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© 2017 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 1 L’« uberisation » de la logistique : disruption ou continuité ? Le cas de l’Île-de-France The uberization of logistics: disruption or continuity? The case of the Greater Paris region Pierre Vétois1, Nicolas Raimbault2 1 Responsable des partenariats FretLink, pierre.vetois@fretlink.com 2 Department of Urban Development and Mobility, Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (LISER), Luxembourg, nicolas.raimbault@liser.lu RÉSUMÉ. Cet article analyse de manière empirique les conséquences d’une « uberisation » de la logistique, en se concentrant sur le cas francilien. Nous nous appuyons sur une série d’entretiens semi-directifs avec un panel d’acteurs de cette transformation, fondateurs de startups, dirigeants d’entreprises, coursiers, ainsi que sur une base de données que nous avons constituée au sujet de ces acteurs. Nous montrons que la dynamique d’uberisation se concentre sur la partie la plus urbaine des chaînes logistiques, les livraisons, tandis qu’elle n’a qu’un impact limité sur la logistique des grands entrepôts situés en grande couronne. Les conséquences sociales et sociologiques dépassent la simple remise en cause du salariat. Loin de ne bouleverser que le quotidien déjà dégradé des chauffeurs-livreurs, ces derniers étant souvent sous-traitants, c’est au niveau des professions intermédiaires et des dirigeants que des changements majeurs pourraient avoir lieu. Cette dynamique approfondirait la fragmentation sociale et territoriale de la logistique francilienne entre activités uberisées et celles plus traditionnelles. ABSTRACT. This article analyzes, in an empirical way, the consequences of an “uberization” of logistics, based on the case of the Île-de-France region. Our work is based on several in-depth interviews with some of the actors of this transformation, startups founders, firm directors, couriers, and also based on a database which we have developed about said actors. This approach enables us to understand both the current transformations and the actors’ logic which underpin these dynamics. We demonstrate that uberization dynamics are focusing on the most urban part of the logistic chains and the deliveries, while its impact on the part corresponding to the huge suburban distribution centers is very limited. This phenomenon would have social and sociological consequences which impact not only delivery drivers (the latter often being subcontractors) but also intermediary jobs and top managers. This dynamic would increase the territorial and social fragmentation of the logistics system between “ubered” logistics activities and more traditional logistic ones. MOTS-CLÉS. uberisation, logistique, disruption, continuité, Île-de-France, emplois, livraison. KEYWORDS. uberization, logistics, disruption, continuity, île de France region, jobs, deliveries. JEL: O33; R40, Z130. Introduction « Tout le monde commence à craindre de se faire uberiser. C'est l'idée qu'on se réveille soudainement en découvrant que son activité historique a disparu. » (Maurice Lévy, PDG du Groupe Publicis au Financial Times en décembre 2014) Cette crainte peut être résumée par la certitude qu’aujourd’hui un secteur mûr, où les marges sont généreuses et où les acteurs principaux sont solidement établis, peut être renversé du jour au lendemain par une innovation radicale, une « disruption » (Christensen, 2013). Une innovation disruptive est une innovation (technologique, organisationnelle ou servicielle) qui, par son caractère radicalement nouveau, bouleverse un secteur au point de remettre en question les positions de force des entreprises historiquement implantées1. Ce concept est adossé à celui de « destruction créatrice » de Schumpeter 1 Christensen explique que « La disruption change un marché non pas avec un meilleur produit - c'est le rôle de l'innovation pure -, mais en l'ouvrant au plus grand nombre », propos recueillis par Philippe Mabille : « La disruption est une transformation irréversible © 2017 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 2 pour qui l’innovation ne peut venir que d’une première phase de table rase, de destruction, prélude nécessaire à la création (Schumpeter, 1942). L’uberisation fait partie de ces disruptions. C’est un terme nouveau et encore mal stabilisé. Celle-ci consiste principalement en un émiettement du travail devenant « à la demande » et mobilisable rapidement grâce à des outils numériques. Elle contourne le salariat en répondant à des besoins ponctuels par une main d’œuvre ponctuelle. Le travailleur est ainsi mobilisé au coup par coup (Filippova, 2016). Des entreprises issues des nouvelles technologies proposent ainsi d’allouer de façon optimale l’offre à la demande par l’intermédiaire de leur plateforme numérique qui utilise des algorithmes avancés. Pour ces entreprises, il ne s’agit pas d’employer des salariés offrant ces services, mais des indépendants qui louent leurs services quand ils le souhaitent. A la clef, plus de souplesse pour eux, mais aussi moins de protection sociale, mutations que le législateur peine à prendre en compte (Soufron, 2015). D’autres inconvénients en découlent pour ces travailleurs : revenus incertains et fortement fluctuants, dépendance économique vis-à-vis de l’entreprise plateforme qui amène à un salariat déguisé, émiettement du travail qui peut aboutir à une perte de sens de celui-ci2. Après l’hôtellerie, les taxis, viendrait le temps de la logistique à laquelle s’intéressent de plus en plus d’entreprises dites, abusivement, de l’« économie collaborative » et de nouvelles startups du numérique. La logistique, vaste domaine qui regroupe de très nombreuses activités, est-elle sur le point d’être « uberisée » ? La logistique constitue une fonction essentielle pour la bonne marche des métropoles modernes. Elle les approvisionne en matières premières et biens de consommation, leur permet d’exporter leurs productions, voire leurs déchets. Elle participe au phénomène de métropolisation (Dablanc et Frémont, 2015 ; Hesse, 2008) et se compose de nombreux sous-secteurs (entreposage, transport express, messagerie, commission de transport) qui ont chacun leurs spécificités. A cette diversité d’activités, répond aussi une diversité d’emplois, principalement ouvriers. La logistique façonne, de plus, le paysage urbain contemporain par ses entrepôts et ses importants flux routiers. Dans ce contexte, notre objectif est double. Tout d’abord, d’un point de vue empirique, nous souhaitons saisir le poids de l’uberisation en cours des activités logistiques en Île-de-France, et cela tant d’un point de vue social qu’économique et territorial. Or, la logistique francilienne est déjà le théâtre d’une concurrence acharnée entre les entreprises de ce secteur. C’est un secteur où le travail est souvent précaire et où les conditions de travail peuvent être difficiles. La logistique francilienne est fortement marquée par la sous-traitance et même le travail non déclaré. Une fois établi un constat objectif du secteur, nous traiterons de l’impact que cette potentielle uberisation aurait sur les emplois et les organisations logistiques ainsi que ses impacts territoriaux. Ensuite, ces premiers éléments dessinent un questionnement plus théorique. Le cas de la logistique permet d’interroger la profondeur de la « disruption » engendrée par le processus d’uberisation. Alors que les thuriféraires de l’uberisation voient en elle une rupture radicale, que peut-elle signifier dans un secteur marqué par la sous-traitance généralisée engendrant des emplois aux conditions de travail d'ores et déjà difficiles et dégradées. En ce sens, n’y aurait-t-il pas tout autant continuité que disruption dans ce contexte-là ? du capitalisme », La Tribune, 10 mars 2014 [URL : http://www.latribune.fr/blogs/inside-davos/20140310trib000819144/-la- disruption-est-une-transformation-irreversible-du-capitalisme-clayton-christensen.html ; consulté le 15/09/2016] 2 Sur ce point, se référer aux travaux désormais classiques de G. Friedman (1956). © 2017 ISTE OpenScience – Published by ISTE Ltd. London, UK – openscience.fr Page | 3 Notre démarche sera avant tout exploratoire et repose sur une actualité sans cesse changeante3. Il s’agira de mettre en évidence les principales problématiques en jeu derrière une éventuelle uberisation de la logistique francilienne et les tendances qu’il est déjà possible de distinguer. Plus précisément, nous nous appuyons sur une série d’entretiens semi-directifs avec un panel d’acteurs de cette transformation : fondateurs de startups, dirigeants d’entreprises, coursiers (tableau 2). Cette méthode permet à la fois de comprendre les mutations en cours et les logiques d’acteurs qui portent ces dynamiques. Parallèlement, nous avons constitué une base de données sur ces startups et leurs fondateurs afin d’en saisir tant les traits généraux que les spécificités (tableau 3). Dans ce but, nous présenterons dans une première partie les grands traits de la logistique francilienne. Nous exposerons ensuite dans une seconde partie les prémisses du processus d’uberisation de la logistique en Île-de-France. Les impacts socio-économiques feront l’objet d’une troisième partie. La logistique francilienne : croissance et éclatement L’Ile-de-France est le principal pôle logistique français, en raison de son poids démographique et économique (Dablanc et Frémont, 2015). Avec 375 000 emplois, ce qui représenterait 7 % des emplois salariés franciliens (Insee, 2015), la logistique en Ile-de-France est ainsi un secteur majeur de l’emploi francilien. Ce secteur n’est toutefois pas homogène. Deux grands types d’activités logistiques se distinguent, reposant sur des géographies, des organisations économiques et des emplois bien distincts. Entrepôts périurbains et livraisons urbaines Une distinction assez forte apparait entre la grande logistique périurbaine et la logistique des livraisons urbaines. La première traite les marchandises au sein de grands entrepôts, dits aussi plateformes logistiques, et privilégie les transports par poids lourds faisant des liaisons interrégionales voire internationales. La seconde se charge des derniers maillons de la chaîne logistique (ou des premiers) jusqu’au client final, souvent en milieu urbain et qui peut être un particulier à son domicile (Durand et al, 2010). Ce partage géographique du travail logistique uploads/Finance/ iste-issn17v3n3.pdf

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  • Publié le Jui 23, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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