i) Le capitalisme privé marocain est le produit d’un long processus historique

i) Le capitalisme privé marocain est le produit d’un long processus historique dont les étapes les plus marquantes correspondent à la période coloniale (1912-1956) et à celle de l’indépendance politique qui lui succède à partir de 1956. Toutefois, durant le protectorat et notamment jusqu’à la seconde guerre mondiale, sa pousse fut contenue dans d’étroites limites et n’intéressait pratiquement que l’agriculture et le commerce : le gros des activités économiques rentables étant réservées au capital métropolitain1. 2L’élargissement autant que le renforcement progressifs et parfois accélérés et de grande envergure de l’assise économique et sociale du capital privé marocain en général et de ses segments dominants en particulier datent donc pour l’essentiel de la période post-coloniale. Paradoxalement, le capital étranger, en redéployant ses activités au Maroc, exerce constamment une influence décisive sur cette dynamique. Le capital privé marocain dominant évolue ainsi dans le sillage du capital financier international, sacrifiant par là le nationalisme d’antan à ses intérêts de classe. 2 Jouahri (A.), « Interview recueillie par M. Sehimi ». Le Matin du Sahara (2757), 23 février 1982 : (...) 3 Darouich (A.). Chiguer (M.), Berrada (A.). Etudes sur le secteur industriel au Maroc, Al Maärif Al (...) 3ii) En 1978 on dénombrait au Maroc quelque 2.000 milliardaires en centimes (deux millions de dollars et plus) alors qu’ils étaient à peine une vingtaine deux décennies plus tôt2. Un grand nombre d’entre eux occupaient (occupent) souvent de hautes fonctions au sein de l’administration et/ou du secteur public avant d’opter pour le secteur privé ou sont à cheval sur les secteurs privé et public (y compris l’administration). Ce club des grosses fortunes comporte un noyau dur composé de multimilliardaires aux activités diversifiées qui englobent aussi bien l’agriculture que le commerce, l’immobilier et les BTP en passant par l’industrie et la finance. D’après A. Belal (développement et facteurs non économiques, op. cit), 300 familles d’intérêts environ en font partie qui ont de plus en plus tendance à se structurer sous forme de groupes économiques3. 4iii) Le grand capital privé marocain constitue donc à n’en pas douter une composante majeure du tissu socio-économique post-colonial. C’est que les choix fondamentaux de politique économique à l’œuvre au Maroc depuis 1956 n’ont de sens que rattachés en particulier à ses intérêts, fréquemment indissociables de ceux du capital financier international. Il n’existe d’ailleurs pas au Maroc d’espaces qui n’en portent pas la marque. 5Dans le but d’accéder à une meilleure connaissance de cette classe sociale par trop influente, nous nous attacherons à examiner successivement ses assises économiques et organisationnelles (I) ainsi que les conditions qui en ont facilité la constitution (II). TITRE I – L’ASSISE MATÉRIELLE ET ORGANISATIONNELLE DU GCPM 6L’assise matérielle du GCPM dénote une tendance à la diversification, à la prépondérance persistante des activités improductives et à la concentration/centralisation. Quant à son assise organisationnelle, elle repose sur une multitude d’associations socio-professionnelles qui gravitent autour de deux associations mères (la GCEM et l’UMA) et revêt, concernant le noyau dur du GCPM, la forme de groupes économiques. I – L’AGRICULTURE 7Le grand capital privé marocain (GCPM) occupe d’abord une place de choix au sein du secteur agricole moderne. Ce foyer d’accumulation primitive n’a pas perdu de son importance en dépit de la diversification de ses activités. Il revêt à des degrés divers un caractère permanent en tant que composante du patrimoine d’un grand nombre de personnes et/ou familles d’intérêts constitutives du GCPM. En plus de leur patrimoine foncier d’origine, de vastes terres de colonisation privée sont passées sous leur contrôle notamment à la veille (1950-1955) et au lendemain de l’indépendance politique du Maroc (1956-1963), (cf. note 5). 4 Ministère des finances, « les gros contribuables, les gros propriétaires fonciers en 1965-1966 », é (...) 8Quoique la tendance est à sous-estimer l’ampleur du phénomène de concentration/centralisation de la propriété et/ou du revenu agricoles, ce qui rend par conséquent nécessaire une opération de réajustement en hausse, il n’en demeure pas moins que les deux études4 internes sur les contribuables les plus imposés (revenus agricoles imposables supérieurs à 48.000 dirhams/an), entreprises à une décennie d’intervalle (1968, 1977), nous fournissent de précieuses indications sur les propriétaires et/ou exploitants privés marocains aux revenus agricoles imposables les plus élevés (personnes physiques et sociétés). 1. – DONNÉES QUANTITATIVES 9– En 1966, on dénombrait 303 contribuables privés marocains imposés aux tranches de revenu agricole et aux taux les plus élevés (5eme tranche : 48 000-120.000 DH = 17 % ; 6eme tranche : plus de 120.000 DH = 20 %). Ils accaparent un revenu agricole imposable (RAI) de 24 millions de dirhams (MDH) soit 4,2 % du total du RAI marocain, (public et privé = 572 MDH) alors qu’ils ne représentent que 0,18 % en nombre (303/163.671). 10Le RAI par gros contribuable privé marocain (GCPM) atteint de ce fait 79.207 DH contre 3.497 DH seulement en moyenne, soit un rapport de 1 à 23. 11Quant à leur assise foncière, elle s’étend sur 136.470 ha au total et 450 ha en moyenne. La ventilation de ces grandeurs selon qu’il s’agisse des GCPM imposés au titre de la 5eme ou 6eme tranche de revenu agricole nous permet d’apprécier à sa juste valeur le processus de concentration/centralisation de la propriété et du revenu agricole et de conclure à son caractère fortement prononcé dans certains cas. 12Les GCPM relevant de la 5eme tranche représentent près de 90 % en nombre (272/303) et monopolisent 75 % du RAI (18,7/24 MDH) et 82 % des terres (111.854/136.470 ha soit 411 ha en moyenne par contribuable). 13Ces proportions atteignent respectivement 10,2 (31/303), 25 (5,178/24 MDH) et 18 % (24.616/136.47 ha soit 794 ha par contribuable) concernant les GCPM dont les revenus agricoles imposables excèdent 120.000 DH/an (6eme tranche), ce qui dénote donc un degré de concentration/centralisation de la propriété et du revenu agricoles nettement plus marqué que celui mis en relief dans le cas des contribuables privés marocains de la 5eme tranche. Bien mieux, parmi les 31 contribuables privés marocains de la 6eme tranche 6 (19 %) réalisent des revenus individuels compris entre 202.000 et 372.000 DH sur des propriétés dont la superficie varie entre 352 et 2374 ha. Comparées aux revenus agricoles et aux terres imposables au titre de la 6eme tranche, ces grandeurs interviennent chacune pour 29 % du total (1,499/5,17 MDH ; 7244/24616 ha). 14Il serait également intéressant de noter dans le même ordre d’idées que sur les 15 propriétés privées appartenant à des marocains d’une superficie supérieure à 1.000 ha, 7 dépendent de la 5eme tranche et les 8 autres de la 6eme tranche, y compris dans ce dernier cas les deux seules propriétés privées marocaines dont la superficie se situe entre 2.027 et 2.374 ha. 15— En 1975, le nombre des gros contribuables privés est passé à 643 dont 617 marocains (96 %) et 26 étrangers (4 %). Leur revenu agricole imposable s’élève à 69,4 MDH au total et à 107.309 DH en moyenne. Il est réalisé sur une superficie de 200.698 ha dont ils sont propriétaires et/ou exploitants (cf. tableau n° 1). 16Alors qu’ils ne représentent que 0,29 % en nombre par rapport à l’ensemble des contribuables soumis à l’impôt agricole (643/220.000), leur revenu agricole intervient à concurrence de 8,4 % en comparaison du revenu agricole imposable global (69,4/22 MDH). 17Ces grandeurs sont inégalement réparties entre les deux tranches de revenu agricole plafonds. Elles recouvrent un degré de concentration/centralisation de la propriété et/ou du revenu agricoles élevés mais nettement déséquilibré à l’avantage des agriculteurs dont le revenu imposable excède 120.000 DH/an. 18Les contribuables privés de la 5eme tranche sont au nombre de 508 et totalisent un revenu de 36,4 MDH obtenu sur une superficie de 137.650 ha, soit respectivement 79 – 52,5 et 68,6 % du total (5eme et 6eme tranches). Pour les contribuables privés de la 6eme tranche, ces proportions se situent respectivement à 21 (135), 47,5 (33 MDH) et 31,4 % (63.048 ha). 9 contribuables dont 4 sociétés, 3 propriétés indivises et 2 personnes physiques réalisent chacun un revenu agricole compris entre 549.020 et 1.721.280 DH (cf. note 5) et ensemble un revenu global de 7,255 MDH. Autrement dit, 7 % des contribuables privés de la 6eme tranche accaparent à eux seuls 22 % du revenu agricole imposé à ce titre. Dans ce groupe, 6 possèdent et/ou exploitent des propriétés comptant parmi les plus vastes au Maroc (1.004 – 2763 ha). 1921 propriétés privées imposées au titre des deux tranches de revenu agricole plafonds s’étendent chacune sur une superficie supérieure à 1.000 ha et ensemble sur 30.483 ha, ce qui rapporté au total représente 3,2 % en nombre (21/643) et 15,2 % en superficie (30.483/200.698 ha). Parmi ces 21 propriétés, 4 se placent nettement en tête avec un nombre d’hectares compris entre 2.188 et 3.000. 2 – NÉCESSITÉ D’UNE RÉVISION EN HAUSSE DES RÉSULTATS DES DEUX ÉTUDES 5 Berrada (A.), « le grand capital agraire privé marocain : revenu et assise foncière », étude à para (...) 20La conclusion qui se dégage à la lumière des résultats d’ensemble des deux études précitées et que, en l’espace d’une décennie, uploads/Finance/ le-grand-capital-prive-marocain 1 .pdf

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  • Publié le Nov 28, 2022
  • Catégorie Business / Finance
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