, rien ne t’empêche de dire la vérité. En plus, il semblerait que tout cela soit parfaitement transparent chez Zantech. Puisque le responsable des études de marché est au courant, tu vois que M. Moon ne dissimule rien. – Cela me met extrêmement mal à l’aise, papa, je n’y peux rien. J’aurais ÉTUDE DE CAS OBÉIR À UN ORDRE ÉQUIVOQUE OU LE CONTESTER ? 142 HARVARD uploads/Finance/ rh-valeurs-pour-un-poste.pdf

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  • Publié le Mai 12, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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