ISBN : 979-10-329-0242-4 Dépôt légal : 2019, novembre © Éditions de l’Observato
ISBN : 979-10-329-0242-4 Dépôt légal : 2019, novembre © Éditions de l’Observatoire / Humensis 2019 170 bis, boulevard du Montparnasse, 75014 Paris Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. « Une douce bienveillance émanait de ses gants de boxe. » Charles Dickens, Le Mystère d’Edwin Drood 1 Présentez arme… Il arrive un moment où, face à l’agressivité sommaire qui mène le monde, on éprouve le besoin de s’arrêter pour dresser le seul bilan qui compte vraiment dans une vie : la différence entre le passif et l’actif – entre ce qu’on a reçu et ce qu’on a fait pour les autres. Le passif qui a créé nos richesses intérieures et l’actif qui en découle. Ce livre est avant tout un hommage aux illuminés, anonymes ou célèbres, qui ont éclairé la route que je m’étais tracée dès l’enfance. On peut y voir aussi un examen de conscience, un état des lieux, ou, comme on dit en langage fiscal, une vérification approfondie de ma situation humaine. À un âge où, statistiquement, j’ai dû consommer les deux tiers de mon espérance de vie, il m’a paru bienvenu d’honorer mes dettes et de justifier mes investissements. Cela dit, il s’agit là bien moins d’un brouillon de testament que d’une sorte de guide pratique, à l’intention des lecteurs intéressés par le développement de soi et des autres. Je n’ai pas vertu d’exemple, si ce n’est que je suis, comme tout un chacun, une caisse de résonance. Mais la sensibilité de cette caisse, je l’ai tant travaillée qu’elle s’est substituée depuis longtemps, pour moi, au sourd tapage du monde. Et pas seulement parce que le bruit de fond s’efface quand on travaille la forme. À l’écrit comme à la ville, je crois être resté fidèle au portrait que François Nourissier dressa de moi dans Le Figaro Magazine en juin 2000 : « Il a une vocation multiple de bon docteur, de magicien, d’enchanteur… » Un éloge subtilement narquois présentant ce trait de caractère comme une force motrice qui, si je n’y prenais garde, risquerait d’alimenter mes points de faiblesse. De fait, à une époque où tout se radicalise – la bêtise, la ruse, la haine, l’ego, le politiquement correct et même les discours humanitaires –, la bienveillance peut apparaître comme une valeur obsolète, ringarde, inadaptée. Je pense qu’elle est au contraire la seule réponse thérapeutique à la crise morale que traversent nos sociétés. Une réponse qui, à défaut de changer le monde du jour au lendemain, lui redonne des couleurs et compense les déceptions qu’il nous inflige, tout en renforçant ce système immunitaire assez paradoxal qui s’appelle l’empathie. D’où l’urgence de radicaliser la bienveillance. Je veux dire par là : pratiquer cet état d’esprit sans peur, sans honte, sans modération et sans nuances. Je sais bien que, sur l’échelle des valeurs à la mode, il est mieux vu aujourd’hui de célébrer la générosité ponctuelle – engagement associatif, dons défiscalisés, soutien aux victimes d’une catastrophe… – plutôt que la bienveillance de fond. À première vue, on pourrait croire que, si la première est une vertu sur laquelle tout le monde s’accorde, la seconde s’apparente à une forme de condescendance, de charité ostentatoire. Voire, si l’on s’en tient à la définition des dictionnaires, une « disposition favorable envers une personne inférieure ». Jusqu’au XVIII e siècle, nous précise Le Robert, être bienveillant signifiait simplement vouloir du bien à quelqu’un. Pourquoi alors un tel glissement, une telle méfiance, une telle présomption de mépris dissimulé sous une fausse indulgence ? L’un de mes profs de philo en accusait la Révolution française, qui voulut voir dans la bienveillance un comportement d’Ancien Régime dont il fallait faire table rase. Ainsi l’égalité de principe et la lutte des classes devaient-elles avoir raison de cette « domination déclinée en feinte gentillesse » que stigmatisait Robespierre. Je préfère revenir à une définition plus juste et moins suspicieuse : contrairement à la démagogie dont parlait le révolutionnaire ci-dessus, la bienveillance est un sentiment qui nous dépasse et nous transcende, tout en nous offrant le plaisir gratifiant de placer parfois, même sans raison objective, l’intérêt d’autrui au-dessus du nôtre. * Souvent, les gens se demandent pourquoi je parais toujours de bonne humeur, pourquoi j’ai tant d’élan vers les autres quand je sors de ma tanière d’ours, pourquoi en apparence rien ne me grise et rien ne m’abat, quels que soient les succès, les revers, les bonheurs et les drames. L’explication est simple. En toute franchise, ce qui m’arrive m’importe moins que les émotions des êtres qui me touchent. Je me protège, bien sûr, à un détail près : mon armure a les propriétés d’une éponge. Rien ne glisse sur moi ; j’absorbe tout, je laisse macérer et je restitue. Mais pas seulement. Pour être bien dans ma peau, j’ai besoin que les gens s’épanouissent autour de moi. Mon altruisme est donc a priori égoïste, ce qui d’une certaine manière en garantit la sincérité. Sous des allures d’épicurien paisible, je suis un guerrier, en fait. Un guerrier de la bienveillance. Ce que j’entends par là ? L’instinct, le choix raisonné, le goût d’en découdre me poussent en général à secourir sans distinction – ou presque – amis, inconnus, hypocrites ou ennemis, dès lors que j’en ai le pouvoir et l’envie. Je ne me refuse rien. D’aucuns en déduiront que je dois souvent me faire avoir. Et alors ? Ça me fait être. L’important, c’est ce que mon attitude parfois démesurée, absurde, désarçonnante va déclencher en eux. Simple instant de réconfort ou bouleversement au long cours : à eux de faire le travail. J’y puise, en retour, un plaisir de metteur en scène qui voit évoluer son personnage au fil des situations qu’il lui propose. Oui, la bienveillance est d’autant plus profitable quand, s’apparentant à une forme de direction artistique, elle nous renvoie à nous-mêmes au travers de ce que nous transmettons. J’ai découvert, au fil des ans, des expériences et des relations que le secret de la joie intérieure, la recette de l’harmonie partagée et de la longévité des enjeux étaient là : demeurer qui l’on est en se nourrissant de ce qu’on donne aux autres – par élan, par retour, ou par cette forme de pardon qui, sous les dehors de l’indifférence, relève de trois principes vitaux : l’économie de rancune, l’humour protecteur et la gentillesse offensive. Car la bienveillance n’a rien d’une mièvrerie, c’est une arme de guerre. On la prend souvent pour un signe de mollesse, alors que c’est elle qui, au contraire, a le pouvoir de ramollir l’arsenal de l’adversaire. La meilleure image qu’on puisse trouver pour illustrer son action est celle du Métomol, ce gaz de combat inventé par le comte de Champignac dans Spirou et Fantasio. À l’instar du Métomol, la bienveillance désarçonne l’ennemi et court-circuite la logique de guerre en liquéfiant les armes de poing, les lance-missiles et les blindés qu’elle transforme en flaques d’acier rosâtres. Contrairement aux bombes à la mode qui détruisent la vie humaine en respectant l’environnement, du moins en épargnant les infrastructures, la bienveillance préserve le combattant qu’elle désarme dans tous les sens du terme. Comment lutter contre un ennemi qui ne vous veut aucun mal ? Nous verrons plus loin comment l’ONU a mis en pratique sur le terrain ce principe de déstabilisation, afin d’interrompre une guerre au Moyen-Orient. Dans l’immédiat, sur le plan personnel, intéressons-nous aux origines de cet état d’esprit dont j’ai pu mesurer, dès ma petite enfance, l’efficacité renversante. 2 La bienveillance : un don, une tare ou un choix Qu’ai-je de plus que les autres ? Une grande chose en moins : la peur. Je suis né sans. Peut- être parce que je suis mort en venant au monde. J’ai poussé mon cri de bienvenue, et puis mon cœur s’est arrêté. L’obstétricien a mis plusieurs minutes à le faire repartir. L’accouchement avait duré trente heures, ma mère était subclaquante, on avait dû me sortir aux forceps, je m’étais étranglé avec mon cordon ombilical et j’avais survécu de justesse à cette forme de pendaison. Un faux départ qui m’apparaît aujourd’hui comme un beau cadeau d’arrivée. Le cerveau ne fixant pas la mémoire des premières heures, je n’ai aucun souvenir de l’éventuel tunnel de lumière dans lequel je serais allé faire un petit tour. Mais j’ai le profil, me disent tous ceux qui ont fait une NDE (near death experience), cette excursion aux frontières du trépas qui les a radicalement transformés. Ayant revécu en accéléré leur vie, selon leur point de vue mais aussi celui des êtres qu’ils avaient aimés ou blessés, ils sont revenus à eux avec une conscience élargie, une empathie incoercible, une bienveillance à toute épreuve, et ils n’ont plus aucune peur de la mort – de la vie non plus, par voie de conséquence. Ils profitent de chaque instant, communient pleinement avec la nature, ressentent l’interconnexion de tout ce qui vit. À la manière des abeilles – image qui revient souvent dans leurs récits –, ils butinent les fleurs du présent, recueillant le pollen des unes pour ensemencer uploads/Finance/ la-bienveillance-est-une-arme-absolue.pdf
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- Publié le Mai 15, 2021
- Catégorie Business / Finance
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