Éléments de réflexion sur le rôle du Ministère public dans les procédures d’ins
Éléments de réflexion sur le rôle du Ministère public dans les procédures d’insolvabilité : approche analytique, critique et comparative entre le droit marocain et le droit français Nahid LYAZAMI Enseignante-chercheuse en droit des affaires à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Tanger Introduction L’intervention du Ministère public (MP) dans les procédures collectives est digne d’intérêt. Il est garant de la sécurité juridique, financière, économique et sociale, mais aussi protecteur de l’intérêt général de l’ensemble des intervenants dans les procédures collectives. La présence de l’institution du MP pendant les procédures d’insolvabilité n’a pas toujours cette connotation répressive et sanctionnatrice, il joue a fortiori un rôle protecteur et préventif dans la mesure où il peut prévoir ou pronostiquer la dégradation de la santé financière de l’entreprise et tâcher ; par conséquent ; d’intervenir pour désamorcer les signes prémonitoires de difficultés qui peuvent rendre l’entreprise exsangue voire moribonde. Si en matière pénale, la loi pénale doit prévenir avant de frapper, la mission du MP trouve ses lettres de noblesse dans ce contexte, car il est amené à prévoir les menaces de difficulté qui s’annoncent à l’horizon pour éluder la volatilisation de l’entreprise via la prononciation d’une liquidation à son encontre. Prévenir les difficultés de l’entreprise est une nécessité impérieuse, car plus le mal est éradiqué le plus en amont possible plus les chances de sauvetage de l’entreprise boiteuse augmentent. Etudes 56 Nahid Lyazami REMALD, numéro double 150-151, janvier-avril 2020 Il nous parait que le législateur Marocain a sous-estimé le rôle des magistrats du parquet, il a conféré un rôle omnipotent au Président du Tribunal de Commerce et le syndic. le MP est soit pratiquement absent, soit extrêmement discret (1). Le constat est inquiétant au niveau juridique et les résultats de la réforme législative sont en berne. Ce bilan maigre ne vient pas ex nihilo, la preuve c’est que la promulgation de la nouvelle loi 73-17 abrogeant et remplaçant le livre V du Code de commerce sur les difficultés de l’entreprise, soit la loi 15-95 a prévu des dispositions minuscules qui restent loin de solidifier la position du parquet et c’est depuis plus de vingt ans. On déplore vivement l’état actuel des choses, toujours plus de promesse et toujours moins de réformes. Il est l’heure de blâmer le législateur Marocain pour cette inertie, car on avait espéré une amélioration dans les prérogatives du MP surtout avec la promulgation de la nouvelle loi 73-17, car si on maintient un cadre juridique caduque et entaché d’anachronisme, on risque d’emboiter le processus de préservation des entreprises saines et en bonne santé financière. A notre humble avis, la loi 73-17 constitue un simple dépoussiérage des dispositions antérieures, elle a plutôt projeté la lumière sur le nouveau mécanisme de prévention qui est la procédure de sauvegarde, nouveau-né législatif dont les perspectives de réussite sont incertaines. Notre ton pessimiste peut être justifié également par la marginalisation du MP durant les procédures préventives, le parquet est en mesure de fournir des informations précieuses sur la situation financière, comptable, économique, sociale, voire juridique de l’entreprise. Il est susceptible même de démasquer les débiteurs malhonnêtes ou sans scrupules qui peuvent organiser leur insolvabilité comme ils peuvent organiser leur solvabilité en créant une fausse apparence de prospérité (2). Selon la doctrine « Cette situation est malsaine, dangereuse pour les clients, fournisseurs et salariés, voire les concurrents du débiteur aux abois » (3). Le MP est un gisement inestimable en matière d’informations, un garde-fou contre les plans machiavéliques du débiteur. Le grand souci de l’impartialité, la prévalence de l’intérêt général et la préservation de l’ordre public économique et social, font du Ministère public l’organe le mieux placé pour préserver les intérêts des créanciers et de l’entreprise concomitamment. Si le droit marocain exerce un certain ostracisme sur le MP, car il n’est pas toujours le bienvenue, son homologue Français lui réserve un sort plus confortable dans les deux angles amiable et contentieux. (1) Nahid Lyazami, « La prévention des difficultés des entreprises : étude comparative entre le droit marocain et le droit français », thèse de doctorat en droit privé, Université du sud de Toulon-Var, juin 2013. « L’encouragement à l’implication du parquet », p. 383 et suiv. (2) Nahid Lyazami, « Le contentieux du chèque et la préservation d’une entreprise viable : quelle corrélation ? », Revue du Droit Marocain, REDMAR, n° 38, juillet 2018, p. 41.V. l’action paulienne pour lutter contre une insolvabilité organisée. (3) Françoise Pérochon et Régine Bonhomme, Entreprise en difficulté-instruments de paiement et de crédit, 6e édition LGDJ 2004, p. 118. 57 Éléments de réflexion sur le rôle du Ministère public dans les procédures d’insolvabilité REMALD, numéro double 150-151, janvier-avril 2020 L’intérêt de notre sujet tend à mettre en relief le grand hiatus qui existe entre ce que la loi dispose et la réalité du rôle du parquetier devant les tribunaux de commerce. Cette divergence ou ambivalence sont un catalyseur pour notre législateur afin de puiser et dénicher ; pourquoi pas ; dans des législations comparées (le livre VI du code commerce français) et peaufiner notre cadre légal régissant la matière. Cette contribution scientifique est une occasion également pour rappeler le véritable rôle actif qu’occupe le MP dans la législation française permettant ainsi de dégager quelques éléments de réflexions sur la réalité de son implication pendant la phase amiable et contentieuse dans les deux droits respectifs. Cet article scientifique est le fruit de deux expériences issues de deux domaines différents mais complémentaires l’un à l’autre. Des éléments de réflexion dégagés d’un travail théorique d’une académicienne alimenté par des adaptations, des annotations et des cas de figures concrets totalement issus d’un champ empirique, pratique, factuel, et pragmatique fournis généreusement par un praticien chevronné en la matière (4). On va faire le focus sur le rôle du Ministère public dans les procédures de difficulté des entreprises entre la théorie et la pratique. Notre étude sera axée également sur des cas de jurisprudence Française et Marocaine. En adoptant une dimension comparative, on va essayer de mettre en exergue les lacunes du droit marocain, tout en s’inspirant de la législation française (5) pour proposer ; par conséquent ; un élargissement des pouvoirs du MP marocain, qui a beaucoup perdu en notoriété dans le domaine du droit des procédures collectives. Les écritures en la matière sont parcimonieuses, en l’occurrence en langue française, ce qui constitue pour nous une occasion propice pour échanger, enrichir et proposer des ajustements sans bouleversement de l’architecture de la loi en vigueur. – Quels sont les aspects d’intervention du MP. Est-ce que le MP a son mot à dire pendant la phase préventive ? – Quid de son intervention pendant les procédures de traitement, constitue-il une force influente ? Son association pendant la phase curative peut-elle être considérée comme étroite ou étriquée ? (4) Christophe Delattre. Substitut général. Section JIRS économique et financière. Magistrat Inspecteur Régional. Parquet général. Cour d’appel de DOUAI. La soumission de cet article scientifique est largement inspirée des travaux périodiques du M.M. Christophe Delattre qui n’a pas tergiversé à faire preuve d’abnégation, de disponibilité et d’interactivité pour concrétiser ce travail nonobstant ses fortes contraintes de la charge professionnelle, la distance et le confinement à cause de la pandémie du Covid-19. Sa participation à ce travail avait donné une « cure de jouvence » à mes propos, car comme ténor en matière du droit des entreprises en difficulté, il détient « la partie cachée de l’iceberg » qui reste invisible, méconnue pour les théoriciens. (5) Pour de plus amples informations sur l’imprégnation du droit marocain sur la législation française Cf. Nahid Lyazami, « La prévention des difficultés des entreprises : étude comparative entre le droit marocain et le droit français », thèse de doctorat en droit privé, Université du sud de Toulon-Var, juin 2013, « Le modèle français : inadéquation aux réalités socio-économiques et culturelles marocaines », p. 185 et suiv. 58 Nahid Lyazami REMALD, numéro double 150-151, janvier-avril 2020 Chapitre 1 Les aspects de l’implication « timide » du MP pendant la prévention Une simple lecture en diagonale des dispositions légales en matière des entreprises en difficulté peut révéler une absence voire une marginalisation claire de l’institution du MP pendant la phase préventive (6). Contrairement au rôle pionnier qu’occupe le Président du Tribunal de commerce, le MP apparaît étroitement associé à la procédure de conciliation. Cette réalité est évidente si on se réfère aux articles de la nouvelle loi, qui malheureusement n’ont pas élargi les attributions du parquet qui restent quasiment les mêmes. Par contre en droit français, le législateur ; suite aux diverses modifications législatives successives (7) ; donne de plus en plus de pouvoir au MP en étoffant le cadre de son intervention tout en lui permettant d’exercer un véritable quadrillage de la procédure collective, il doit pouvoir agir, contrôler et influencer l’issue procédurale le cas échéant. Le MP en droit français a la possibilité d’intervenir pendant la phase de la conciliation et de sauvegarde, c’est un acteur incontournable pendant la phase de prévention, même si cela peut déplaire à certains, mais aussi uploads/Finance/ n-lyazami-remald-n0-150-151-dde 1 .pdf
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- Publié le Sep 09, 2022
- Catégorie Business / Finance
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