Les fondamentaux de l’action sociale Page 1 sur 6 Interview – Pierre Méhaigneri
Les fondamentaux de l’action sociale Page 1 sur 6 Interview – Pierre Méhaignerie Mise à jour : mai 2018 Hélène DELMOTTE Bonjour à tous. Nous avons le grand plaisir aujourd’hui d'accueillir Pierre Méhaignerie, ancien Ministre, ancien Président de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale, Maire de Vitré, Président de Vitré Communauté et Vice-Président de Villes de France. Monsieur le Ministre, bonjour. Pierre MÉHAIGNERIE Bonjour. Hélène DELMOTTE Merci beaucoup d'avoir répondu à notre invitation pour parler des politiques sociales en France, de leur évolution. En première question, un sujet qui reste finalement assez peu abordé qui est la place de l'Europe dans les politiques sociales françaises et dans l'évolution de ces politiques sociales françaises. Quel est votre avis ? Est-ce que ces politiques européennes impactent notre système social ou est-ce que nous devrions davantage nous inspirer peut-être de ce qui se passe dans d'autres pays ? Pierre MÉHAIGNERIE Oui. Nous inspirer beaucoup plus, en particulier des pays scandinaves. Pourquoi ? Parce qu'ils ont réussi à maintenir un État-providence développé, mais avec des disciplines que nous n'avons pas nécessairement appliquées. Je donne deux exemples. Le nombre d'heures travaillées en France est en moyenne de 610 ou 620 heures par habitant. C'est le vrai critère. Les pays scandinaves sont à 720 en moyenne. La moyenne européenne est à 690. Le deuxième point, nous avons dépensé – et tant mieux – 6 points de PIB supplémentaires pour les dépenses sociales. La moyenne européenne est de 2,4 points. Or je pars du principe aujourd'hui qu'en France, l'inégalité majeure est le chômage. Il conduit à la pauvreté et à la perte de confiance en soi. Tous les voisins européens nous disent : « Votre problème est que dans un monde ouvert, vous n'avez pas su vous adapter suffisamment vite ». Nous sommes face à trois enjeux comme tous nos voisins : la compétitivité, le niveau du vieillissement qui va peser sur les dépenses de santé et la mutation technologique. Sur ces trois points, la dépense publique sociale est forte en France. Elle est forte globalement, mais peut porter atteinte à la compétitivité. Je prends un cas particulier, celui du pays de Vitré. Une communauté où 40 % des actifs travaillent dans l'industrie. Le taux de chômage est de 4,8 %. Le salaire moyen brut par tête se situe entre le 2ème et 3ème rang en Bretagne. Nous avons appliqué un certain nombre de disciplines, mais la conséquence de cela est que nous avons 10 % de plus de salariés donc, deux salaires dans les familles. Ce qui donne des impôts sur le revenu plus importants et nous avons sur les trois allocations de prestations (le RSA, l'API et l'allocation handicapé adulte) exactement moitié moins de dépenses. Idem sur l'Assedic. Ce qui dégage des moyens pour financer une dépense sociale. Mais attention à ne pas commencer par la dépense sociale, sans avoir la compétitivité et la richesse des emplois auparavant. C'est la raison pour laquelle nos voisins européens nous le disent parfois. J'ai reçu quand j'étais président de la commission des affaires sociales, trois délégations : une délégation japonaise parlementaire, une délégation de Turquie et une délégation d’ex-Tchécoslovaquie. J'avais envie de parler des dépenses de vieillesse, des Les fondamentaux de l’action sociale Page 2 sur 6 Interview – Pierre Méhaignerie Mise à jour : mai 2018 dépenses de santé. Non. Cela ne les intéressait pas. Ils venaient en France uniquement pour voir comment nous avions engagé les politiques familiales et parce qu'ils voyaient des résultats de cette politique familiale en matière de qualité de vie et en matière de démographie. Je reviens à la question. Oui, on a intérêt à regarder ce que font nos pays européens pour concilier l'exigence d'efficacité et l'exigence de justice, mais l’un ne va pas sans l'autre. Hélène DELMOTTE Très bien. Je vous propose peut-être de revenir à l'histoire des politiques sociales dans notre pays et à ce mouvement de décentralisation. Est-ce que vous étiez favorable à la décentralisation des politiques sociales en France ? Pierre MÉHAIGNERIE Très favorable. Hélène DELMOTTE Pour quelles raisons ? Pierre MÉHAIGNERIE Parce que là aussi je regarde à l'étranger. Je vois que les pays qui réussissent sont ceux qui font confiance à la responsabilité des citoyens. Je dis souvent que la vertu des grands peuples est l'esprit de responsabilité des citoyens. La décentralisation permet de s'adapter à la diversité des situations et de responsabiliser. Xavier Fontanet qui écrit pas mal de romans avait dit ceci dans son expérience d’Essilor : « Donner des responsabilités aux gens et vous les changez. Mettez-les en situation d'assistance, ils se comporteront comme des assistés ». Il y a vraiment un choix de politique lié à la responsabilité des citoyens et l'adaptation des politiques au plus proche des citoyens, donc toujours favorable à la décentralisation dans un pays hélas qui n'est pas girondin et qui reste très centralisé, trop centralisé. Hélène DELMOTTE Le département, chef de file des politiques d'action sociale, c'est quelque chose que vous trouvez pertinent ? Pierre MÉHAIGNERIE Je crois qu'il faut être pragmatique. Globalement, oui. Je pense que nous devrions faire des expériences sur trois ou quatre départements, de décentraliser des politiques sociales au niveau des communautés d'agglomérations, des communautés de communes. Là aussi, parce que je pense que l'on pourrait faire parfois des économies et parfois plus de dépenses dans certains secteurs et surtout plus de politiques de prévention. Mais je sais que tout changement brutal n'entraîne pas nécessairement des progrès. Là aussi, passons par l'expérimentation. Il est tout à fait possible de le permettre à deux ou trois départements qui le demandent ou à des départements où il y a une métropole puisque la métropole prend déjà des responsabilités. Ne devrions-nous pas étendre à l'ensemble d'un département une expérimentation sur la décentralisation des politiques sociales au niveau des communautés de communes ou des communautés ? Les fondamentaux de l’action sociale Page 3 sur 6 Interview – Pierre Méhaignerie Mise à jour : mai 2018 Hélène DELMOTTE Précisément en mars 2000, vous avez déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, une proposition de loi constitutionnelle qui tendait à introduire dans la Constitution un droit à l'expérimentation pour les collectivités locales. Est-ce que vous pouvez nous rappeler dans quel contexte vous avez défendu ce texte et pour quelles raisons ? Déjà à l'époque, vous plaidiez pour l'expérimentation. Pierre MÉHAIGNERIE C'est un choix politique. J'y ai beaucoup travaillé avec Adrien Zeller qui a été Président de la région Alsace, parlementaire actif. Nous pensions tous les deux et avec d'autres, que la réforme est toujours très difficile à engager en France. Les gens ont peur et ne voient pas le côté positif des réformes, mais uniquement le côté négatif. J'estime que l'expérimentation permet de développer des expériences dans les régions et de surmonter les peurs. Quand vous avez fait cette expérience, il est plus facile de vendre des réformes qui sont parfois perçues comme difficiles ou même inacceptables. La deuxième raison est qu'il y a une diversité de situations. Entre la Bretagne et le Languedoc-Roussillon ou l'Ile-de-France, les solutions ne sont pas les mêmes. Je pense que plus on est proche du citoyen, plus on est contrôlé par le citoyen. Le cadre doit être d’état. Le cadre peut être département, mais à l'intérieur de ce cadre, je crois que l'on a intérêt à laisser beaucoup de liberté à ceux qui sont les plus proches des citoyens. Hélène DELMOTTE Si nous reprenons peut-être sur ce sujet de l'expérimentation ou des débats qui ont accompagné le mouvement de la décentralisation, quels sont aujourd'hui les éléments peut- être un peu clivants qui persistent depuis cette époque-là, s’il y en a ? Pierre MÉHAIGNERIE Oui, il y en a. Le premier est probablement les administrations centrales qui ne veulent pas perdre de pouvoir et qui estiment trop souvent qu'elles ont l'intelligence de l'avenir plus que les gens de terrain. Ce que je ne partage pas. Donc là, il y a une difficulté. Je donne un exemple. Nous avions prévu et nous avions demandé en tant que commission des affaires sociales à expérimenter un ORDAM dans deux régions. Hélène DELMOTTE Un ORDAM, un objectif régional de dépenses d'assurance maladie. Pierre MÉHAIGNERIE Voilà. Globalement des dépenses de santé et ne pas laisser l'agence régionale seule décider ou respecter les ordres de l'Assurance Maladie ou du Ministère de la Santé. Je vois la Bretagne, les dépenses de l’ARS, c’est 9,6 milliards. Aujourd'hui, la marge laissée à l'ARS est de 160 millions d'euros. J'estime que nous devrions expérimenter sur une ou deux régions candidates, la possibilité d'avoir une beaucoup plus grande liberté de gestion de l’enveloppe. Ne pas demander plus, car nous avons déjà un niveau de dépenses sociales élevé, mais dire : « Est-ce qu’il n'y a pas des moyens de faire des économies dans certains secteurs pour développer des politiques de prévention ou aller plus loin sur le financement de personnel dans les hôpitaux ou dans les EHPAD ? » Les fondamentaux de l’action sociale Page 4 sur 6 Interview – Pierre Méhaignerie uploads/Finance/ 1-12-les-acteurs-interview-2 1 .pdf
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- Publié le Dec 19, 2021
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