Rapport au Premier Ministre Les discriminations dans l’accès à l’emploi public
Rapport au Premier Ministre Les discriminations dans l’accès à l’emploi public Mission confiée à Yannick L’Horty, Professeur à l’Université Paris‐Est Marne‐La‐Vallée, Juin 2016 2 3 SYNTHESE Le rôle de référence joué par le recrutement par concours dans la fonction publique laisse à penser que l’accès à l’emploi public dans son ensemble ne serait pas ou peu exposé au risque de discrimination. C’est une erreur pour deux raisons. La première est purement mécanique et tient à la faible place des concours dans l’ensemble des opérations de recrutement des trois versants de la fonction publique. Même si les flux d’entrée ont beaucoup diminué depuis le milieu des années quatre‐vingt‐dix, la fonction publique effectue encore chaque année près de 500 000 recrutements, pour tous types de contrats et pour toutes durées confondues. Dans cet ensemble, le recrutement de titulaires représente moins d’une entrée sur quatre. Comme le recrutement par concours ne représente que les deux tiers des recrutements des titulaires, du fait du développement des nouvelles voies d’accès sans concours, on peut dire que le recrutement par concours ne couvre aujourd’hui qu’un sixième de l’ensemble des recrutements publics. La deuxième raison est liée à la nature même du risque discriminatoire. On se représente à tort le profil type du discriminateur comme celui d’une personne isolée ouvertement raciste ou sexiste qui œuvrerait de façon consciente pour favoriser la sélection de certains candidats au détriment d’autres. Bien au contraire, un grand nombre de travaux scientifiques sur les ressorts des comportements discriminatoires indiquent que les discriminateurs sont avant tout victimes de leurs stéréotypes, c’est‐à‐dire de raccourcis cognitifs associant les caractéristiques des candidats à des aptitudes. Ces stéréotypes sont plus ou moins précis, ils sont positifs ou négatifs, ils ne sont ni toujours vrais, ni toujours faux, et surtout, ils opèrent à l’insu du discriminateur. Les stéréotypes accélèrent la prise de décision mais ils introduisent des erreurs de jugement. Pour ces deux raisons, le droit commun des concours n’est pas un rempart efficace pour se protéger du risque de discrimination. L’anonymat des candidats, le caractère unique, impartial et indépendant du jury, l’égalité formelle des candidats face aux épreuves, bref, toutes les dispositions générales sur l’organisation des concours constituent autant de précautions à la fois nécessaires et insuffisantes. Les discriminations sont favorisées par la sélectivité du recrutement, elles sont liées à la définition des postes à pourvoir, à la durée des contrats, mais aussi aux caractéristiques majoritaires parmi les collègues de travail, à celles des candidats et du jury. Tout ce qui peut influencer la prise de décision par le jury est un canal potentiel pour le risque de discrimination entre les candidats. L’organisation du concours, son caractère plus ou moins concentré dans l’espace, les conditions d’éligibilité ou encore, la nature des épreuves, sont autant de leviers pour élargir l’action publique en faveur de l’égalité. Fortes de ces constats, de très nombreuses administrations ont ajouté au droit commun du recrutement par concours, un vaste ensemble d’actions nouvelles pour l’égalité. Encouragées par un portage politique au plus haut niveau, de nombreux acteurs publics ont engagé leurs institutions dans cette voie, au travers de la signature de chartes et de l’obtention de labels certifiant un déroulement standardisé des procédures d’embauche. Les entités publiques ont mieux diffusé l’information sur les opportunités d’emploi et travaillé sur la définition de fiches de postes moins sélectives. Elles ont modifié les règles de constitution des jurys tout en conduisant des actions plus ou moins systématiques auprès des jurys pour les sensibiliser aux effets des stéréotypes. Elles ont 4 professionnalisé les acteurs et le processus du recrutement, tout en changeant le contenu des épreuves de nombreux concours. Elles ont développé les voies d’accès aménagées, les emplois PACTE, l’apprentissage, les classes préparatoires intégrées, parmi d’autres actions. Ces actions sont d’une grande diversité et elles sont déployées avec des contenus et des intensités variables selon les administrations. En outre elles ne sont pas ou peu évaluées. L’objet de ce rapport établi à la demande du Premier Ministre, est de prendre une mesure objective du risque discriminatoire dans l’accès à l’emploi public tout en contribuant à l’évaluation de ces nouvelles actions pour l’égalité. Le champ d’observation est étroit puisqu’il se limite à l’accès à l’emploi public et il est très large en même temps parce qu’il couvre différents critères de discriminations, selon le sexe, l’origine, le lieu de résidence, la situation familiale, et qu’il englobe toutes les voies de recrutement (concours, recrutements sans concours, voie contractuelle) dans les trois versants de la fonction publique. Il est particulièrement difficile d’analyser les discriminations dans l’accès à l’emploi, qui se font à l’insu des discriminateurs et sans que les discriminés en aient nécessairement conscience, puisqu’ils n’observent qu’une toute petite partie du processus du recrutement. Pour mesurer le phénomène, on ne peut donc ni s’appuyer sur le ressenti des acteurs du recrutement, ni sur celui des candidats, ni sur des entretiens, ni sur des statistiques de plaintes, ni sur des enquêtes. Il faut mettre en œuvre des stratégies ad hoc permettant de révéler le fait discriminatoire. Pour mener à bien cette mission, nous avons bénéficié de la participation et de l’accompagnement d’un comité de suivi composé de recruteurs publics, auquel ont été associés des chercheurs de toutes disciplines, spécialistes du recrutement, des discriminations, ou de l’emploi public. Nous avons réalisé une vingtaine d’auditions d’une durée de deux heures environ, avec plus de soixante représentants des ressources humaines de toutes les entités de la fonction publique d’Etat et de quelques entités de la fonction publique hospitalière et territoriale. Ces entretiens nous ont permis de saisir à la fois la réalité et la diversité du déploiement des nouvelles actions pour l’égalité. Nous nous sommes appuyés sur la combinaison de deux types de méthode qui n’avaient encore jamais été appliquées en France : l’exploitation systématique de bases de données de concours externes de la fonction publique d’Etat, d’une part, et la réalisation de tests de discrimination dans le domaine de l’accès à l’emploi public et dans celui de l’accès à l’information sur les opportunités d’emploi public, d’autre part. Nous avons constitué un large panel statistique de concours externes de la fonction publique d’Etat et nous avons travaillé sur les bases individuelles de gestion des candidatures, anonymes et exhaustives. Ce panel couvre plus de 400 000 candidats dans 90 concours externes relevant de cinq ministères (affaires étrangères, intérieur, travail, éducation nationale et recherche), suivis pendant 4 à 8 ans jusqu’en 2015. L’exploitation systématique de ces données révèle des inégalités fortes dans les chances de succès des candidats : les femmes, les personnes nées hors de France métropolitaine ou encore, celles qui résident dans une ville avec une forte emprise de ZUS, ont moins de chance de réussir les écrits puis les oraux de nombreux concours, tandis qu’à l’inverse les chances de succès sont plus élevées toutes choses égales par ailleurs pour les personnes qui habitent Paris et celles qui vivent en couple. Nous trouvons aussi de nombreux biais évaluatifs des jurys de concours qui 5 augmentent ou réduisent les chances de réussite des candidats potentiellement discriminés lorsque toutes leurs caractéristiques individuelles sont révélées, à l’oral, relativement à l’écrit. Avec le temps et sous l’effet des actions pour l’égalité effectuées dans les différents ministères, certaines sources d’inégalités des chances de succès se réduisent et des biais évaluatifs s’estompent, mais d’autres persistent ou se renforcent, sans que l’on puisse dessiner un schéma univoque pour l’ensemble. Les tests de discriminations ont été réalisés entre les mois d’octobre 2015 et d’avril 2016. Tout d’abord, l’effet du sexe et de l’origine du candidat a été testé dans 70 commissariats et 150 établissements hospitaliers, au travers de tests d’accès à l’information sur les métiers de gardien de la paix et d’infirmier. Nous ne trouvons aucune différence de traitement dans les commissariats mais nous trouvons des discriminations dans les hôpitaux publics entre une candidate française et une candidate qui signale une origine maghrébine par son patronyme. Ensuite, nous avons testé l’effet d’une origine maghrébine et celui du lieu de résidence dans l’accès à l’emploi, en envoyant au total 3258 candidatures en réponse à 1086 offres d’emploi. A nouveau, ces tests n’indiquent pas de différences de traitement dans la fonction publique d’Etat. En revanche, ils indiquent que les candidats d’origine maghrébine sont pénalisés dans la fonction publique hospitalière et dans la fonction publique territoriale et qu’il en va de même pour les candidats qui habitent dans un quartier relevant de la politique de la ville. Ces discriminations sont parfois plus marquées dans le privé que dans le public, elles sont plus fortes pour les emplois qui relèvent de la catégorie C et sont plus marquées pour les emplois contractuels. L’analyse des données de concours de la fonction publique d’Etat, combinée à des tests ponctuels de discrimination, est selon nous la seule méthode permettant d’améliorer l’état de nos connaissances sur les discriminations dans l’accès à l’emploi public. Au terme de cette mission, nous ne formulons qu’une seule recommandation: la mise en place d’un outil de pilotage des politiques d’égalité consistant à pérenniser ce type d’investigation. En uploads/Finance/ rapport-l-x27-horty.pdf
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- Publié le Sep 08, 2021
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