L’EFFICIENCE ÉCONOMIQUE DU DROIT DES SÛRETÉS RÉELLES1 Par Philippe DUPICHOT, Pr
L’EFFICIENCE ÉCONOMIQUE DU DROIT DES SÛRETÉS RÉELLES1 Par Philippe DUPICHOT, Professeur à l’Université Paris XII (Val de Marne) 1. Ambitions législatives d’efficience économique - L’efficience économique du droit des sûretés personnelles ayant déjà été abordée, c’est celle du droit des sûretés réelles qui sera au cœur de cette seconde conférence. La distinction fondamentale des sûretés personnelles et réelles a déterminé le plan même du nouveau Livre IV du Code civil consacré aux sûretés : l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 20062 relative aux sûretés traite en effet « Des sûretés personnelles » et « Des sûretés réelles » dans deux Titres distincts. Et ce sont sans nul doute ces dernières qui ont le plus profondément évolué… La réforme du droit des sûretés réelles puise ses racines dans d’impérieuses considérations d’efficacité économique : la modernisation et l'actualisation de textes désuets a certes constitué une priorité ; et certaines innovations n’ont été reçues que dans le but de développer le crédit et sauvegarder la compétitivité juridique du marché français3. 1 Cet article est issu de conférences dispensées dans le cadre des Chaires de droit continental créées par la Fondation pour le droit continental au sein de l’Ecole de droit de Keio (Tokyo) et de l’Université Diego Portales (Santiago du Chili) et dont la forme orale a été conservée. 2 Y. Picod et P. Crocq (sous la dir. de), « Le droit des sûretés à l’épreuve des réformes », Dr. et procédures, 2006 ; S. Piedelièvre, « Premier aperçu sur la réforme du droit des sûretés par l’ordonnance du 23 mars 2006 », Defrénois, 2006, p. 791 ; Ph. Simler, « La réforme du droit des sûretés. Un livre IV nouveau du Code civil », JCP, 2006, I, 124 ; L. Aynès et Ph. Dupichot, « Janvier 2006 - octobre 2007 : les grandes lignes d’un nouveau paysage », Dr. et patrimoine, janv. 2008, p 82 et s. 3 Voir très nettement en ce sens le Rapport accompagnant l’Avant-projet présenté le 31 mars 2005 par la Commission présidée par le Professeur Grimaldi ; adde, le Rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, JO 24 mars 2006 : « Moderniser les sûretés afin de les rendre lisibles et efficaces tant pour les acteurs économiques que pour les citoyens tout en préservant l’équilibre des intérêts en présence, tels sont les objectifs de la présente ordonnance ». 2 C’est également la volonté de doter le droit français d’un « outil » souple et efficace, miroir du trust de common law, qui a motivé la récente consécration de la fiducie-sûreté en droit français. Celle-ci est intervenue à petits pas : reconnue d’abord à demi-mot par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, la fiducie vit son domaine considérablement élargi par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie avant que l’ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie ne fasse véritablement accéder la fiducie-sûreté à la pleine lumière4. Nouveau Graal, la quête d’une plus grande efficience économique de la règle de droit des sûretés réelles est poursuivie sans détour par le législateur. Ce qui justifie une mesure de celle-ci à l’aune des critères précédemment dégagés : une règle est économiquement efficiente lorsqu’elle garantit au créancier l’obtention effective de son dû, à moindre coût et délai, sans occasionner un gaspillage inutile des richesses du constituant de la sûreté5. Mais l’efficience économique ne saurait être l’unique moteur de l’actuelle révolution tranquille du droit privé français. Fidèle aux valeurs d’équilibre de la tradition civiliste, le droit français privilégie les solutions respectueuses des intérêts du créancier et du constituant de la sûreté, conciliant à cet effet des considérations à la fois économiques et sociales qui ne sont pas toujours en conflit. 2. Moindre gravité de la sûreté réelle par rapport à la sûreté personnelle - Or, de ce point de vue, la gravité des sûretés personnelles et celle des sûretés réelles sont sans commune mesure. Le garant engage son patrimoine - ou son bien dans le cadre de feu le "cautionnement réel" - pour la dette d’autrui, et ce avec une intensité variable : d’où 4 V. not. Ph. Dupichot, « La fiducie-sûreté en pleine lumière, A propos de l'ordonnance du 30 janvier 2009 », JCP éd. G 2009, I, 132. 5 Comp. les traits de la sûreté idéale dégagés par L. Aynès et P. Crocq, Les sûretés, la publicité foncière, éd. Defrénois, 4ème éd., 2009, n° 7 et 8. 3 le caractère grave et profondément anormal de la sûreté personnelle qui endette pour autrui, souvent sans contrepartie. Il n’en va pas de même de la sûreté réelle qui consiste classiquement en « l’affectation d’un bien au paiement préférentiel du créancier » 6 ; lorsqu’une sûreté réelle est consentie par le débiteur en garantie de sa propre dette, elle ne crée aucun risque d’endettement : tout au plus, rend-elle possible cet endettement en créant les conditions de la confiance du créancier ; mais la perte du bien grevé à l’échéance a pour contrepartie le crédit obtenu que la sûreté réelle se borne à éteindre7. Cette moindre gravité de la sûreté réelle a pour conséquence que les considérations sociales de protection du donneur de sûreté sont notablement atténuées en droit des sûretés réelles ; il importera surtout de veiller à ce que le constituant ne brûle pas son crédit privilégié par avance afin de préserver sa capacité de s’endetter à l’avenir : l’approche est quasi inverse de celle qui a cours dans un droit des sûretés personnelles qui vise au contraire à prévenir tout surendettement du garant… 3. Jeu de massacre des sûretés réelles en droit des procédures collectives - Il serait malheureusement exagéré d’en déduire que les sûretés réelles seront pleinement efficientes quelle que soit la situation du débiteur… Sans doute était-ce vrai il y a encore une soixantaine d’années : sous l’empire du Code de commerce de 1807 et jusqu’en 1967, les sûretés réelles sont restées pleinement efficaces en cas de « faillite » du débiteur. 6 Art. 2288 al. 2 de l’Avant-projet présenté le 31 mars 2005 par la Commission présidée par le Professeur Grimaldi (ci-après l’Avant-projet). 7 V. notre démonstration, Ph. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, éd. Panthéon-Assas Paris II, 2005, préf. M. Grimaldi, n° 532 et n° 570 et s. A l’inverse, la constitution d’une sûreté réelle en garantie de la dette d’autrui devrait selon nous appeler quelque protection du constituant, la « caution réelle » n’étant pas alors tenue à la dette. 4 En 1948, Voirin résumait l’opinion généralement reçue en affirmant : « Faites intervenir deux, trois, dix cautions, les chances d’insolvabilité diminuent sans doute mais ne sont jamais écartées… Pour obtenir une sécurité complète, il faut recourir aux sûretés réelles »8. Car le droit de préférence supprimait alors le risque d’insolvabilité sans que la faillite du constituant ne compromette aucunement l’efficacité des sûreté réelles et, au premier chef de l’hypothèque, reine incontestée des sûretés : la quiétude du créancier était alors absolue… Mais en 2009, l’inquiétude du créancier a fait place à la quiétude, attisée par la perspective de défaillances d’entreprises en chaîne. Car l’ennemi de l’efficience économique du droit des sûretés réelles a pour nom « Traitement des difficultés des entreprises » : le livre VI de l’actuel Code de commerce qui régit les procédures collectives projette en effet une ombre inquiétante sur le Titre second du Livre IV du Code civil. Si les procédures collectives n’ont attrait les sûretés personnelles dans leur orbite que depuis la loi 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises9, elles ont soumis les créanciers titulaires de sûretés réelles à leur discipline dès la loi du 13 juillet 1967… Celle-ci leur a porté une première atteinte en les soumettant à l’obligation de production et de vérification de leurs créances, tandis qu’une jurisprudence célèbre en déduisit en 197610 l’existence d’une suspension des poursuites individuelles des 8 Ch. Beudant, Cours de droit civil français, 2ème éd., 1948, par R. Beudant et P. Lerebours- Pigeonnière, t. 13, Les sûretés personnelles et réelles, par P. Voirin, n° 52 in fine et n° 53, p. 62. 9 V. not. P.-M. Le Corre, « Premiers regards sur la loi de sauvegarde des entreprises », D. 2005, cahier spécial, 22 sept. 2005 ; Ph. Pétel, « Le nouveau droit des entreprises en difficultés », JCP éd. E 2005, n° 1509 ; D. Legeais, RD bancaire et financier sept./oct. 2005, n° 162 ; S. Piedelièvre, « La loi de sauvegarde des entreprises », JCP éd. N 2005, n° 1397 ; F.-X. Lucas, « Aperçu de la réforme du droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde des entreprises », Bull. Joly, 2005, p. 1181 et s. 10 Cass. ass. plén., 13 fév. 1976, Bulletin des arrêts d’assemblée plénière, n° 3 ; D. 1976, p. 237, concl. R. Schmelk, note F. Derrida, obs. A. Honorat ; JCP 1977, II, 18518, note Ch. Gavalda. : « à compter uploads/Finance/ l-x27-efficience-eco-du-droit-des-suretes-reelles.pdf
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- Publié le Jul 03, 2021
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