Revue Française de Comptabilité // N°497 Avril 2016 // 5 Synthèse // Dossier sp
Revue Française de Comptabilité // N°497 Avril 2016 // 5 Synthèse // Dossier spécial // Réflexion Normes internationales Le principe de matérialité vu par l’IASB De l’art d’apprécier le caractère significatif d’une information Dans le cadre de son initiative visant à améliorer l’information fournie par les entreprises (Disclosure initiative), l’IASB a publié, pour commentaires jusqu’à la fin février 2016, un projet de guide de mise en œuvre du concept de matérialité. Ce sujet est bien connu des experts-comp- tables et commissaires aux comptes : il fait souvent l’objet de discussions lors de la période d’établissement des comptes entre eux et les entreprises. Le régulateur des marchés n’est en général pas en reste sur ce sujet lors de ses contrôles, le concept étant directement lié à sa mission de protection des investisseurs. Quels besoins de quels utilisateurs ? Revenons, comme l’IASB, sur les inves- tisseurs. En effet, les comptes sont établis pour eux, dans l’objectif de satisfaire leurs besoins. Le document de l’IASB le rappelle et reprend la définition du cadre conceptuel qui place la matérialité dans la perspective des utilisateurs des états financiers : « Les omissions ou inexactitudes d’élé- ments sont significatives si elles peuvent, individuellement ou collectivement, influencer les décisions économiques que prennent des utilisateurs sur la base des états financiers. L ’importance relative dépend de la taille et de la nature de l’omission ou de l’inexactitude, appréciée par rapport aux circonstances particu- lières. La taille ou la nature de l’élément, ou une combinaison des deux, peut être le facteur déterminant » 1. A l’entreprise donc de se mettre à la place de l’investisseur pour tenter de déterminer ce dont il a besoin : un exercice qui n’est pas nécessairement facile. L’IASB pro- pose donc de caractériser l’investisseur “type“. Il ne s’agit en effet pas de satisfaire les marottes d’un actionnaire spécifique, sans quoi les annexes aux comptes seraient interminables – ce qui serait à l’inverse de leur objectif de pertinence – mais de considérer les besoins d’un large panel d’investisseurs rationnels et ayant un niveau de connaissance raisonnable des affaires. Ces précisions sont utiles. En pratique cependant, le document ne rentre pas dans les détails, notamment sur des investisseurs qui seraient plus ou moins sophistiqués et auraient donc des besoins différents. L’IASB l’a pourtant fait dans les documents accompagnant sa toute dernière norme IFRS 16, pour justi- fier à la fois l’inscription au bilan de tous les contrats de prise de location et des informations en annexe plus fournies 2. Le projet de guide propose, néanmoins, des pistes aux entreprises à titre de références à prendre en compte : les pratiques sectorielles, les réponses des marchés à différents types d’information, les demandes faites par les investisseurs au cours de présentations des entreprises, le caractère confirmatoire ou prédictif de l’information, etc. Ce faisant, il indique clairement que les coûts de production de l’information pour l’entreprise n’ont pas à intervenir dans l’appréciation du caractère significatif ou non d’une information. Quelles caractéristiques de la matérialité ? L’IASB développe également les carac- téristiques de la notion de matérialité et illustre son propos avec des exemples. Ces caractéristiques bien connues sont au cœur de la définition que nous avons reprise. Il s’agit notamment de la prise en compte individuelle et collective, quali- tative et quantitative (nature et montant) de l’événement ou de la transaction considérée ainsi que des circonstances spécifiques à l’entreprise. Sur les aspects quantitatifs, la matéria- lité dépendant du contexte spécifique de l’entreprise et d’aspects qualitatifs, l’IASB souligne qu’il n’est pas pertinent pour lui de donner des seuils de référence généraux. En cela, il est cohérent avec les normes d’audit qui n’en fournissent pas non plus. Il va même plus loin, indiquant qu’il ne serait pas non plus approprié pour une entreprise de s’appuyer uni- quement sur des niveaux chiffrés, bien qu’il reconnaisse qu’ils puissent être des outils utiles. Dans quel contexte la matérialité s’exerce-t-elle ? La matérialité s’exerce dans le contexte général des objectifs attribués à l’informa- tion financière dans le cadre conceptuel, à savoir fournir aux utilisateurs des informations sur la situation financière, la performance financière et les flux de trésorerie de l’entreprise qui leur soient utiles dans leurs prises de décisions. A la suite de ce rappel, l’IASB reprend les objectifs attribués aux différents états de synthèse et propose deux objectifs pour les notes annexes, à savoir : • apporter des explications sur les élé- ments inclus dans les états de synthèse ; • fournir des compléments d’information permettant de remplir l’objectif général attribué aux états financiers 3. Pour l’IASB, l’ensemble de ces objectifs doit permettre aux entreprises de déter- miner, au titre de la matérialité : • s’il est pertinent d’inclure une informa- tion, que celle-ci soit requise ou non par les normes IFRS ; • où il convient d’inclure cette informa- tion : dans les états de synthèse et/ou les notes annexes ; • à quel niveau et à quel endroit ces différentes informations doivent être agrégées/désagrégées. Si ce processus doit évidemment être mené pour chaque information, l’IASB précise qu’il convient néanmoins de confirmer la pertinence de l’ensemble qui en résulte en effectuant une revue globale à l’issue de ce processus. Par ailleurs, chaque clôture ayant lieu dans des circonstances différentes, il convient de reprendre ce processus pour chaque date de clôture. Quel champ d’application ? Pour l’IASB, le champ d’application de la matérialité est bien l’ensemble des états financiers, puisque les investisseurs vont prendre leurs décisions sur la base de ceux-ci. En effet, la notion de matérialité s’applique de manière évidente à la présentation des états de synthèse, ainsi qu’aux informations en annexe, seuls documents accessibles aux utilisateurs pour lesquels l’IASB émet des normes. Par Isabelle Grauer-Gaynor, Directeur Associé, Mazars 1. Cadre conceptuel (QC 11) et norme IAS 1, Présentation des états financiers (IAS 1.7). 2. IFRS 16 Leases, Effects analysis, Janvier 2016. 3. Objectifs qui feront l’objet d’une consultation à venir dans le cadre du projet relatif aux principes d’informations (Principles of Disclosure). // N°497 Avril 2016 // Revue Française de Comptabilité 6 Le projet de guide y consacre d’ailleurs de longs développements, notamment sur l’agrégation ou la désagrégation de certains montants (sujet traité par ailleurs dans la norme IAS 1) et sur le placement de l’information (dans les états financiers et/ou en annexe). Il rappelle également les aspects suivants, d’ailleurs formalisés dans des amendements récents 4 : • trop d’information tue l’information ; • les informations requises par les IFRS ne doivent pas être fournies si elles ne sont pas significatives ; • des informations non requises par les IFRS peuvent devoir être fournies car elles sont significatives. L’IASB va plus loin dans ce document que les aspects de présentation et d’informa- tion, rappelant que la notion de matérialité trouve également à s’appliquer en amont, en matière de comptabilisation et d’éva- luation. L’IASB n’est néanmoins pas très disert sur ce sujet : ces aspects relèvent de la partie immergée de l’iceberg, et notamment de politiques et de pratiques comptables internes dans lesquelles les IFRS ne s’immiscent d’ordinaire pas. Sont visés par exemple le recours à un système d’inventaire périodique, la non-capita- lisation de dépenses d’investissement en-deçà d’un certain montant, ou bien encore la non-application de dispositions IFRS à des éléments non significatifs, du moment qu’une revue périodique de ces politiques et pratiques comptables confirme la persistance de leur caractère non-significatif. Pour finir, l’IASB consacre également un chapitre aux omissions et inexactitudes (à ne pas confondre avec les pratiques comptables internes sus-évoquées), termes fondateurs de la définition de la matérialité. En particulier, l’appréciation du caractère significatif dépend du degré de précision avec lequel une transaction peut être évaluée. Le corollaire d’un degré d’imprécision élevé est bien connu en IFRS puisqu’il implique en général des informations supplémentaires en annexe, relatives notamment aux juge- ments effectués, aux incertitudes consi- dérées et à la sensibilité des évaluations à des hypothèses-clé. L’IASB rappelle qu’une inexactitude significative doit être corrigée dans les comptes et va même plus loin, considérant de bonne pratique qu’une inexactitude non significative le soit également. Enfin, il affirme dans ce document que le caractère significatif d’une inexactitude est avéré lorsque celle-ci est intentionnelle et a pour objectif d’influencer les décisions des utilisateurs des états financiers. De quoi s’agit-il finalement ? De ce qui précède, deux mots sont à retenir : jugement et processus. Se mettre à la place des investisseurs tout en restant dans le contexte spéci- fique de l’entreprise, prendre en compte tel ou tel aspect, apprécier ce qui pourrait raisonnablement influencer les décisions des investisseurs, tout cela relève bien du jugement. Ceci n’est pas surprenant tant le jugement est une notion bien connue en normes IFRS. L’entreprise est d’ailleurs tenue d’apporter des expli- cations en annexe selon la norme IAS 1, Présentation des états financiers, au titre du jugement exercé et des incertitudes. La mise en œuvre du principe de matéria- lité s’inscrit bien dans un processus qui va de la comptabilisation à la présentation des états financiers. Ce processus est itératif car il doit être repris pour chaque arrêté, voire pour uploads/Finance/ rfc-04-16-principe-de-materialite-grauer-gaynor.pdf
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- Publié le Jul 27, 2022
- Catégorie Business / Finance
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