Le Bien-être en France Rapport 2020 Observatoire du Bien-être du Cepremap Sous

Le Bien-être en France Rapport 2020 Observatoire du Bien-être du Cepremap Sous la direction de Mathieu Perona et Claudia Senik Direction scientifique : Yann Algan, Andrew Clark, Claudia Senik Conseillère scientifique : Elizabeth Beasley Assistante de recherche : Iris Laugier Directeur de la publication : Daniel Cohen C E P R E M A P CENTRE POUR LA RECHERCHE ÉCONOMIQUE ET SES APPLICATIONS Ce rapport s’appuie sur les Notes publiées par l’Observatoire au cours des années 2018, 2019 et 2020, en particulier : – – Note 2018-06, « Diplôme, revenus et confiance », Elizabeth Beasley, Madeleine Péron et Mathieu Perona – – Note 2018-07, « Bonheur rural, malheur urbain ? », Madeleine Péron et Mathieu Perona – – Note 2019-01, « La France malheureuse », Mathieu Perona – – Note 2019-03, « Qui sont les Gilets jaunes et leurs soutiens ? », Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Madeleine Péron, – – Note 2019-05, « La France et l’Europe », Mathieu Perona – – Note 2019-07, « Le passage à la retraite », Madeleine Péron, Mathieu Perona et Claudia Senik – – Note 2020-07, « Heurs et malheurs du confinement », Dylan Alezra, Sandra Hoibian, Mathieu Perona et Claudia Senik ainsi que sur les notes de conjoncture publiées trimestriellement depuis juillet 2017. Les éléments présentés dans ces notes ont été mis à jour à l’aide des informations les plus récentes. Le chapitre consacré au bien-être au travail est inédit. La partie historique a été écrite spécifique­ ment pour ce rapport par Rémy Pawin. Les auteurs remercient Sarah Flèche et Andrew Clark pour leur relecture attentive et leurs commentaires. © Les éditions du Cepremap, 2020 48, boulevard Jourdan – 75014 Paris www.cepremap.fr ISBN 978-2-9564629-2-7 Préface Claudia Senik Depuis sa création, il y a quatre ans, l’Observatoire du bien-être se donne la mission de scruter le bien-être des Français : ses racines, ses différentes facettes et son évolution. Bonheur privé et malheur public, lien entre optimisme et comportement politique, rapport à l’argent et à l’économie, influence de l’âge, du genre et de la stratification sociale, réaction à la conjoncture économique et aux changements politiques, nous suivons ces questions et en rendons compte à l’occasion de nos notes et de nos publications régulières. Nous illustrons également ces tendances à l’aide de notre tableau de bord en ligne. Le présent rapport vise à donner une image de cette activité, et ce faisant, à dresser un portrait de la France au prisme du bien-être subjectif. Travailler et aimer, les deux sources du bonheur selon Freud occupent une place prépondérante dans ce rapport qui fait une large part à la sphère professionnelle et aux liens interpersonnels et sociaux. Le travail, d’abord, qui joue un rôle primordial dans la satisfaction, non seulement à cause du revenu qu’il procure, mais aussi par les relations sociales qu’il occasionne et du sens qu’il donne à l’activité individuelle. C’est d’ailleurs surtout à travers la sphère professionnelle que le niveau d’éducation contribue à la satisfaction, même si éducation et confiance entretiennent un lien plus direct. On constate hélas que dans le domaine du travail, peut-être plus que dans tout autre, le célèbre « déficit de bonheur français » s’exprime à travers un niveau d’insatisfaction plus élevé que chez nos voisins européens. Les Français se montrent particulièrement insatisfaits de leur rémunération et des perspectives de carrière offertes par leur entreprise. Et quand ils jugent leur vie professionnelle dans son ensemble, l’insatisfaction est visible chez toutes les catégories socio-­ professionnelles, hormis les cadres. C’est peut-être pourquoi, à l’inverse de nombreux pays, le passage à la retraite ne semble pas constituer en France une charnière difficile, de nature à provoquer une baisse de bien-être, même s’il occasionne une perte de revenu. Pour les chômeurs, il représente même une sortie de la précarité et du stigmate, nettement favorable au bien-être. Les liens sociaux et privés ensuite, dont on mesure l’importance, en creux, par le sentiment de solitude particulièrement délétère qui s’exprime dans certaines communes du territoire français. À cet égard, les dix dernières années ont peut-être été celles du triomphe de la géographie, avec la prise de conscience de l’importance de l’environnement immédiat des personnes. C’est en effet dans les territoires en déclin démographique, d’où la vie sociale se retire, que l’on a vu récemment se manifester des signes de fort mécontentement : insatisfaction, abstention électorale, et manifestations de Gilets jaunes. Au total, les Français se classent plus mal que les autres Européens sur un grand nombre de mesures subjectives de bien-être malgré une situation beaucoup moins défavorable en matière d’indicateurs 4 Le bien-être en France – Rapport 2020 objectifs. Nous y voyons le signe d’une société inquiète, mal à l’aise avec les ­ transformations qui la traversent. Peut-être s’agit-il de la crise de croissance d’une société de statut, dominée par une aris­ tocratie républicaine et laïcisée, forcée de s’adapter à une concurrence mondialisée. Peut-être aussi, dans une société centralisée où l’on attend beaucoup de l’État, est-il particulièrement angoissant de voir l’échelle nationale largement dépassée par l’ampleur des changements mondiaux. Ce serait alors parce que l’État n’a plus les moyens de protéger le lien social et les individus contre les chocs nombreux imposés par la vie économique que l’argent revêt une importance particulièrement forte aux yeux des Français. Le pouvoir d’achat devenant plus déterminant pour la position sociale, il devient, a contrario, une source de frustration pour les classes moyenne menacées de précarisation financière, comme les Gilets jaunes. Le dernier chapitre de cet ouvrage ajoute une profondeur histo­ rique à l’analyse, et suggère que la notion de crise, apparue au milieu des années 1970, s’est durable­ ment installée dans la société française, ainsi que le pessimisme et ­ l’insatisfaction qui l’accompagnent. Ces observations, réalisées au cours des années passées, revêtent une teneur nouvelle à la lumière de la crise du Covid-19. Le confinement aurait-il permis la revanche des Gilets jaunes, jouissant du supplément d’espace que leur offrait une résidence plus éloignée des centres vitaux de l’économie, délivrés des trajets domicile-travail, et logés à la même enseigne de désocialisation que le reste du terri­ toire ? On verra qu’il n’en est rien et que les conditions de vie et de travail de ce groupe ont été ­ particulièrement défavorables à leur bien-être pendant le confinement. Pour ceux qui l’ont pratiqué, le télétravail a-t-il occasionné une perte de liens sociaux et un effet délétère sur le bien-être, ou au contraire, a-t-il permis d’améliorer l’équilibre entre vie profes­ sionnelle et vie privée ? Cette question du travail à distance constituera sans doute la grande mutation des années à venir, et il importe de comprendre rapidement quel impact sur le bien-être, et notamment sur le bien-être au travail, il est susceptible d’exercer. D’autres hypothèses qui paraissaient raisonnables ne semblent pas avoir été validées par les enquêtes. Ainsi, le pessimisme et la défiance des Français vis-à-vis des institutions politiques et le climat social en entreprise globalement plus défavorable en France que dans le reste de ­ l’Europe, auraient pu compromettre la reprise de l’activité après la pause imposée par le premier ­ confinement. Cela n’a pourtant pas été le cas. Au total, on le voit, le bien-être subjectif n’est pas seulement un objectif en soi, mais aussi le substrat de tout un ensemble de comportements économiques et politiques de premier ordre. Le dernier chapitre de ce rapport retrace l’histoire de la légitimité du concept de bonheur en France. Perdant sa valeur négative au cours du xxe siècle, au gré des luttes pour l’émancipation et des revendications individualistes et consuméristes, le bonheur est désormais bien installé en tant que boussole du politique. En témoignent les initiatives pour le renouvellement des indicateurs de progrès social, visant à compléter le seul indicateur de revenu national par d’autres mesures, de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009) au relevé systématique d’indicateurs de bien-être subjectifs par le gouvernement britannique de Tony Blair, et plus récemment, par les gouver­ nements de l’Écosse, de l’Islande et de la Nouvelle-Zélande. Cette remise en cause du revenu national comme seule métrique du bien-être connaît enfin une actualité particulière avec la ques­ tion du réchauffement climatique. Celle-ci impose aujourd’hui de mieux mesurer l’impact global de la croissance économique, y compris ses externalités négatives. Le tableau de bord des indi­ cateurs de la politique publique doit nécessairement s’enrichir de cette dimension. Le bien-être subjectif fera sans doute également partie de ces indicateurs, à moins qu’il n’acquiere le statut de mesure synthétique intégrant l’ensemble de toutes les autres composantes de la vie des citoyens. 1. Introduction Pourquoi faire un portrait du bien-être en France ? Le 14 septembre 2009, la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, présidée par Joseph Stiglitz, rendait son rapport sur la manière d’orienter la politique publique dans le monde encore chancelant des lendemains de la crise financière. Tout en conservant le produit intérieur brut comme métrique centrale de l’activité économique, ce rapport conseillait de lui adjoindre deux piliers d’égale importance : d’une part un tableau de bord du bien-être, combi­ nant mesures subjectives et objectives uploads/Finance/ le-bien-etre-en-france-rapport-2020.pdf

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  • Publié le Mai 21, 2021
  • Catégorie Business / Finance
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