L’ÉTAT, LES FINANCES ET L’ÉCONOMIE. HISTOIRE D’UNE CONVERSION 1932-1952. VOLUME

L’ÉTAT, LES FINANCES ET L’ÉCONOMIE. HISTOIRE D’UNE CONVERSION 1932-1952. VOLUME I | Michel Margairaz Introduction p. 497-498 TEXTE TEXTE INTÉGRAL Au moment où l’Allemagne vient de nous donner une si éclatante leçon d’organisation scientifique du travail industriel, administratif et militaire (...) où l’on va être contraint de réorganiser l’administration et la production en France, il est impossible de différer les mesures qui leur assureront l’efficience indispensable à leur survie. (Jean Coutrot, octobre 1940.) C’est la présence des Allemands qui nous a donné l’occasion et qui nous donne la possibilité de faire notre réforme intérieure (...). La paix économique se fait dès maintenant, bribe par bribe, par ententes privées. (René Norguet, 2 décembre 1941.) 1La défaite, la signature de l’Armistice et l’Occupation coïncident avec la mise en place rapide d’un nouvel appareil de direction de l’économie et des finances, marqué par les conditions de sa genèse (chapitre XVI). Les structures et les pratiques qui se développent lors du premier Vichy, avant le retour de Pierre Laval — entre juillet 1940 et avril 1942 — marquent une certaine continuité avec celles de la « drôle de Guerre », notamment pour la direction des finances, et, dans le même temps, constituent des innovations lourdes pour l’avenir. Elles forment, non sans ambiguïté, les composantes complexes d’un « engrenage dirigiste » (chapitre XVII). Le poids de l’Occupant impose d’analyser la place des contraintes commerciales (chapitre XVIII) et financières (chapitre XIX), qu’il fait peser sur les experts et les gouvernants de Vichy comme sur l’économie tout entière. Grâce à l’étude des documents de l’appareil dirigiste industriel et commercial, nous avons pu descendre parfois jusqu’au niveau de branches ou de certaines entreprises importantes, afin de saisir les contraintes, pratiques et réactions au niveau micro-ou méso- économique, ainsi que les déphasages éventuels entre entrepreneurs et experts de l’État. Enfin, le retour de Pierre Laval marque l’aggravation des exigences de l’Occupant et, non sans tensions, l’intégration accrue de l’appareil dirigiste dans la machine de guerre allemande (chapitre XX). Chapitre XVI. La mise en place de l’appareil vichyste : une conversion équivoque p. 499-539 TEXTE NOTESILLUSTRATIONS TEXTE INTÉGRAL 1Conformément à la « politique de présence », les nouveaux dirigeants de Vichy se hâtent de bâtir un appareil de direction des finances et de l’économie. À la fin de 1940, les principaux éléments sont mis en place. Ils réutilisent des instruments anciens, mais s’appuient aussi sur desstructures nouvelles, tenant compte des contraintes issues de la pénurie, de l’Armistice et de l’Occupation. Les Finances et son puissant ministre, Yves Bouthillier, dominent les principaux instruments de l’équilibre financier et monétaire. Un important ministère de la Production industrielle est chargé de diriger production et répartition (nous ne nous attarderons pas sur la « Corporation paysanne » — étudiée par Isabelle Boussard — seule véritable organisation corporatiste, dans la mesure où nous nous préoccupons de l’appareil étatique). Une telle rénovation et un tel renforcement des organes étatiques ne risquent-ils pas cependant d’être tributaires des dramatiques conditions qui ont préludé à leur genèse ? I. L’ÉQUIPE DIRIGEANTE ET LA POLITIQUE DE « PRÉSENCE » 2Le régime de Vichy n’a pas été — on le sait — épargné par l’agitation et l’instabilité gouvernementale (il n’y eut pas moins de sept remaniements ministériels de juillet 1940 à avril 1942), malgré la mise à l’écart des assemblées et du contrôle parlementaire. Les responsables des finances ou de l’économie n’ont pas été toutefois marqués par des mutations aussi fréquentes qu’au sommet de l’État. Dès les premiers mois, la plupart de ceux qui vont diriger les services financiers et économiques sont en place, et restent à leur poste, au moins jusqu’au retour de Laval, en avril 1942. 1. Les dirigeants.  1 Cf. Yves Durand, Vichy (1940-1944), Paris, 1972, 176 p. ; Robert O. Paxton,La France de Vichy 194 (...) 3Si l’on s’attache aux responsables de premier plan, on s’aperçoit qu’ils ont, pour la plupart, occupé des postes importants dans l’Administration ou dans les cabinets ministériels1. • La « primauté de l’Administration sur la politique » (Yves Bouthillier)2.  2 Yves Bouthillier, Le drame de Vichy, I, Face à l’ennemi, face à l’allié, Paris, 1951, p. 13. (...)  3 Propos d’Henri Moysset à Darlan, rapportés par Jean-Pierre Azéma, De Munich à La Libération 1938-1 (...)  4 Cf. Richard F. Kuisel, Le Capitalisme..., op. cit., ch. V, p. 227 et suiv. ; cf. J. C. Germain-Tho (...)  5 Jean-Pierre Azéma, De Munich..., op. cit., p. 87. La plupart de ces hauts fonctionnaires devenus m(...)  6 Cf. Jean Berthelot, Sur les rails du pouvoir (de Munich à Vichy) ; Paris, 1968, 322 p.  7 Cf. Le Gouvernement de Vichy - 1940-1942(Colloque FNSP, 6-7 mars 1970), Paris, 1972, p. 88 et suiv(...)  8 René Belin in Le gouvernement..., op. cit., p. 206. Cf. également Alfred Sauvy, La vie économique(...) 4Les nouveaux responsables se rangent plutôt parmi les « nouveaux cyclistes » que parmi les « anciens Romains »3. Plusieurs auteurs ont souligné l’arrivée de nombreux techniciens, hauts fonctionnaires ou « experts » à Vichy. On les trouve naturellement aux postes de responsabilité économique et financière4. Bien que relativement jeunes, ces hommes ne sont pas de nouveaux venus à des postes élevés. Dans cette fraction de l’appareil d’État, la « Révolution » du 10 juillet 1940 ne consacre pas « la grande revanche des minorités » (Stanley Hoffman), moins encore la « révolution des ratés » (Georges Bernanos)5. Bien plutôt, elle promeut une élite administrative ou technique, dont les responsabilités étaient déjà élevées avant cette date. Plusieurs d’entre eux ont déjà cotoyé le pouvoir, lors de l’arrivée de Paul Reynaud rue de Rivoli. Ainsi, Yves Bouthillier, ancien élève de l’École centrale et inspecteur des Finances, secrétaire-général du ministère des Finances en 1938, est ministre, dès le 5 juin 1940. Jean Berthelot, ancien major de l’X et des Mines, devient directeur du cabinet d’Anatole de Monzie peu après Munich, avant d’être nommé directeur général adjoint de la SNCF en juillet 1940, puis secrétaire d’État aux Communications, en septembre 19406. Même Pierre Caziot, quoique nettement plus âgé que les précédents — il est né en 1876 — est un ingénieur agronome, ancien chef de cabinet à l’Agriculture en 1919, et ancien expert à la Commission des Réparations. Il n’est guère que René Belin, dont le profil ne soit pas à l’unisson : mais il a raconté les conditions quelque peu improvisées de sa nomination, destinée à faire équilibre, et fournir une caution syndicale à l’équipe gouvernementale7. D’ailleurs, lui-même s’entoure de jeunes techniciens, parmi lesquels deux émergent : Jacques Barnaud, son directeur de Cabinet, polytechnicien et inspecteur des Finances, a été directeur adjoint au Mouvement général des Fonds en 1926, membre de la direction de la Banque Worms en 1927 et chargé, au début de la guerre, des rapports financiers avec les États étrangers au Trésor. Quant à Jean Bichelonne, major des majors de l’X, ingénieur des Mines, il a participé aux cabinets de Queuille (aux Travaux publics en 1937), et surtout de Raoul Dautry à l’Armement, en 1939-40, avant de faire partie de la Délégation française auprès de la Commission d’Armistice de Wiesbaden, puis d’être nommé, à trente-cinq ans, secrétaire général pour le Commerce et l’Industrie. Les anecdotes pullulent, qui révèlent l’encyclopédisme et les capacités de travail de l’une des plus belles mécaniques intellectuelles du siècle : « L’esprit de géométrie fait l’homme »8. Pour la direction de l’économie et des finances, le régime de Vichy ne fait pas appel à des marginaux, laissés pour compte, aventuriers aigris ou « déviants ». Il s’appuie sur les membres les plus doués, les plus compétents et dotés des titres les plus prestigieux d’alors, au sein de l’Establishment de l’Administration et, de manière encore plus nette à partir de 1941, des affaires privées. Il élève ainsi d’un échelon cette élite technique et administrative, en lui offrant également des postes de responsabilité politique.  9 Cf. Stanley Hoffman, Sur la France, Paris, 1976, p. 72 et suiv. ; Robert O. Daxton,La France..., (...) 5Plusieurs auteurs ont souligné que cette tendance ne marque pas une rupture, mais prolonge plutôt celle de la IIIe République finissante9. Le retour de Paul Reynaud et d’une droite moderniste, après l’agonie du Front populaire, a déjà, en partie, sonné l’heure des techniciens et de leur revanche sur les « politiques », ce qui souvent signifie celle sur ceux de 1936. Bel exemple avec Yves Bouthillier, relégué à l’Hôtel de Ville en 1936 par Vincent Auriol, rappelé et promu en 1938. Cependant, en faisant appel à lui, pour sa compétence, Paul Reynaud manifeste une grande myopie politique, car il introduit jusqu’au gouvernement l’un de ceux qui vont le contraindre à la démission. D’ailleurs, Yves Bouthillier apparaît vite comme l’un des ministres les plus influents auprès du Maréchal, dont il est, avec Jean Berthelot, l’un des soutiens les plus fidèles jusqu’en 1942, en particulier dans son conflit avec Pierre Laval. On a souvent souligné la promotion des techniciens et hauts fonctionnaires des ministères techniques, notamment au sein du ministère de la Production industrielle. uploads/Finance/ l-x27-etat-les-finances-et-l-x27-economie-histoire-d-x27-une-conversion-1932-1952-volume-i.pdf

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  • Publié le Jul 25, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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