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http://www.contretemps.eu À lire : Introduction à "La réification. Histoire et actualité d’un concept critique" redaction À l’occasion de la récente parution de La Réification. Histoire et actualité d’un concept critique, nous en publions ici l’introduction avec l’aimable autorisation des auteurs (Vincent Chanson, Alexis Cukier et Frédéric Monferrand) et de l’éditeur, La Dispute. Cet ouvrage collectif interroge l’histoire et l’actualité du concept de réification dans la perspective d’une critique du capitalisme contemporain. Thématisée par Georg Lukács dans son recueil publié en 1923 Histoire et conscience de classe, et notamment dans l’essai « La réification et la conscience du prolétariat », la réification désigne d’une manière générale « le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose » 1. Cette image d’un devenir ou d’un apparaître « chose » de relations humaines ne doit cependant pas être comprise en un sens littéral : elle renvoie à l’analyse de la réduction des individus et des rapports sociaux à de simples fonctions de la reproduction sociale et de l’exploitation dans les sociétés capitalistes, ainsi qu’à la domination qu’y exercent la marchandise, la division du travail, le droit formel, l’État administré et bureaucratique, sur l’activité sociale et les formes de vie. Le concept de réification – qu’on l’interprète en termes de chosification, d’instrumentalisation ou de rationalisation – peut dès lors servir à critiquer les formes contemporaines de la marchandisation et de la déshumanisation des rapports sociaux et de la fétichisation du rapport aux produits du travail, de la pensée et de la culture. Le concept de réification désigne donc moins un phénomène en particulier qu’un ensemble de tendances et de processus socio-historiques caractéristiques du capitalisme. En associant la critique marxienne de l’aliénation, de l’exploitation, du fétichisme et de l’idéologie, et la thématique wébérienne de la rationalisation formelle dans les sociétés modernes, il permet d’appréhender le système capitaliste dans toutes ses manifestations. C’est à ce titre qu’il nous paraît crucial dans la conjoncture actuelle, pour dépasser un certain anticapitalisme « traditionnel » en élargissant la portée critique de la théorie au-delà de la simple (quoi que toujours nécessaire) dénonciation des inégalités sociales, en vue d’une critique globale du capitalisme. Force est cependant de constater que, malgré un relatif retour « sur le devant de la scène », notamment depuis l’ouvrage d’Axel Honneth La réification 2 – dans lequel l’ambition totalisante et anticapitaliste qui portait l’élaboration lukácsienne semble néanmoins passablement émoussée – cette notion, qui appartient au marxisme dit « hétérodoxe », a toujours occupé une position marginale dans le champ des théories critiques. Dans cet ouvrage, nous voudrions restituer à la catégorie de réification toute sa centralité et en proposer un traitement plus riche et plus systématique, à la hauteur des enjeux de l’époque. http://www.contretemps.eu À lire : Introduction à "La réification. Histoire et actualité d’un concept critique" redaction Penser la réification aujourd’hui : conjoncture théorique et politique La crise en cours du capitalisme suscite un vif regain d’intérêt académique et militant pour les thématiques critiques qui ont pu être élaborées dans le sillage du marxisme. 3 Pour n’évoquer que les ouvrages de philosophie en langue française parus ces dernières années, outre le travail de traduction de l’œuvre des auteurs classiques qui se poursuit actuellement, 4 on peut ainsi souligner la publication récente d’une interprétation globale de l’œuvre de Marx, 5 d’ouvrages sur le rapport de la philosophie française aux marxismes, 6 et d’une nouvelle synthèse sur le développement et les perspectives de l’École de Francfort. 7 Dans ces travaux comme dans de nombreux autres, la notion de réification est souvent évoquée, mais rarement questionnée pour elle-même, dans les multiples traitements qu’elle a reçue au cours de ses réélaborations au XXe siècle et dans les savoirs et les expériences qu’elle a pu alimenter. Interroger ce concept, c’est donc non seulement ouvrir une porte d’entrée originale sur l’œuvre d’auteurs qui redeviennent importants pour la théorie sociale (Karl Marx, Max Weber, Georg Lukács, Theodor Adorno, Jean-Paul Sartre, Henri Lefebvre), mais c’est aussi contribuer à la discussion sur les objets, les moyens et les fins de la critique du capitalisme. Dans le champ des études marxistes francophones, 8 c’est le concept d’aliénation qui a fait l’objet de l’attention la plus soutenue et de tentatives de réactualisation les plus riches ces dernières années. Développé de façon expérimentale par Marx dans une série de brouillons qui nous est parvenue sous le titre de Manuscrits économico-politiques de 1844, 9 le concept d’aliénation désigne la manière dont un sujet engagé dans un régime d’activité déterminé (par exemple : le travail) participe à la production et à la reproduction de sa propre domination par un système objectif (par exemple : le capital) sur lequel il n’a pas prise. Subjectivement, l’aliénation renvoie donc à la manière dont les rapports sociaux capitalistes sont vécus par un individu, que ce soit sous la forme du rétrécissement de son horizon existentiel, de sa participation plus ou moins volontaire à certaines pratiques qu’il réprouve moralement, ou plus radicalement, de la non satisfaction de certains besoins sociaux et vitaux. 10 Objectivement, la critique de l’aliénation aborde les structures du monde social (par exemple, le salariat ou l’accumulation financière du capital) comme des « puissances détachées », animées de leur vie propre, et en fin de compte, étrangères aux fins de l’existence humaine. Force est cependant de constater que la manière dont ces puissances autonomisées tendent à faire système dans le capitalisme n’a pas fait l’objet d’une analyse aussi riche que celle auxquelles ont donné lieu les formes subjectives de l’aliénation. 11 Or, dans la mesure où il prétend décrire la relation entre « la marchandise comme forme d’objectivité, d’une part, et [le] comportement du sujet qui lui est coordonné, d’autre part », 12 le concept de réification nous semble particulièrement apte à mettre en perspective les expériences négatives qui caractérisent l’aliénation dans une théorie plus englobante du capitalisme envisagé comme totalité sociale. Cette entreprise de questionnement et de réactualisation du concept de réification ne peut bien entendu ignorer les critiques 13 qui ont été adressées à ce concept depuis son élaboration lukácsienne. À commencer par celles de Lukács lui-même, qui, dans Le jeune Hegel, puis dans la Postface de 1967 à Histoire et conscience de classe, observe que la réification n’y est pas assez distinguée de l’objectivation en général, d’un « devenir-objet du sujet » trop indéterminé. 14 Le concept de réification ne permettrait pas de penser les formes positives et émancipatrices de l’objectivation (et des formes d’organisation), et de saisir assez précisément les phénomènes sociaux propres au capitalisme qu’il cherche à critiquer. On peut également le critiquer en ce qu’il défendrait une conception trop « dure » et « fixiste » des objectivités sociales propres au capitalisme (par exemple la marchandise, les institutions politiques, le marché), et attribuerait à la société capitaliste, contrairement aux concepts d’exploitation et d’aliénation, une trop grande autonomie. Dans cette perspective, des auteurs comme Jean-Marie Vincent, Tran Hai Hac, et Antoine Artous en France ou Moishe Postone aux États-Unis, 15 assumant de manière critique un héritage lukácsien, ont insisté sur la nécessité de distinguer fermement entre la théorie marxienne du fétichisme et celle de http://www.contretemps.eu À lire : Introduction à "La réification. Histoire et actualité d’un concept critique" redaction la réification, solidaire selon eux d’un subjectivisme étranger à la rigueur des articulations conceptuelles de la critique de l’économie politique. Enfin, et c’est sans doute la critique la plus importante historiquement, on a pu reprocher – dans le prolongement d’une remarque d’Althusser dans « Marxisme et humanisme » critiquant la catégorie de « chose » 16 – au concept de réification d’être lui-même un symptôme de ce qu’il cherche à dénoncer : c’est-à-dire de voir partout dans les rapports sociaux des choses là où il n’existerait en réalité dans la société que des pratiques, exploitées ou formellement et réellement subsumées par le capitalisme. Cette introduction n’est pas le lieu d’approfondir ces objections, ni d’y répondre, d’un point de vue lukácsien ou par son dépassement. Notons seulement que le concept de réification est en premier lieu un concept critique. 17 D’un point de vue politique, d’abord, il doit être replacé dans la perspective d’un agir révolutionnaire, d’une lutte de classe devant mettre fin à la réification subie par tous les individus dans les sociétés capitalistes, mais en premier lieu par les travailleurs. 18 D’un point de vue théorique, ensuite, dans la mesure où il vise notamment « la dissolution des formes fétichistes et réifiées (i.e. des catégories abstraites et de la science) en processus qui se déroulent entre hommes et s’objectivent en relations interhumaines concrètes », 19 il s’inscrit dans le prolongement de la tentative marxienne d’une articulation entre critique de l’économie politique, théorie sociale et critique de l’idéologie. C’est du moins ce couplage propre à la thématique lukácsienne de la réification entre posture théorique exigeante et engagement politique résolu que nous avons voulu, à notre mesure, contribuer à revivifier dans cet ouvrage. Il s’agit d’essayer, comme l’écrit Lukács, de faire remonter l’analyse des conséquences économiques, sociales, culturelles et anthropologiques désastreuses du capitalisme uploads/Finance/ introduction-a-la-reification-histoire-et-actualite-du-concept-critique 1 .pdf

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  • Publié le Mai 05, 2022
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