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Classe Internationale Votre revue d'analyse internationale ACCUEIL | ECONOMIE 12 JANVIER 2021 Covid-19, pandémie de la pauvreté Source : The Guardian En 2015, le secrétaire général aux Nations Unies, Ban Ki-Moon, affirmait que nous pouvions être la première génération à éliminer la pauvreté. Cinq ans plus tard, le rapport de la Banque mon- diale sur la pauvreté, de par son contenu et son nom « Revers de fortune » est loin de refléter le même optimisme. Les chiffres avancés par différents organismes internationaux dépassent rapidement les 100 mil- lions de personnes qui, dans le contexte de la pandémie, basculeront dans la pauvreté. Parmi les causes de ce revers de fortune, les principales seraient, selon le Département des affaires écono- miques et sociales des Nations Unies, la perte d’emploi et de facto de revenu ainsi que les dé- penses onéreuses en lien avec la santé (UNDESA, 2020). On peut déjà voir quel morbide duo peuvent former pauvreté et santé. Alors même qu’il est pré- dit une hausse dramatique de la pauvreté, sans système de protection sociale suffisamment per- formant, l’accès aux soins apparaît pratiquement impossible pour les personnes en situation de pauvreté. Le rapport entre pauvreté, marginalité et santé a été mis en avant par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis de nombreuses années. En 2008, dans un communiqué titré « Les inégalités « tuent à grande échelle » », l’OMS informait que « L’espérance de vie à la naissance d’une fille au Leso- tho est inférieure de 42 ans à celle d’une autre née au même moment au Japon. », que « L’espérance de vie chez les hommes autochtones australiens est inférieure de 17 ans à celle des autres hommes en Aus- tralie. » et qu’ « Un enfant né dans une banlieue de Glasgow, en Écosse, aura une espérance de vie infé- rieure de 28 ans à un autre né à peine treize kilomètres plus loin ». Ainsi cette remarque s’observe au- tant à l’échelle internationale, nationale et locale. La pandémie actuelle ne déroge pas à la règle puisqu’une étude menée aux Etats-Unis démontre que les régions les plus pauvres sont aussi celles où le nombre de contaminations et de morts ont été le plus élevés et que l’inversion de cette tendance serait davantage due à un manque de ressources et de tests dans les régions les plus pauvres qu’à un taux d’incidence plus faible (Finch et Hernandez, 2020). Le Covid-19 met en lumière le caractère fondamentalement multidimensionnel de la pauvreté et invite à repenser le lien entre santé et justice sociale. Quels mythes regardant la pauvreté la si- tuation pandémique nous révèle-t-elle ? Au premier plan, que la pauvreté est un phénomène bien plus complexe et étendu que ce qui était jusque-là reconnu et que proclamer la fin prochaine de la pauvreté était mirage, sinon mensonge. Enfin, que la protection sociale est inscrite parmi les droits humains, et qu’il est temps de la considérer comme tel : ce n’est ni de la charité, ni des me- sures temporaires le temps d’une crise, ni des dépenses superflues qui plombent les budgets nationaux. La fin de la pauvreté : si proche du but ? En 1990, la Banque mondiale propose le seuil de pauvreté de 1$ par parité de pouvoir d’achat par jour par personne. Précédemment à cette date, aucune définition mondiale et consensuelle de la pauvreté n’avait émergé (Woodward, 2010, 5). Or sans définition, il était impossible de me- surer ou de proposer des solutions efficaces. La démarche émerge alors comme une réponse, et potentiellement une solution à différents défis. Ce seuil fut ensuite réévalué à plusieurs reprises et fixé à 1.25$ PPA par jour par personne en 2008 puis 1.9$ PPA par jour par personne en 2015 . Des résultats plus nuancés qu’il n’y paraît La lutte contre la pauvreté a été affichée comme un objectif primordial d’organisations interna- tionales telles que la Banque Mondiale, le FMI, les Nations Unies. Ce volontarisme a été réaffir- mé en 2015 avec l’adoption des Objectifs de Développement Durable. La lutte contre la pauvre- té était alors mise à l’honneur puisque le premier de ces objectifs était nommé « pas de pauvreté », ou sous sa forme plus détaillée « Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde ». Moins ambitieux qu’un taux à 0%, était fréquemment évoqué la détermination à abais- ser à l’horizon 2030 à moins de 3% le taux de personnes vivant dans la pauvreté dans le monde, c’est-à-dire vivant avec moins de 1,9$ par jour. 1 Les 17 objectifs de Développement durables (Sustainable Development Goals en anglais) qui ont succédé aux Millennium Development Goals en 2015. Source : Unesco Cependant, malgré l’enthousiasme affiché, cet objectif apparaissait déjà compromis avant la crise de Covid-19 (Banque mondiale, 2020, 2). Par ailleurs, le HCDH (Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme) dénonce le discours de la Banque mondiale et autres insti- tutions qui proclament la presque-éradication de la pauvreté dans le monde. Au contraire, il est affirmé que seule une légère baisse de la pauvreté a pu être enregistrée au cours des 30 der- nières années (Alston, 2020, 3). En effet, même s’il a été admis que l’objectif premier concernant la pauvreté était probablement hors d’atteinte, le taux de pauvreté avait tout de même chuté de manière extraordinaire depuis 1990 puisque celui-ci était passé de 36% à 10% en 2015 (Banque mondiale, 2018, 2). Mais ces résultats sont considérés comme trompeurs par le HCDH tout d’abord car cette vision globale est en fait fortement influencée par la tendance chinoise. En ef- fet, le taux de la Chine est passé de 62% en 1990 à 3% en 2015 (ibid, 2). A l’inverse, on note une augmentation de la pauvreté dans certaines régions du monde ces dernières années. Au Moyen- Orient et en Afrique du Nord, ce taux a progressé de 2,3% en 2013 à 3,8%, en 2015 à 7,2% en 2018 (ibid, 3). En Afrique subsaharienne la situation reste critique puisqu’en 2018, 40% de la po- pulation vivait sous le seuil de 1,9$, et 70% de la population sous celui de 3.2$ (ibid, 15). Cette baisse de la pauvreté apparaît ainsi plus nuancée lorsque l’on considère l’échelle régionale et non globale. Ces chiffres représentent également des contre-exemples au discours qui fait de l’aug- mentation de la pauvreté dans le contexte du Covid-19 , une hausse historique de la pauvreté, supposément la première en 30 ans. Également la probabilité d’une fin proche de la pauvreté était déjà amoindrie par le manque de prise en compte de certaines populations pourtant touchées au premier chef. Tony Atkinson a ainsi grandement développé la problématique des oubliés des pays riches mais aussi des pays pauvres dans les données (Brandolini & Micklewright, 2020, 6). Ainsi, seuls ceux qui font partie des ménages recensés sont comptabilisés. Sont exclus de facto les migrants sans papiers, les réfu- giés ou encore les Sans Domicile Fixe. E t l l’ d ét l d l il lé t i d l B En outre, lorsque l’on prend comme étalon de mesure les seuils complémentaires de la Banque mondiale de 3,2$ et 5,5$, la réduction de la pauvreté apparaît alors encore moins significative, en particulier en Asie du Sud-Est et en Afrique Subsaharienne. La Banque mondiale estime ainsi qu’un nombre conséquent de personnes se situaient à peine au-dessus du seuil de 1.9$. Or, la probabilité pour ces personnes de basculer à nouveau sous le seuil de 1.9$ est forte puisqu’elles apparaissent toujours en situation de précarité et de vulnérabilité. Elles sont de fait en première ligne lors des évènements aux effets appauvrissants tels que conflits, changement climatique ou encore pandémie (Banque mondiale, 2020, 3). Les femmes sont également mal prises en compte puisque la pauvreté est mesurée à l’échelle des ménages, en posant l’hypothèse que les ressources du ménage sont partagées de manière équi- table entre ses différents membres (Alston, 2020, 6). Cette méthode exclurait de fait des millions de femmes des chiffres de la pauvreté dans le monde, ce alors que les femmes sont en général plus vulnérables car assumant la majorité du travail domestique et des services de soin non ré- munérés, qu’elles sont plus susceptibles d’être socialement exclues, ayant un moindre accès aux ressources productives et au pouvoir politique et économique, et qu’elles sont souvent moins protégées, ayant un accès restreint au système de sécurité sociale lié au marché du travail (PNUD, 2012, 27). A-t-on sous-estimé la pauvreté ? Mais les critiques à l’encontre de l’annonce d’une fin proche de la pauvreté sont surtout dues à la définition de celle-ci et par conséquent ses outils de mesure et les objectifs promulgués. L’argument le plus frappant est celui des seuils de pauvreté nationaux. Si la Banque mondiale propose des seuils de pauvreté mondiaux en dollars PPA, les pays fixent eux aussi leurs propres seuils de pauvreté afin de mettre en place des politiques de protection sociale, de réduction des inégalités, … Et pour de nombreux pays, l’écart entre la proportion de personnes vivant sous le seuil uploads/Finance/ covid-19-pande-mie-de-la-pauvrete-classe-internationale.pdf

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  • Publié le Mar 02, 2022
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