_____________________________________________ Le Traité transatlantique, la mon

_____________________________________________ Le Traité transatlantique, la mondialisation et le projet européen. Au service d’intérêts "très particuliers" ? Documents d’analyse et de réflexion Mars 2015 Rue Maurice Liétart, 31/4 – B-1150 Bruxelles 2 Avec le soutien de la fédération Wallonie-Bruxelles Centre AVEC ASBL, rue Maurice Liétart, 31/4 – B-1150 Bruxelles Tél. : +32/(0)2/738.08.28 – http://www.centreavec.be 3 Le Traité transatlantique, la mondialisation et le projet européen Au service d’intérêts ‘très particuliers’ ? Dans un post sur son blog du New York Times, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz disait que « les accords commerciaux sont un sujet qui peut sembler sans intérêt, mais nous devrions tous y prêter attention. En ce moment se préparent des changements en politique commerciale qui menacent de mettre l’Amérique du mauvais côté de la mondialisation »1. L’objet des critiques de Stiglitz était le TPP, accord de libre-échange entre les USA et des pays du Pacifique, mais, comme nous le verrons, ce qui vaut pour le TPP vaut aussi pour le TTIP2, ce traité commercial transatlantique, actuellement en négociations, qui ferait de l’Union européenne et des États-Unis un ensemble commercial gigantesque – pas moins de 46% du PIB mondial. Tout d’abord quelques précisions. Le Traité transatlantique vise la création d’une zone de libre- échange entre les USA et l’Union européenne. La théorie du libre-échange demande aux États membres de limiter au maximum les restrictions sur les importations et exportations ; les accords de libre-échange ont donc pour objet d’augmenter le commerce à l’intérieur d’une zone. Le TTIP n’est sur papier pas unique en son genre. L’Union européenne a déjà des accords de libre-échange avec ses pays limitrophes, avec les pays méditerranéens, avec une bonne partie du continent sud-américain et des pays indépendants comme la Corée, l’Afrique du Sud ou le Mexique. La Commission européenne négocie actuellement une série d’autres accords de libre-échange : avec les pays d’Asie du Sud-Est (ASEAN), avec le Canada (accords CETA), avec les pays du Golfe Arabique, avec l’Inde, la Malaisie, Singapour ou encore l’Ukraine3. Ces accords peuvent parfois prendre des décennies avant d’être signés et ratifiés, suivant la vitesse et les obstacles des négociations. On le voit, il n’y a rien d’exceptionnel à négocier des accords de libre-échange entre partenaires économiques. Qu’y a-t-il donc de différent dans ce projet de Traité ? Pour répondre à cette question, il faut resituer le TTIP dans l’histoire récente du commerce international. Mondialisation commerciale Dès les lendemains de la 2ème guerre mondiale, il y a eu des efforts constants, bilatéraux et multilatéraux, pour diminuer les protectionnismes de tous genres et abaisser les droits de douane. L’idée est que le commerce favorise le développement économique et que, avec l’interdépendance créée, les nations auront moins intérêt à se faire la guerre (militairement). Vu par après, la mondialisation du commerce s’est avérée être un des moteurs de croissance économique tout au long du 20ème siècle. Diminuer les barrières douanières nécessite de la confiance, et il n’a pas été aisé de trouver le cadre nécessaire à cette confiance, notamment pour un pays comme les États-Unis, dont les lignes politiques étaient à la fois isolationnistes et impérialistes. 1 “Trade agreements are a subject that can cause the eyes to glaze over, but we should all be paying attention. Right now, there are trade proposals in the works that threaten to put most Americans on the wrong side of globalization”, in opinionator.blogs.nytimes.com/2014/03/15/on-the-wrong-side-of-globalization/?_r=0. 2 Le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement est plus connu sous son acronyme anglais TTIP (prononcez ti-tip), pour Transatlantic Trade and Investment Partnership. Par facilité, nous utiliserons cette dénomination dans la suite du texte. 3 Voir les mises à jour de la DG Commerce de la Commission européenne : ec.europa.eu/trade/policy/countries- and-regions/agreements/#_customs-unions. 4 Création de l’OMC Il a fallu attendre l’année 1996 pour qu’une instance multilatérale voie le jour. L’OMC, Organisation Mondiale du Commerce, née de longues négociations internationales, donne un cadre global de négociations multilatérales. Ses règles, basées sur la non-discrimination, la réciprocité, le caractère exécutoire des accords négociés et signés, la transparence relative, sont censées offrir la confiance suffisante pour que les pays négocient des accords commerciaux. Ce qui confère à l’OMC un statut d’institution internationale parmi les plus puissantes de ce monde, c’est son pouvoir d’arbitrage. L’Organe de Règlement des Différends (ORD) permet à l’OMC de sanctionner les Etats qui ne respectent pas les accords adoptés4. Les sanctions sont des mesures de rétorsion, sous forme de tarifs et de taxes. Il va de soi que de facto ce sont surtout les pays riches et puissants qui ont ce pouvoir de rétorsion, pas les plus pauvres. À ce jour, la plupart des États du monde font partie de l’OMC. Et paradoxalement, cela fait une dizaine d’années qu’il n’y a plus d’avancées significatives au sein de celle-ci. Les négociations du dernier cycle, dit de Doha, visant à améliorer l’accès aux marchés pour les économies des pays en développement, n’ont malheureusement abouti à rien de conclusif, et les pays riches ont des raisons de battre leur coulpe devant cet échec. L’échec peut également être lu comme un manque de confiance et de concessions dans un monde multipolaire. Car, en parallèle, on voit poindre çà et là d’autres avancées de libre-échange, négociées en dehors du cadre de l’OMC. La tendance est plus que jamais aux accords de libre-échange bilatéraux. Les principes sont les mêmes (réciprocité, non-discrimination, pouvoirs de sanction, etc.) mais le cadre et les moyens diffèrent. Historiquement, les accords commerciaux visaient avant tout la réduction des barrières tarifaires, les droits de douanes à l’entrée et à la sortie des échanges internationaux. De nos jours, les droits de douane ne sont la plupart du temps plus très élevés. Ce sont d’autres obstacles qui entravent le commerce. Les barrières dites non-tarifaires regroupent tous les autres obstacles limitant le commerce international : quotas, règlementations sociales, normes sanitaires, normes techniques, normes environnementales, … Le TTIP et les autres accords régionaux s’attaquent avant tout à ces barrières non-tarifaires en visant à créer une harmonisation des règles. Du point de vue européen, il est étonnant qu’avant de s’engager dans les négociations, on ne se soit pas demandé si cette harmonisation avec un partenaire aussi différent que les USA est souhaitable. Processus législatif du TTIP Il semble bien y avoir une pression vérifiée des entreprises multinationales pour qu’on s’engage dans ce processus d’intégration économique. De leur point de vue, les barrières non-tarifaires sont coûteuses, complexes et inutiles. Leurs lobbies puissants réclament sans cesse que l’on harmonise les gigantesques marchés européen et américain. Nous avons tendance à porter un jugement réservé sur cette demande : sans être totalement illégitime, elle comporte néanmoins des risques et des menaces pour notre modèle de société. Dès 2007, les lobbies des chambres de commerce, la Commission européenne et les autorités américaines ont mis sur pied le Transatlantic Economic Council, un conseil de grandes entreprises transatlantiques chargé par l’UE et les USA de préparer l’agenda des négociations. Lorsqu’en 2013, le 4 A cause de ce pouvoir de sanction, les accords commerciaux ont de facto le dessus sur les autres lois et règlementations internationales, telles celles de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Ce qui n’est pas sans susciter critique. Il est légitime de craindre l’orchestration de l’idéologie d’une mondialisation appuyée par le pouvoir des multinationales. 5 Conseil des Ministres a donné mandat de négociation à la Commission, le lobby du business a su conserver son statut d’initié tandis que le mandat de négociation est resté sous secret diplomatique jusqu’en octobre 2014 – un secret qui excluait les extérieurs tels les ONG et même le Parlement européen. Une grande partie des exaspérations de la société civile émanent de ce hold-up contre la démocratie. Un deuxième point de convergence des critiques se concentre autour des dérégulations potentielles. Toutes les normes sociales, sanitaires ou environnementales, souvent plus rigoureuses en Europe qu’aux USA ou dans le reste du monde, sont virtuellement compromises. Et plus encore, un traité de type TTIP compliquera sans doute la tâche du législateur qui voudra adopter à l’avenir des normes plus strictes. Le débat public se souviendra des actions et interpellations autour du fameux poulet désinfecté au chlore (autorisé aux USA, mais pas en UE), du bœuf aux hormones, des OGM ou des pesticides. Une troisième crainte est que l’Europe ne soit plus maître de son destin. Cela bouleversera également les importations de pays tiers : dans la mesure où l’UE/USA devient une seule et unique zone commerciale de libre-échange, des biens importés aux USA peuvent également être revendus en Belgique. Rappelons que les USA ont historiquement souvent évité de ratifier des conventions internationales (sur l’environnement, sur le droit du travail, sur les droits de l’homme, etc.). Cette ambivalence au sein de la zone TTIP peut créer des situations très ambiguës. Voulons-nous, Européens, poser les mêmes choix de société, sachant que nos politiques sont souvent drastiquement opposées ? Sera-t-il encore possible de plaider pour une Europe sociale ? À noter que le TTIP pratique une inversion fondamentale dans l’attribution de ses compétences : il serait applicable à tous les services et produits sauf à ce qui uploads/Finance/ le-traite-transatlantique-la-mondialisation-et-le-projet-europeen 1 .pdf

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  • Publié le Fev 11, 2021
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