« L’habit ne fait pas le moine ». La mise en garde portée par le proverbe est s
« L’habit ne fait pas le moine ». La mise en garde portée par le proverbe est sans équivoque : il ne faut pas se fier aux apparences. Le costume1 est alors conçu comme un outil du paraître et de la démonstration sociale. Si l’habit du moine se doit de souligner l’humilité et le renoncement aux biens de ce monde pratiqués par son porteur, celui de la noblesse répond à l’adage inverse. L’ostentation est de rigueur pour signifier une condition sociale élevée. Quoi de mieux pour satisfaire à cet objectif qu’un bijou, une ceinture richement ouvragée ou des broderies de pierres précieuses ? Pour nous, l’habit évoque avant tout un ensemble de pièces de tissu. Cependant, les éléments aujourd’hui désignés sous le nom d’« accessoires de mode » font partie intégrante du costume au Moyen Âge. Ils le magnifient, l’ornent, le complètent, et parfois même se substituent à lui. L’étude de la place tenue par l’orfèvrerie dans l’habit médiéval à travers un exemple prestigieux paraît donc essentielle pour répondre à l’une des problématiques soulevées par le thème de ce bulletin : la question du statut ornemental du vêtement et de son utilisation comme moyen de représentation sociale. 2 Les documents de la Recette générale de toutes les finances des ducs de Bourgogne mentionnés dans c (...) 3 Mathieu d’Escouchy, Chroniques de Mathieu d’Escouchy, éd. Gaston de Fresne de Beaucourt, Paris, Ren (...) 2Philippe le Bon, duc de Bourgogne (1419-1467), compte parmi les plus grands princes de l’Europe du XVe siècle. Ce duc, connu pour ses somptueuses fêtes, son luxe ostentatoire et ses nombreux dons, s’est bâti une image de seigneur parmi les plus riches et les plus puissants de cette époque, et ce en grande partie grâce aux objets précieux. Le nombre d’objets d’orfèvrerie médiévaux parvenus jusqu’à nous étant très réduit, les archives de la Recette générale de toutes les finances conservées à Lille2 et les chroniques du XVe siècle3 fournissent de précieux renseignements sur la commande artistique du duc de Bourgogne. Le vocabulaire employé dans ces documents et les informations qu’ils apportent sur l’utilisation des parures précieuses soulignent l’appartenance de ces dernières au costume, et font apparaître la fonction politique et sociale qu’elles pouvaient revêtir. La façon dont ces atours étaient en effet perçus et employés pouvait différer selon le type de vêtement à orner, la charge ou le rang de son porteur et la circonstance dans laquelle il était porté. L’orfèvrerie et le costume : de la simple juxtaposition à la fusion 4 Le clinquant est un ornement brillant fait de lamelles d’or ou d’argent. Pour la signification des (...) 5 Voir Sophie Jolivet, Pour soi vêtir honnêtement à la cour de monseigneur le duc de Bourgogne : cost (...) 3Au Moyen Âge, quantité de bijoux pouvaient être ajoutés au costume, tels que les colliers, les bagues, ou encore les couronnes. D’autres objets, tels que les fermaux, les agrafes ou les ceintures, avaient plus particulièrement le rôle de lier entre eux plusieurs vêtements ou parties de vêtement. Enfin, les vêtements civils ou militaires pouvaient être brodés d’or, d’argent, de perles et de pierres précieuses. C’est par cette dernière catégorie de pièces d’orfèvrerie qui possède une relation particulière avec le costume, plus étroite et moins souvent évoquée, que la présente étude débutera. Certains manteaux, paletots ou chaperons étaient ainsi véritablement couverts d’orfèvrerie. De petites pièces d’or et d’argent, sous forme de « clinquants »4 ou encore de « paillettes » pouvaient être appliquées « branlantes » c’est-à-dire pendantes, ou encore cousues sur le tissu pour ne montrer qu’une seule face5. Les brodeurs et les orfèvres étaient ainsi susceptibles de travailler ensemble à la confection de ces vêtements luxueux. Sous le principat de Philippe le Bon, les matériaux précieux étaient fournis soit par l’orfèvre, soit directement par le commanditaire comme nous le verrons plus loin. 6 Voir Pierre Cromer, entrée « garnir », dans Robert Martin et Bernard Combettes (dir.), Dictionnaire (...) 4Le vocabulaire employé dans les documents comptables bourguignons présente un intérêt particulier. Lorsqu’une pièce de tissu décorée d’orfèvrerie est décrite dans un article de comptes, le mot orné n’est en effet jamais employé : les termes utilisés sont plutôt mis, brodé ou encore garni. Si garnir peut effectivement signifier « orner », ce mot comporte toute une série d’autres sens. Il exprime d’abord une idée de protection ou de défense et, au sens figuré, de garantie. Il est particulièrement employé dans le domaine des arts militaires, où cette valeur est liée au fait d’être muni de l’équipement approprié : maintes significations de garnir tournent en effet autour des idées d’approvisionnement ou d’équipement. C’est à partir de ce dernier sens que garnir en arrive à signifier « orner » : dans cette dernière acception, garnir inclut l’action de « doubler » un vêtement, et peut suggérer l’abondance, puisque garni de peut aussi vouloir dire « être plein de », « être pourvu de »6. Le champ sémantique de garnir réunit donc deux idées qui, pour nos esprits modernes, auraient pu paraître antithétiques : la protection et l’ornement, c’est- à-dire en quelque sorte l’utile et l’agréable. Ces deux réseaux de connotations aujourd’hui opposées semblent en effet s’appuyer tous deux sur le sème de l’abondance, l’idée d’être pourvu. Ces pièces d’orfèvrerie étaient donc considérées comme faisant partie intégrante du vêtement, le « remplissant » pour lui permettre de répondre, par le simple fait de le porter, à une fonction particulière d’ostentation au service du paraître et de la distinction sociale. Des uniformes précieux pour un entourage prestigieux 7 Philippe le Bon assiège la ville de Calais en 1436 dans le but de la reprendre à ses anciens alliés (...) 8 Sophie Jolivet, Pour soi vêtir honnêtement…, op. cit., p. 643. 9 Michèle Beaulieu et Jeanne Baylé, Le Costume en Bourgogne, Paris, Puf, 1956, p. 56-57. 10 Sophie Jolivet, Pour soi vêtir honnêtement…, op. cit., p. 115 5Malgré le grand intérêt que portait Philippe le Bon aux parures précieuses, leur coût extrêmement élevé ne lui permettait pas d’en pourvoir tous les membres de sa cour. Parmi eux, les archers de corps ducaux font donc figure de privilégiés. Leur costume fait en effet l’objet d’une attention constante tout au long du principat de Philippe le Bon. Les archers, qui forment la garde rapprochée du prince dans tous ses déplacements et lors des cérémonies, constituent un groupe militaire dont la tenue uniformisée était particulièrement soignée : leurs vêtements d’apparat sont adaptés aux circonstances de chaque événement. La présence d’ornements d’orfèvrerie est la seule composante de leur costume à n’avoir jamais été supprimée, alors même que la diminution des moyens financiers ducaux la fait quasiment disparaître des habits du reste des gens de cour : « alors que la broderie d’orfèvrerie fut, passé le siège de Calais7, en nette perte de vitesse, les archers étaient la seule catégorie de personnel pour lesquels on a continué à réaliser des riches parures d’orfèvrerie, très coûteuses »8. Ces archers se distinguent donc par le port de riches vêtements appelés « paletots ». Ces habits du dessus doivent d’ailleurs leur nom, selon Michèle Beaulieu et Jeanne Baylé9, aux applications d’orfèvrerie dont ils ont été ornés avec constance. Ce vêtement avait un usage aussi bien militaire que d’apparat civil10. 6Le renouvellement des paletots des archers a été très fréquent et semble avoir été motivé par des circonstances particulières : mariages, cérémonies de l’ordre de la Toison d’or, rencontres diplomatiques ou campagnes militaires. Ainsi, la tenue de sa garde personnelle est un élément suffisamment essentiel de l’ostentation ducale pour qu’à l’occasion du Banquet du Faisan Philippe le Bon emprunte à sa femme, Isabelle du Portugal, 11 Soit environ 12,24 kg. 12 Lille, Archives Départementales du Nord (ADN), B 2017, fo 206ro et vo. cinquante marcs d’argent11 en vaisselle que elle lui presta pour de ce estre faites orfaverie et paillettes dont furent bordees certain grant nombre de robes, et icelui seigneur fist faire et donner a pluiseur nobles hommes et autres ses archiers de corps pour les porter le jour d’un banquet qu’il fist en sa ville de Lille ou mois de fevrier 145312. 13 Olivier de La Marche, Mémoires…, éd. cit., vol. II, p. 353 et 379 : « En celle salle, au plus près (...) 14 Cette vaisselle n’était d’ailleurs pas forcément la sienne : il avait dû en emprunter une partie, c (...) 15 Olivier de la Marche, Mémoires…, éd. cit., vol. II, p. 349. Ce banquet est en effet un événement d’envergure pour Philippe le Bon : il y officialise par un serment sa volonté de défendre la chrétienté en Turquie, en réaction à la prise de Constantinople en 1453. Ces festivités sont donc doublement importantes aux yeux du duc, puisqu’elles réactualisent le projet de croisade qu’il a toujours nourri. Le Banquet du Faisan représente alors pour lui l’occasion de mettre en œuvre toutes sortes de moyens afin d’apparaître aux yeux de toute l’Europe comme un grand seigneur mettant son immense richesse au uploads/Finance/ curtea-ducilor-de-burgundia.pdf
Documents similaires







-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 11, 2021
- Catégorie Business / Finance
- Langue French
- Taille du fichier 0.5309MB