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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/307856693 Introduction : Les trois dimensions du travail salarié Chapter · January 2016 CITATION 1 READS 1,287 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: law and economics View project Olivier Favereau Université Paris Ouest Nanterre La Défense 99 PUBLICATIONS 1,005 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Olivier Favereau on 06 September 2016. The user has requested enhancement of the downloaded file. [publié in : Olivier Favereau (dir.), Penser le travail pour penser l’entreprise, Presses des Mines, Paris, 2016, pp.15-37] INTRODUCTION Les trois dimensions du travail salarié Olivier Favereau1 « Il est facile de définir la place que doit occuper le travail physique dans une vie sociale bien ordonnée. Il doit en être le centre spirituel. » Simone WEIL, L’Enracinement (conclusion) Ce livre à plusieurs voix est porté par une conviction commune. Elle s’est forgée dans des échanges entre cinq disciplines, entamés en 2009. Cette durée plutôt rare, qui demande explication, a permis de laisser mûrir une prise de position, libre par rapport aux modes intellectuelles et aux cadres de pensée dominants. Le travail – nous entendrons par là de façon délibérément restrictive le travail salarié en entreprise -sera la question-clé du XXIe siècle. Voilà notre conviction. Nous affirmons, à travers ce livre, que le cours du siècle nouveau dépendra crucialement, y compris pour son orientation politique, de l’option suivie par le monde économique, en Europe et notamment en France, au regard du travail salarié : ou bien les entreprises continueront de détruire l’emploi, quantitativement ou qualitativement, sur la même pente que depuis 30 ou 40 ans, au nom de la flexibilité, de la mobilité, de la rentabilité, de la compétitivité, etc., – au risque de s’auto-détruire, ou bien elles saisiront l’opportunité magnifique qu’offrent les nouvelles modalités de travail, pour à la fois 1 Professeur émérite d’économie, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, co- directeur du département de recherche Économie, Homme, Société – Collège des Bernardins – favereau@u-paris10.fr reconstruire le socle humain d’un capitalisme enfin démocratique et se reconstruire elles-mêmes. Expliquons l’origine de ce livre. Il est une pièce détachée – mais centrale – d’une recherche collective sur l’entreprise, entamée en 2009, au Collège des Bernardins2. Une recherche multidisciplinaire qui a mobilisé l’anthropologie, le droit, l’économie, la gestion, la sociologie. Son point de départ est la réfutation rigoureuse de l’idée reçue, indissociable de la financiarisation des années 1980/2015, selon laquelle les actionnaires seraient les propriétaires de l’entreprise. Ils devraient donc être les premiers bénéficiaires de son activité. C’est le principe de la « shareholder value » (souveraineté actionnariale). Cette proposition se révèle à l’examen fausse dans ses prétendues justifications, et empiriquement lourde d’effets pervers et d’externalités négatives : l’institution « entreprise » est aujourd’hui en péril, non seulement en tant que collectivité humaine mais aussi en tant que moteur du dynamisme économique, depuis son apparition dans le dernier tiers du XIXe siècle. Un double péril avec une même logique : la « grande déformation » de l’entreprise, assimilée à un quasi-actif financier, évaluable à tout instant sur un marché financier globalisé et indéfiniment sécable en centres de profit3. Dans ce diagnostic, quelle place occupe le travail ? Nous répondons : la première. Pour deux raisons, dont l’une est la figure inversée de l’autre. Commençons par la thèse dé-constructive. Sous l’effet conjugué d’une multiplicité de facteurs, le travail salarié en entreprise, durant la génération de la financiarisation (des années 1980 jusqu’à aujourd’hui), a changé de registre. Comme beaucoup d’enquêtes l’ont montré, le travail dans l’entreprise-type ne ressemble plus à son image dans la célébrissime affiche de Charlot dans les « Les Temps Modernes » : un individu broyé dans l’engrenage d’un travail ouvrier mécanique et répétitif. Désormais le travail salarié recèle un potentiel 2 Voir [Roger, 2012], [Segrestin & Hatchuel, 2012], [Favereau, 2013], [Favereau & Roger, 2015] et [Segrestin & al., 2015] ; voir aussi [Le Gall, 2011] et [Ferreras, 2012]. 3 La limite de ce processus est la figure des salariés-cadres réduits à leur « capital humain », dont découle leur « productivité individuelle », l’entreprise n’étant plus qu’un assemblage marchand de ces éléments de base. d’épanouissement personnel et d’innovation collective, qui nourrit des attentes entièrement nouvelles, de la part des salariés autant que des directions d’entreprise. Mais son mode actuel d’exercice et d’organisation, loin de libérer ce potentiel, l’a plutôt entravé, voire écrasé. Avec cette conséquence : se trouvent directement et gravement menacées non seulement cette chose essentielle et énigmatique qui s’appelle le goût du travail, mais aussi la capacité de création collective, cette autre chose essentielle et énigmatique, qui est, selon nous, le marqueur historique et le ressort principal de l’institution « entreprise »4. Ce livre est sombre, il n’est pas pour autant pessimiste. Car la critique radicale, si elle est juste, débouche a contrario sur la puissance de re-construction d’un programme réformiste, qui inverserait la logique de la « grande déformation » : en osant affirmer la positivité intrinsèque (ce qui ne veut pas dire : automatique) du travail salarié5, on se donne les moyens intellectuels de révolutionner la pensée de l’entreprise, avec en filigrane, un tout autre XXIe siècle que celui qui prolongerait, ou, pis encore, accentuerait, les tendances des deux dernières décennies du XXe siècle. Dans la suite de cette introduction, nous allons présenter au lecteur l’argumentaire des différents chapitres. Mais cette présentation va être solidement encadrée par deux opérations que nous nous imposerons dans un souci autant pédagogique que scientifique : d’abord, en amont des six chapitres, nous voulons dégager la grille de lecture du travail salarié qui permettra de formuler aussi précisément que possible les deux thèses, dont vient d’être indiqué l’esprit général (§ 1). Le résumé qui suivra des différents chapitres pourra ainsi être orienté, éclairé, condensé par la façon dont chacun contribue à leur démonstration (§ 2). Enfin, nous vérifierons la fécondité de notre démarche, en montrant qu’en aval de ces six regards disciplinaires sur le travail, la théorie de l’entreprise qui parviendrait à les combiner, d’une part 4 Voir [Hatchuel, 2000] et [Segrestin & Hatchuel, 2012]. 5 C’est le moment de définir ce que nous entendons par travail salarié : il s’agit de la prestation de travail, relevant d’un contrat de travail. Celui-ci consacre, selon la jurisprudence de la Cour de Cassation (1931), un lien de subordination, entre le salarié et l’employeur. Voir par exemple [Peskine & Wolmark, 2013, § 41-46]. Cette caractérisation juridique est inséparable d’une caractérisation économique : il s’agit de contribuer à produire un bien ou service marchand, dont la demande n’est jamais assurée. illuminerait un phénomène singulier des vingt ou trente dernières années, à savoir la montée des risques psycho-sociaux, d’autre part définirait une approche non-marchande du chômage, rouvrant dans sa plénitude la possibilité du plein emploi (§ 3). 1 – Le travail salarié en entreprise : trois dimensions, deux thèses Au moment de choisir le niveau de complexité approprié à une grille de lecture du travail salarié en entreprise, nous devons nous souvenir de cet avertissement : « Tout ce qui est simple est faux, tout ce qui est compliqué est inutilisable » (Paul Valéry). Pour naviguer entre les écueils du faux et de l’inutilisable, nous allons faire du travail, tel qu’il est sollicité par l’entreprise, une variable à trois dimensions : capacité de production / capacité de coopération / capacité d’innovation. Ces trois dimensions sont loin de rendre complètement justice à la richesse des chapitres suivants, comme le lecteur pourra s’en rendre compte. Mais d’une part elles ont le mérite d’emprunter à chacune des disciplines mentionnées et, d’autre part, leur combinaison, par hypothèse, va infiniment plus loin que chacune d’entre elles (qui bien souvent ne privilégient qu’une seule dimension, au mieux deux, jamais les trois). Dans le travail comme capacité de production, on s’intéresse au couple que forment le produit (output) du travail, et sa contrepartie (input), en termes d’activité du corps : présence horaire, effort, gestes, soin, attention, implication physique et mentale… Pour le salarié, la « valence6 » de cette dimension du travail est généralement négative (fatigue, peine, souffrance,…), à cause peut-être de l’étymologie traditionnelle du mot « travail »7. Ce sera particulièrement manifeste en économie, où le travail n’a de valeur qu’instrumentale, comme détour obligé pour financer consommation et loisir. Cette représentation est aussi présente 6 Nous empruntons ce terme à l’école de Kurt Lewin en psychologie, pour éviter de recourir d’emblée au vocabulaire économique (utilité/désutilité). Cf. par exemple Lewin [1967]. Rappelons que Kurt Lewin a été une source importante d’inspiration pour la théorie de la rationalité limitée de H. Simon. 7 Voir Vatin [1999, 2008 et 2014]. en droit, en sociologie, et en gestion. Toutefois, au-delà de l’expérience humaine la plus ordinaire, l’anthropologie et la sociologie récente du travail (qualifiée de « sociologie de l’activité ») ont défendu l’idée d’une valence positive du travail, précisément comme production, c’est-à-dire activité de fabrication, donc de transformation matérielle du monde. Dans le travail comme capacité de coopération (en anglais uploads/Finance/ les-3-dimensions-de-l-x27-homme-au-travail 1 .pdf

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  • Publié le Dec 29, 2021
  • Catégorie Business / Finance
  • Langue French
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