Colloque « les mots du développement » Le développement « humain » : un mot lou

Colloque « les mots du développement » Le développement « humain » : un mot lourd de sens éthique et politique Michel Vernières (CES et GEMDEV) (version du 8/10/ 2008) Depuis 1990 l’expression « développement humain » apparaît étroitement liée au travail du PNUD, présenté dans son rapport annuel sur « Le développement humain dans le Monde » et dans une série de rapports régionaux ou par pays. Le succès médiatique de cette publication a été grand. Rapidement elle est apparue comme concurrente du rapport de la Banque Mondiale « Le développement dans le monde », rédigé depuis 1978 et plus étroitement centré sur une approche strictement économique du développement. D’ailleurs, l’existence de ce travail du PNUD a conduit la Banque à élargir progressivement, dans son propre rapport annuel, son approche des questions de développement comme le montrent aussi bien les sujets abordés dans les années quatre-vingt dix que les données fournies dans son annexe statistique. Cette approche différente du développement (I), fortement inspirée par A.Sen, renoue avec un courant plus ancien de l’analyse du développement que l’on peut qualifier d’humaniste. Ce courant a été particulièrement vigoureux en France1 dans l’après seconde guerre mondiale. Il est représenté, sous des formes diverses mais proches, influencées par le personnalisme d’Emmanuel Mounier, par les revues Economie et humanisme et Esprit et des économistes français tels H. Bartoli ou F. Perroux. Une telle redécouverte de cette vision élargie du développement n’est pas sans implications quant à l’analyse actuelle des processus de développement et des politiques de développement (II). Tout particulièrement, l’approche en termes de développement « humain » invite à accorder une place décisive dans les processus et politiques de développement aux systèmes d’éducation et de santé. Plus encore, en mettant l’accent sur l’Homme dans l’analyse des processus de développement, elle invite à remettre en cause les politiques de développement encouragées par les Institutions de Breton Woods dans le dernier quart du XXème siècle. I) Une éthique du développement 1) La conception de départ du PNUD renoue avec le courant humaniste . L’approche en termes de développement humain n’est pas née avec les rapports du PNUD, même si, ces dernières années, ils lui ont donné un large écho dans l’opinion internationale. En fait, il renouait avec un courant humaniste très présent dans l’analyse du développement au milieu du XX ème siècle, tout particulièrement en France. 1 Mais des auteurs tels Hirshman et Myrdal ne sauraient être oubliés. 1 Une approche « révolutionnaire » Selon Mahbub ul Haq2, concepteur de ce rapport et cheville ouvrière, avant son décès en 1998, des premiers rapports du PNUD, ceux-ci ont été réalisés pour lutter contre l’absence des gens dans la planification du développement et la nécessité de prendre en compte la dimension humaine dans les politiques de développement, car l’homme est tout à la fois le moyen et la fin de ce processus. L’accent mis antérieurement sur la croissance du PNB, le niveau de ce dernier étant l’indicateur de classification des pays dans le rapport sur le développement dans le Monde de la Banque, conduisait à oublier le rôle clé du capital humain. Pour les promoteurs, au sein du PNUD, de cette approche du développement humain, il s’agit d’une perspective entièrement nouvelle, « d’un chemin révolutionnaire »3 « d’une nouvelle vision du progrès humain » ouverts par le recours à ce paradigme. Les termes utilisés rejoignent très nettement ceux employés, au milieu du XX ème siècle, par le courant de pensée personnaliste. Diffusé par la revue Esprit, ce dernier a fortement influencé l’approche du développement d’un bon nombre d’économistes français4, proches par ailleurs d’auteurs étrangers comme Hirschman et Myrdal. Ainsi, dès novembre 1932, A. Ulmann, le premier secrétaire de rédaction d'Esprit, écrit que l'économiste doit "dégager certains principes humains à partir des quels il aura tout loisir de construire techniquement des structures économiques qui les traduiront"5. Dès le départ, Esprit ne cesse de mettre l'accent sur le caractère "révolutionnaire" du personnalisme qui prétend fonder notre régime économique et social sur la personne humaine. En décembre 1935, la revue publie un numéro spécial consacré à la colonisation. Il y est affirmé la nécessité d'un changement progressif, mais radical afin de mettre en valeur les richesses coloniales par et pour les indigènes. Le recours à ces deux prépositions, pour caractériser le développement souhaité des pays colonisés, fait écho à la définition lapidaire du développement humain proposée par le PNUD comme étant celui de la population, par la population et pour la population. Pour M.U. Haq, l’objectif du développement humain est d’accroître les possibilités de choix des personnes dans tous les domaines économiques, sociaux, culturels et politiques. Il s’agit d’une approche révolutionnaire car elle conduit à remettre en cause les structures existantes du pouvoir. A partir du moment où les personnes sont mises en premier, l’essentiel est la formation des capacités de chacun. De même, au lendemain de la guerre (mars 1946) un article de Jean Lacroix dans Esprit souligne que la démocratie, l'avènement des masses, implique la reconnaissance de leur capacité et toujours plus de participation. Le concepteur du rapport du PNUD considère que l’égalité de l’accès de chacun à la satisfaction des besoins humains de base suppose l’existence de « filets de sécurité ». Cette position rejoint celle exprimée par L.J. Lebret6, fondateur de la revue Economie et Humanisme, qui met en avant la notion de besoins primaires ou essentiels. Leur satisfaction devrait permettre d'assurer un développement conçu comme le passage d'une phase moins humaine à une phase plus humaine. Ainsi chacun pourrait accéder à un niveau de vie conforme à sa dignité d'être humain. 2 Cf. Mahbub Ul Haq, Reflexions on human development, Oxford University Press, 1995 3 M. U. Haq. op.cit. P. 11. 4 Cf.Bartoli H., L'économie dans la revue Esprit. De la révolution personnaliste à un réformisme dans le fil de l'histoire (1932-2007), Presses universitaires de Rennes, 2007, ouvrage au quel nous empruntons les références aux articles d’Esprit et plus largement du courant personnaliste. 5 ? Esprit 1932 P. 240. 6 L.J. Lebret et J.M Gatheron, Principes et perspectives d'une économie humaine, Paris Editions Economie et Humanisme,1942. 2 L’économique inséparable de l’éthique Le libre marché apparaît comme un « mythe, défavorable aux pauvres »7. L’économie ne saurait être séparée des autres aspects de la vie sociale. Il en est de même pour François Perroux, dont l’œuvre est indissociable de ses options philosophiques et éthiques d'humaniste chrétien, pour qui l’économie ne saurait se réduire à la seule analyse des rapports marchands entre agents homogènes. Les rapports de pouvoir et la solidarité relèvent de l'économique8. Ses publications consacrées au développement mettent l'accent sur l'homme comme finalité économique. Il s'agit de développer tout l'homme et tous les hommes dans leur diversité, de couvrir les coûts de l'homme.9 Dans la même ligne de pensée, pour Esprit, ce qui donne sens à l'économie ce n'est ni l'intérêt ni le besoin à l'état brut, c'est l'affrontement de projets humains. Le personnalisme c'est la recherche des conditions de l'épanouissement de la personne et des personnes dans leur développement réciproque10. En 1949, Emmanuel Mounier11 indiquait que les problèmes économiques ne pouvaient être résolus que dans une perspective politique articulée à l'éthique, position très présente dans l'oeuvre d'A. Sen., inspirateur de l’approche du PNUD. Selon cette dernière, la croissance du revenu n’est pas automatiquement liée à celle des possibilités de choix individuels. C’est donc la qualité de cette croissance qui est essentielle afin que les droits de chacun soient respectés, que les inégalités, tout particulièrement entre hommes et femmes et entre groupes ethniques, soient réduites, que les générations futures jouissent, pour le moins, d’un bien-être identique à celui des générations actuelles. Une nouvelle coopération internationale Dans une deuxième partie de son ouvrage, M. U. Haq plaide pour un nouveau dialogue international afin d’établir un nouvel ordre mondial humain fondé sur ce nouveau concept de développement. Ceci impliquerait, tout à la fois, une nouvelle phase de désarmement et de nouveaux cadres de coopération pour le développement et la gouvernance globale. Pour sa part, K.G. Myrdal12, qui se définit d'ailleurs lui même comme un héritier des penseurs du siècle des lumières, de leur idéal de justice sociale, a également été un avocat infatigable d'un nouvel ordre international fondé sur la coopération entre les nations. Ainsi, renouant avec le courant humaniste, l’ouvrage de M.U. Haq. est particulièrement intéressant car il souligne fortement la dimension humaniste et volontariste de l’entreprise que fut la conception du Rapport sur le développement humain. Ces objectifs et positions de départ se retrouvent dans la succession des rapports. Certes, ceux qui suivent le premier (1990) s’attachent à développer, année après année, des thèmes plus précis et comprennent inévitablement des répétitions. Mais, comme il s’agit de faire passer un message dans l’opinion, la répétition est, sans doute, un acte pédagogique nécessaire ! 7 M. U Haq. op.cit. Chap 12. 8cf. Economie et société : contrainte-échange-don, PUF 1960 9cf. L'économie du XXème siècle, PUF 1961, L'économie des jeunes nations PUF 1962 10 Jean Lacroix in Esprit 1981. 11 Le personnalisme, PUF 1949. 12 Dans ses études uploads/Finance/ developpement-humain-vernieres.pdf

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  • Publié le Mai 14, 2022
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