B. Warusfel, 2003, p. 1 ASPECTS JURIDIQUES DE LA DÉMATÉRIALISATION DES ÉCHANGES

B. Warusfel, 2003, p. 1 ASPECTS JURIDIQUES DE LA DÉMATÉRIALISATION DES ÉCHANGES DANS LE COMMERCE ÉLECTRONIQUE Bertrand Warusfel Maître de conférences à la faculté de droit de Paris V-René Descartes, Avocat au barreau de Paris (cabinet FWPA) Par la terminologie désormais courante de "commerce électronique", on veut souligner que ce type d'activité commerciale se caractérise par sa modalité technique : ce commerce est électronique parce qu'il utilise des moyens informatisés de traitement de l'information pour mettre en relation vendeurs et acheteurs et pour conclure l'opération commerciale. Mais il ne suffit pas de qualifier les moyens techniques mis en œuvre pour donner à ce nouveau type d'activités économiques sa spécificité, et donc justifier que des normes juridiques spéciales s'y appliquent. Encore faut-il établir que le recours aux outils électroniques modifie d'une certaine manière la nature du commerce ainsi pratiqué. Quelles transformations profondes peuvent ainsi s'opérer dans la relation commerciale lorsque celle-ci s'établit au travers de systèmes numériques appartenant au domaine des "nouvelles technologies de l'information et de la communication" (N.T.I.C.) ? Deux caractéristiques semblent prédominer : primo, la relation se dématérialise (puisque la relation physique peut être remplacée par des échanges de messages numériques) et, secundo, elle s'effectue à distance (puisque de tels échanges peuvent aisément emprunter les réseaux de communication, eux-même numérisés). Certes rien de tout cela n'est vraiment nouveau dans son principe car le commerce à distance existe depuis fort longtemps, notamment pour ce qui concerne les échanges internationaux. Mais la mise en œuvre des moyens numériques en accroît fortement les effets : l'échange peut être à la fois distant et quasi-immédiat (puisque la vitesse de transmission de l'information est quasi-nulle sur les réseaux) tandis que le produit ou la prestation objet de l'échange peut, parfois, être également livré ou exécutée en ligne, et ce sans aucune limitation territoriale ou temporelle. Comme le dit justement le Professeur Jérôme Huet, les trois caractéristiques du commerce électronique sont donc bien : immatérialité, interactivité et internationalité 1. Et la première crée les conditions techniques des deux autres. On s'attachera donc ici principalement aux effet de la dématérialisation qu'induit la numérisation, car elle est susceptible d'agir tant sur l'objet de l'échange que sur les modalités de celui-ci. En se numérisant, le commerce accroît donc la valeur potentielle des différents actifs immatériels qui permettent ou favorisent les échanges (1.) tout en renforçant les besoins de sécurité et de confiance (2.). Les effets juridiques de cette dématérialisation du commerce se font donc sentir tant dans le domaine du droit des biens et de la propriété intellectuelle que dans ceux des obligations ou de la preuve. 1 Jerôme Huet, "La problématique juridique du commerce électronique", Colloque Droit et Commerce, Deauville, 2000, p. 2. Publié in Les Petites Affiches, 6 février 2004, n° 27, p. 17 et s. B. Warusfel, 2003, p. 2 I. Un processus qui accroît la valeur potentielle des actifs immatériels Le premier effet de la dématérialisation est sans doute d'accroître considérablement l'importance – et donc la valeur économique et juridique - des éléments immatériels dans les échanges économiques et sociaux. Ces éléments dématérialisés sont non seulement les "contenus" déjà protégés par la propriété intellectuelle et désormais facilement échangeables et commercialisables sous forme numérique (a), mais aussi toutes les données qui accompagnent ou découlent indirectement des échanges électroniques (b). Et la lutte économique pour le contrôle et l'appropriation de ces nouvelles richesses immatérielles se traduit par des tensions juridiques fortes (c). A) Les contenus numérisés peuvent faire l'objet d'échanges accrus et à coût marginal Si la propriété intellectuelle est indépendante des supports techniques utilisés pour reproduire et exploiter les objets qu'elle protège (créations relevant du droit d'auteur ou droits protégés par la propriété industrielle), ses effets et sa valeur économique peuvent être accrus ou diminués en fonction de l'évolution technologique. S'agissant des effets induit par la numérisation, ils sont indéniablement positifs même si la mise en réseau suscite par ailleurs un essor renouvelé de la contrefaçon 2. Le premier effet de la numérisation des contenus est, en effet, par-delà leur diversité (textes, images, sons, …) de leur donner un substrat technique commun, à savoir des fichiers numériques susceptibles d'être traités par des logiciels, d'être archivés sur les mêmes supports de stockage (disques durs, CD-ROM, …) et transmis sur tous les réseaux de transfert de données. Cette convergence technique ouvre ainsi la voie à la constitution d'un large marché du commerce électronique de ces contenus. Là où dans le passé les chaînes de production et de diffusion des contenus culturels différaient totalement suivant qu'il s'agissait de l'écrit (impression-librairie-bibliothèque, etc), du son, de l'image fixe (photographie "argentique", laboratoires de développement, etc.) ou animée (cinéma, radio, télévision), désormais de simples micro-ordinateurs ( reliés aux réseaux de télécommunication deviennent les outils d'acquisition et d'échanges de tous ces contenus à la fois. Et le passage progressif vers les communications dites "large bande" (du type A.D.S.L., par exemple) va accélérer ce processus qui se traduire logiquement par un élargissement de la clientèle pouvant consommer de tels objets intellectuels. Mais les effets de la numérisation ne sont pas seulement quantitatifs, ils sont également économiques et qualitatifs. Économiquement, il est largement démontré qu'elle réduit tout à la fois les coûts de reproduction (en permettant des copies à l'identique effectuées automatiquement sur des supports bon marché) et les coûts de distribution (puisque le stockage peut être effectué sur des supports peu encombrants ou la diffusion se faire 2 Cf. B. Warusfel, "Internet : nouvelles problématiques face à la contrefaçon", in L'entreprise face à la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle, Actes du colloque de l'IRPI, Litec, 2003, pp. 57-67. Publié in Les Petites Affiches, 6 février 2004, n° 27, p. 17 et s. B. Warusfel, 2003, p. 3 directement en ligne) 3. Il devient donc théoriquement plus facile à un créateur de trouver les moyens économiques de diffuser ses créations et de les exploiter commercialement en les proposant à des coûts faibles (propres du coût marginal), ce qui devrait encore accroître son public potentiel (voire, peut-être atteindre des niveaux susceptibles de dissuader économiquement les différentes formes de contrefaçon). Qualitativement, la numérisation des contenus permet aussi de permettre leur traitement ultérieur par des logiciels qui pourront apporter à leurs usagers des bénéfices supplémentaires (comme par exemple, la possibilité d'apporter des retouches à une image ou la recherche automatique de mots dans un texte, ou encore la possibilité technique de partager en ligne l'accès de l'objet numérique concerné – par exemple sur un Intranet d'entreprise). Dès lors, si la numérisation et les facilités techniques qui y sont associées peuvent parfois fragiliser le commerce traditionnel des droits de propriété intellectuelle (c'est par exemple, le cas actuellement dans le domaine musical avec l'essor de la contrefaçon de musique en ligne, notamment par le biais de logiciels dits "peer-to-peer"), on peut estimer que la dématérialisation devrait à terme favoriser le développement d'un véritable commerce en ligne des contenus protégés. Ceux-ci une fois numérisés possèdent, en effet, la caractéristique de pouvoir être accessibles et téléchargeables en temps réel, alors que le commerce électronique des biens matériels restera toujours tributaire des contraintes logistiques et des délais de livraison physique. D'ores et déjà, on voit apparaître sur le marché des modes de commercialisation innovants des contenus numériques, qu'il s'agisse – pour prendre des exemples extrêmes – de modèle reposant sur la gratuité et la rémunération indirecte, comme pour les sites Web incorporant des bandeaux publicitaires, ou la diffusion de logiciels Open Source (dont le développement est assuré par la communauté des utilisateurs ou la commercialisation de services associés 4) ou, au contraire, de systèmes utilisant les technologiques numériques de sécurité (ce que l'on appelle actuellement les systèmes de "Digital rights management" 5) pour assurer une rémunération à l'acte (de type "pay per view"). B) Les autres données valorisables dans le commerce électronique Mais le commerce électronique ne se limite pas au seul commerce des créations numériques protégées par le droit de la propriété intellectuelle. La vente en ligne de produits matériels (nouvelle forme de la traditionnelle "vente par correspondance") tout comme la réservation ou la consommation de services (réservations, voyages, spectacles, annonces, …) constituent également des secteurs importants (et même aujourd'hui dominants) du commerce électronique. Cela ne veut pourtant pas dire que ces activités ne sont pas concernés par l'accroissement de la valeur des actifs immatériels. 3 V.. notamment, C. Shapiro & H. R. Varian, Économie de l'information – Guide stratégique de l'économie des réseaux, De Boeck Université, Bruxelles, 1999 (pour la traduction en français), p. 95. 4 Sur les aspects juridiques des licences Open Source, cf. M. Clément-Fontaine, La licence publique générale GNU, Mémoire DEA, Université de Montpellier 1, 1999. 5 V.Cf. notamment le document de synthèse rédigé par la Commission des communautés européennes, Digital Rights - Background, Systems, Assessment, SEC (2002) 197, 14 février 2002. Publié in Les Petites Affiches, 6 février 2004, n° 27, p. 17 et s. B. Warusfel, 2003, p. 4 En effet, toute activité d'échange électronique met en œuvre ou produit des données ou des objets numériques susceptibles de représenter une valeur marchande directe ou uploads/Finance/ dematerialisationechanges-warusfel03.pdf

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  • Publié le Dec 01, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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