LE PARI DE PASCAL Les raisonnements que Pascal a tenus pour répondre à des prob
LE PARI DE PASCAL Les raisonnements que Pascal a tenus pour répondre à des problèmes au sujet de jeux de hasard que lui a posés le chevalier de Méré sont considérés comme les premiers exemples de ce qu’on appelle aujourd’hui le calcul mathématique des probabilités et l’espérance mathématique (voir l’article de Derriennic1). Le fameux pari de Pascal est une application (discutable ?) de ces outils au domaine religieux. L’histoire littéraire a accordé une très grande place au fragment 397 des pensées où l’argument du pari est exposé. 1 Un extrait des pensées Extrait du fragment 397 des pensées. Suivez l’argumentation de Pascal en gardant en tête la notion d’espérance mathématique associée à un jeu de pile ou face ou de dé. Examinons donc ce point, et disons : "Dieu est, ou il n’est pas." Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre ; par raison, vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix ; car vous n’en savez rien. - "Non ; mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix ; car, encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier." - Oui ; mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez- vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager : votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir : l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est, sans hésiter. - "Cela est admirable. Oui, il faut gager ; mais je gage peut-être trop." - Voyons. puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gagner ; mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait 1http ://smf4.emath.fr/Publications/Gazette/2003/97/ 1 encore jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé de jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois, à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il aurait une infinité de hasards, dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux ; et vous agiriez de mauvais sens, en étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d’une infinité de hasards il y en a un pour vous, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner Mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti : partout où est l’infini, et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui du gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie, plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant. Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde, et que l’infinie distance qui est entre la certitude de ce qu’on s’expose, et l’incertitude de ce qu’on gagnera, égale le bien fini, qu’on expose certainement, à l’infini, qui est incertain. Cela n’est pas ; aussi tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude ; et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n’y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude du gain ; cela est faux. Il y a, à la vérité, infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l’incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu’on hasarde, selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s’il y a autant de hasards d’un côté que de l’autre, le parti est à jouer égal contre égal ; et alors la certitude de ce qu’on s’expose est égale à l’incertitude du gain : tant s’en faut qu’elle en soit infiniment distante. Et ainsi, notre proposition est dans un force infinie, quand il y a le fini à hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner. Cela est démonstratif ; et si les hommes sont capables de quelque vérité, celle-là l’est. 2 2 Ma nuit chez Maud Version 68+1 du Pari de Pascal, inventée par Eric Rohmer pour « Ma nuit chez Maud ». L’histoire se passe à Clermont-Ferrand. Celui qui dit « je »le premier est ingénieur. L’autre (Vidal) est professeur de philosophie à la fac. Ils ont été amis il y a une dou- zaine d’années lorsqu’ils étaient étudiants. Ils se rencontrent par hasard dans un café. – Ah, tiens ! dis-je, Pascal ! – Ca t’étonne ? – C’est curieux. Je suis justement en train de le relire, en ce moment. – Et alors ? – Je suis très déçu. – Dis, continue, ça m’intéresse. – Ben, je ne sais pas. D’abord, j’ai l’impression de le connaître presque par c ?ur. Et puis ça ne m’apporte rien : je trouve ça assez vide. Dans la mesure où je suis catholique, ou tout au moins j’essaie de l’être, ça ne va pas du tout dans le sens de mon catholicisme actuel. C’est justement parce que je suis chrétien que je m’insurge contre ce rigorisme. Ou alors, si le christianisme c’est ça, moi je suis athée !... Tu es toujours marxiste ? – Oui, précisément : pour un communiste, ce texte du pari est extrêmement actuel. Au fond, moi, je doute profondément que l’histoire ait un sens. Pourtant, je parie pour le sens de l’histoire, et je me trouve dans la situation pascalienne. Hypothèse A : la vie sociale et toute action politique sont totalement dépourvues de sens. Hypothèse B : l’histoire a un sens. Je ne suis absolument pas sûr que l’hypothèse B ait plus de chances d’être vraie que l’hypothèse A. Je vais même dire qu’elle en a moins. Admettons que l’hypothèse B n’a que dix pour cent de chances et l’hypothèse A quatre-vingt-dix pour cent. Néanmoins, je ne peux pas ne pas parier pour l’hypothèse B, parce qu’elle est la seule qui me permette de vivre. Admettons que j’aie parié pour l’hypothèse A et que l’hypothèse B se vérifie, malgré ses dix pour cent de chances, seulement : alors j’ai absolument perdu ma vie... Donc je dois choisir l’hypothèse B, parce qu’elle est la seule qui justifie ma vie et mon action. Naturellement, il y a quatre-vingt-dix chances pour cent que je me trompe, mais ça n’a aucune importance. 3 – C’est ce qu’on appelle l’espérance mathématique, c’est-à-dire le produit du gain par la probabilité. Dans le cas de ton hypothèse B, la probabilité est faible, mais le gain est infini, puisque c’est pour toi le sens de ta vie, et pour Pascal le salut éternel. Deux jours plus tard Dès qu’elles sont sorties, Vidal se lève et va vers la bibliothèque. – Il doit bien y avoir un Pascal, ici. On a beau être franc-maçon... Il s’accroupit et découvre sur le rayon inférieur, une édition scolaire des Pensées. Il la feuillette. Je me suis levé et m’approche de lui. – Pourrais-tu me dire, me demande-t-il, s’il y a une référence précise aux mathématiques dans le texte sur le pari. (Il lit) : « Partout où est l’infini et où il n’y a pas infinité de hasard de perte contre celui de gain, il n’y a point à balancer : il faut tout donner... et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie », etc. Il me tend le livre. J’y jette un coup d’oeil. – C’est exactement ça, « l’espérance mathématique », dis-je. Dans le cas de Pascal, elle est toujours infinie... à uploads/Finance/ pari-de-pascal.pdf
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- Publié le Mai 31, 2022
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